AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 13 novembre 2001), rendu sur renvoi après cassation (3e chambre civile, 12 mai 1999, Bull. n° 113), que les époux X... et les époux Y... sont respectivement propriétaires de deux lots contigus situés dans un lotissement autorisé par un arrêté de lotir du 12 août 1929 ; qu'un désaccord les opposant sur la limite des deux fonds, les époux Y... ont assigné les époux X... en revendication de la partie de terrain formant un décrochement entre les deux parcelles, contrairement au tracé initial qui prévoyait une limite séparative rectiligne des deux fonds ;
Attendu que les époux Y... font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande, alors, selon le moyen :
1 / que le caractère équivoque de la possession implique le doute dans l'esprit des tiers et non dans celui du possesseur, lequel peut utilement usucaper dès lors qu'il se conduit en propriétaire ; que les dispositions du cahier des charges d'un lotissement, ainsi que l'arrêté préfectoral qui soumettent toute modification des lots à approbation préfectorale n'excluent pas qu'un coloti puisse prescrire par usucapion ;
qu'il en est de même de dispositions législatives subordonnant une telle modification à une décision prise à la majorité qualifiée des colotis ; que dès lors, la cour d'appel qui, pour dire que la possession des époux Y..., colotis, a été équivoque, se fonde tant sur le cahier des charges qui leur imposait contractuellement de ne pas se considérer comme propriétaires, et sur l'absence d'approbation préfectorale prévue par l'arrêté préfectoral du 12 août 1929, que sur l'inexistence d'une décision prise dans les conditions prévues par l'article L. 315-3 du Code de l'urbanisme, ce dont il résulte qu'elle a apprécié le vice d'équivoque au regard de l'intention des possesseurs et non des tiers, a violé les articles 2229, 2230 et 2262 du Code civil ;
2 / que l'article 18 du cahier des charges prévoit que "la société propriétaire pourra modifier le tracé ou la configuration des lots sous réserve de ne toucher en rien la viabilité, telle qu'elle aura été établie par M. le préfet" ; que cette disposition n'interdit pas aux colotis voisins de modifier contractuellement la ligne divisoire séparant leurs deux fonds et ne subordonne pas une telle modification à l'obtention d'une décision préfectorale ; que dès lors, la cour d'appel, qui retient que cette disposition n'autorisait que la société propriétaire, donc le lotisseur et non un acquéreur, à modifier conventionnellement ou par usucapion le tracé des lots, et qu'il n'est justifié d'aucune approbation préfectorale de la modification de tracé rectiligne originel entre les lots 6 et 7, pour en déduire que l'existence du décrochement n'a nécessairement résulté que d'une tolérance excluant la prescription acquisitive, a dénaturé ledit article du cahier des charges, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ;
3 / que le juge d'appel ne peut, sans méconnaître le principe de la contradiction, se fonder sur des documents, même énoncés dans les écritures d'une partie, s'il ne résulte pas des bordereaux de communication de pièces et notamment du bordereau récapitulatif devant être annexé aux dernières conclusions d'appel, que le document litigieux a été échangé entre les parties ; que dès lors, en se fondant sur l'arrêté préfectoral du 12 août 1929, pour dire que toute modification des lots était soumise à approbation préfectorale et qu'il n'était justifié d'aucune approbation préfectorale de la modification de tracé rectiligne originel entre les lots 6 et 7, ce dont il résultait nécessairement que l'existence du décrochement litigieux n'aurait résulté que d'une tolérance, cependant qu'il ne ressort ni des bordereaux de pièces communiquées, ni d'aucune autre pièce de la procédure que l'arrêté préfectoral du 12 août 1929 a été régulièrement soumis à la libre discussion des parties, la cour d'appel a violé les articles 16, 132 et 954 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que l'usucapion suppose une possession trentenaire exempte de vices de celui qui s'en prévaut ; que le juge qui déclare non acquise la prescription acquisitive trentenaire doit constater avec certitude la date des faits de possession invoqués ; qu'en l'espèce , les époux Y... se prévalaient d'une possession utile depuis 1951, date de construction des villas, relativement au décrochement litigieux ; que dès lors, la cour d'appel qui, pour écarter le bénéfice de cette prescription, se borne à énoncer que la possession des époux Y... existe depuis 1957 ou plus vraisemblablement depuis 1964, dernière date qui excluerait l'acquisition par prescription, sans préciser avec certitude le point de départ de cette prescription, a privé sa décision de base légale au regard des articles 2229, 2230 et 2262 du Code civil ;
5 / que le juge d'appel ne peut, sans méconnaître le principe de la contradiction, se fonder sur des documents, même énoncés dans les écritures d'une partie, s'il ne résulte pas des bordereaux de communication de pièces et notamment du bordereau récapitulatif devant être annexé aux dernières conclusions d'appel, que le document litigieux a été échangé entre les parties ; que dès lors, en se fondant sur l'attestation de M. Z... qui faisait le jardin du lot n° 7, pour dire que la possession des époux Y... existait plus vraisemblablement depuis 1964, et exclure l'acquisition par prescription des possesseurs, cependant qu'il ne ressort ni des bordereaux de pièces communiquées, ni d'aucune autre pièce de la procédure que l'attestation de M. Z... a été régulièrement soumise à la libre discussion des parties, la cour d'appel a violé les articles 16, 132 et 954 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que les documents, visés dans les conclusions, sur lesquels les juges se sont fondés et dont la production n'a donné lieu à aucune contestation, sont réputés, sauf preuve contraire, avoir été régulièrement produits et soumis à la libre discussion des parties ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que le plan parcellaire annexé à l'arrêt préfectoral du 12 août 1929 mentionnait une ligne rectiligne entre les deux lots et que l'article 3 du cahier des charges prévoyait que les lots étaient délimités suivant le plan déposé qui figurait des limites rectilignes et retenu qu'il n'était pas justifié que la modification du tracé rectiligne originel entre les lots 6 et 7 ait été demandée ou acceptée par la majorité des colotis ni approuvée par le préfet, la cour d'appel, qui en a souverainement déduit que l'existence du décrochement résultait nécessairement d'une tolérance, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les époux Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les époux Y... à payer aux époux X... la somme de 1 900 euros ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des époux Y... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois décembre deux mille trois.