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07/01/2004 | FRANCE | N°01-12477

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 07 janvier 2004, 01-12477


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, courant 1998, les sociétés 4D, Générale de la Ferme et Heiba, qui exploitent des discothèques, ont saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) de différentes pratiques mises en oeuvre par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musiques (SACEM), la Société civile pour la perception de la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes de commerce (SPRE), la Société pou

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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, courant 1998, les sociétés 4D, Générale de la Ferme et Heiba, qui exploitent des discothèques, ont saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) de différentes pratiques mises en oeuvre par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musiques (SACEM), la Société civile pour la perception de la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes de commerce (SPRE), la Société pour l'administration des droits des artistes et musiciens-interprètes (ADAMI), la Société de perception et de distribution des artistes-interprètes de la musique et de la danse (SPEDIDAM), la Société civile des producteurs associés (SCPA), la Société civile pour l'exercice des droits des producteurs phonographiques (SCPP) et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) ; que les pratiques dénoncées consistaient notamment dans l'existence d'une discrimination entre les taux de redevance pratiqués, d'un côté, pour les discothèques et, de l'autre, pour les bars à ambiance musicale ; qu'il était également soutenu que la SACEM et la SPRE pratiquaient des tarifs inéquitables en violation des articles 85 et 86 du traité de Rome dans la perception des droits opérés pour le compte des sociétés de gestion collective des droits d'auteur des autres pays de l'Union ; que, par décision n° 00-D-40 du 20 septembre 2000, le Conseil a déclaré cette saisine irrecevable en ce qu'elle était dirigée contre l'ADAMI, la SPEDIDAM, la SCPA, la SCPP et la SCPPF, aux motifs qu'aucun grief précis n'était articulé contre ces sociétés, et dit n'y avoir lieu à poursuivre la procédure à l'encontre de la SACEM et de la SPRE, faute d'éléments suffisamment probants ; que les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba ont formé un recours contre cette décision ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur recours, alors, selon le moyen :

1 / que les pratiques d'abus de position dominante ou d'exploitation abusive d'un état de dépendance économique doivent être appréciées au regard du marché de référence qui est défini par rapport au produit ou aux services substituables offerts ; qu'en appréciant, en l'espèce les pratiques dénoncées par les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba, non pas au regard du marché de la diffusion publique des oeuvres musicales gérée par la SACEM, comme il lui était demandé, mais au regard des activités des utilisateurs du répertoire de la SACEM, la cour d'appel a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce (article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ;

2 / que les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba avaient dénoncé les écarts de tarifs extrêmement importants pratiqués entre les deux catégories d'utilisateurs que sont les discothèques et les bars à ambiance musicale aboutissant à faire payer deux fois plus cher les premiers, assujettis à une redevance sur le chiffre d'affaires, par rapport aux seconds, assujettis à une redevance forfaitaire, sans aucune justification; qu'en se bornant à énoncer que ces deux catégories d'utilisateurs n'interviendraient pas sur le même marché et que le recours au régime de la redevance forfaitaire serait autorisé par l'article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle, sans rechercher si la différence de traitement réservée à chacune de ces catégories d'utilisateur conduisant à des écarts extrêmement importants de montants de redevances ne révélait pas l'existence de pratiques discriminatoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce (article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ;

3 / qu'il appartient au vendeur ou prestataire de service qui, pour un même service, applique des barèmes de prix différents, de justifier de la licéité de cette pratique ; qu'en se bornant à relever que l'application d'un régime de redevance forfaitaire aux discothèques réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 1 000 0000 francs est justifiée par les dispositions de l'article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle, sans rechercher concrètement si les conditions posées par ce texte pour l'application d'une redevance forfaitaire étaient réunies pour cette catégorie de discothèque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des article L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce (article 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986), ensemble l'article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que seul entre dans le champ d'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce l'abus qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, lequel peut être le marché dominé ou un autre marché ; que l'arrêt relève que les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba font grief à la SACEM de déterminer sans fondement légal ni réglementaire et de manière unilatérale, des catégories d'usagers auxquelles elle applique des taux de redevance différentes et discriminatoires et qu'elles prétendent que la différence de traitement entre les discothèques soumises au régime proportionnel et les bars d'ambiance musicale, soumise au régime à forfait, a un effet immédiatement anticoncurrentiel et constitue à leur égard un abus de position dominante et de dépendance économique ; que l'arrêt estime que ni les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba ni l'instruction n'apportent d'éléments permettant de remettre en cause les définitions de "bar à ambiance musicale" et discothèque" retenue par le Conseil ni de laisser penser que ces deux types d'établissements, dont les activités ne sont pas de même nature, agiraient sur le même marché et constitueraient une même catégorie d'utilisateurs ; qu'en déduisant de ces constatations que les différences de traitement auxquels ces catégories d'établissements sont soumises ne peuvent, en conséquence, être considérées comme étant discriminatoires et constitutives d'un abus de position dominante, la cour d'appel, qui a fait ressortir que l'abus allégué, à le supposer établi, et eût-il été commis sur le marché invoqué de la gestion collective du droit de diffusion publique, ne pouvait affecter le fonctionnement de la concurrence sur le marché sur lequel opéraient les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba, seul marché susceptible d'être atteint par les pratiques dénoncées, a statué à bon droit, sans avoir à procéder aux recherches invoquées à la deuxième branche du moyen que ses constatations rendaient inopérantes ;

Et attendu, en second lieu, que l'arrêt relève, en ce qui concerne les discriminations alléguées entre discothèques, que l'application d'un régime forfaitaire à des discothèques réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 1 000 000 francs ne constitue que l'application de l'article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle qui autorise à titre exceptionnel le recours à un régime forfaitaire notamment lorsque les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ; que l'arrêt estime que tel était le cas en l'espèce ; qu'ayant ainsi procédé à la recherche prétendument omise, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Qu'il suit de là qu'inopérant en sa deuxième branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1 / que la motivation par voie de référence à une jurisprudence équivaut à un défaut de motif; qu'appelée à se prononcer sur la licéité des conventions bilatérales conclues par la SACEM avec les sociétés de répartition étrangères, la cour d'appel qui énonce que "la licéité des accords de représentation réciproque que passent entre elles les sociétés de gestion collective des droits d'auteur de l'Union européenne a été reconnue tant par la Commission européenne que par les juridictions communautaires et nationales", a entaché son arrêt d'un défaut de motif en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu'une société nationale de gestion de droits d'auteur, qui occupe une position dominante sur une partie substantielle du marché commun, impose des conditions de transaction non équitables lorsque les redevances qu'elle applique aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres Etats membres, dans la mesure où la comparaison des niveaux de tarifs a été effectuée sur une base homogène ; qu'en se bornant à affirmer que les accords entre la SACEM et ses homologues de l'Union européenne étaient rendus nécessaires en raison de l'impossibilité pour les homologues ressortissant des autres pays d'assurer efficacement la gestion des utilisations faites de leur répertoire et qu'il n'était pas démontré que de tels accords auraient été conclus à des prix "anormalement élevés" par rapport à ceux pratiqués par les sociétés de répartition étrangères, sans rechercher si les prix pratiqués n'étaient pas seulement "sensiblement plus élevés", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 81 et 82 du Traité de l'Union européenne ;

3 / que les sociétés plaignantes ont dénoncé dans leur mémoire le défaut de communication par la SACEM des accords conclus avec les sociétés de gestion des droits d'auteurs des autres pays de l'Union européenne et des justifications comptables afférentes ; que la cour d'appel qui énonce que ces accords "prévoient le paiement de redevances dont la perception est effectuée par la société mandatée, pour le compte de l'autre société, selon les mêmes tarifs, méthodes et moyens de perception que ceux qu'elle applique aux oeuvres de son propres répertoire", sans indiquer l'origine de ces constatations de fait et les éléments de preuve sur lesquels elle se fondait, a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 81 et 82 du Traité de l'Union européenne, ensemble l'article 11 du nouveau Code de procédure civile ;

4 / qu'en toute hypothèse, les parties doivent se communiquer les éléments de preuve qu'elles invoquent ; que le juge ne saurait fonder sa décision sur des pièces qui n'ont pas été visées dans les conclusions lorsqu'il ne résulte pas des bordereaux de pièces communiquées qu'elles aient fait l'objet d'un débat contradictoire ; qu'en se fondant sur certaines dispositions des accords conclus entre la SACEM et les sociétés de répartition des droits d'auteur de l'Union européenne dont il ne résulte d'aucune pièce de la procédure qu'ils ont été versés aux débats et soumis à la discussion contradictoire, la cour d'appel a violé les articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt constate que les sociétés requérantes reprochent au Conseil de n'avoir pas sollicité de la SACEM la communication des accords financiers conclus avec ses homologues ressortissants de l'Union européenne ni la justification des rétrocessions opérées, pour permettre de quantifier la marge commerciale propre de cette société précisant que celle-ci, en continuant à appliquer son propre tarif en dehors de toute référence à la moyenne de ce qui est exigé par ses homologues étrangers, pratique nécessairement un tarif inéquitable au regard des articles 85 et 86 du traité de Rome ; que la cour d'appel, saisie de ce seul grief, qui relève qu'aucun élément ne permet de démontrer que les accords entre la SACEM et ses homologues ressortissant de l'Union européenne seraient conclus par la SACEM à des prix anormalement élevés par rapport à ceux pratiqués par les sociétés de répartition étrangères, ce dont il ressort que les sociétés 4D, Générale de la ferme et Heiba n'apportaient pas d'éléments suffisamment probants sur le caractère abusif des tarifs de la SACEM, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs inopérants mais surabondants, critiqués par les première, troisième et quatrième branches du moyen ; que celui-ci, qui ne peut être accueilli en ses première, troisième et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés 4D, Heiba et Générale de la ferme aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les sociétés 4D, Heiba et Générale de la ferme à payer à la SACEM la somme de 1 800 euros, à la SPRE la somme de 1 800 euros, à la SCPP la somme de 1 500 euros et à la SPEDIDAM la somme de 1 300 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept janvier deux mille quatre.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 01-12477
Date de la décision : 07/01/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

CONCURRENCE - Pratique anticoncurrentielle - Abus de position dominante - Applications diverses - Différences tarifaires - Condition.

Seul entre dans le champ d'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce l'abus qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence sur un marché, lequel peut être le marché dominé ou un autre marché. Ayant relevé que les faits dénoncés, à les supposer établis, ne pouvaient affecter le fonctionnement de la concurrence sur le marché sur lequel opéraient les opérateurs s'estimant victimes de pratiques discriminatoires au regard de la situation d'autres entreprises agissant sur un marché distinct, la cour d'appel a à bon droit décidé que les différences tarifaires invoquées n'étaient pas constitutives d'un abus de position dominante.


Références :

Code de commerce L420-2

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 22 mai 2001

A RAPPROCHER : Chambre commerciale, 2003-12-10, Bulletin 2003, IV, n° 202, p. 224 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 07 jan. 2004, pourvoi n°01-12477, Bull. civ. 2004 IV N° 3 p. 2
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2004 IV N° 3 p. 2

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Tricot.
Avocat général : Avocat général : M. Feuillard.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Champalaune.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Ghestin, la SCP Thomas-Raquin et Benabent, la SCP de Chaisemartin et Courjon, Me Blondel, la SCP Baraduc et Duhamel, la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:01.12477
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