AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu l'acte de notoriété en date du 26 novembre 2001 ;
Donne acte à MM. Alec X... et Guy X... de leur reprise d'instance en qualité d'ayants droit de Daniel X..., décédé le 23 octobre 2001 ;
Sur les moyens réunis du pourvoi principal et du pourvoi incident :
Vu les articles 1382 du Code civil, 34 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la loi susvisée se prescrivent après 3 mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société des éditions Austral a publié, en 1995, un livre de M. Y... intitulé "Le Musée disparu" et en sous-titre "Enquête sur le pillage des oeuvres d'art en France par les Nazis", mettant en cause le comportement pendant l'Occupation de Georges X..., marchand de tableaux à Paris, et lui imputant un trafic d'oeuvres d'art avec les nazis ; que par acte d'huissier de justice du 22 mai 1998, MM. Daniel X..., Alec X... et Guy X... (les consorts X...), respectivement fils et petits-fils de Georges X..., décédé, et la société de droit américain X... and company incorporated (la société), dont ils sont seuls actionnaires, ont fait assigner devant le tribunal de grande instance M. Y..., sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en responsabilité et réparation de leur préjudice ; que M. Y... a invoqué la prescription ;
Attendu que pour rejeter la demande des consorts X... et de la société, l'arrêt retient que les dispositions de l'article 34 de la loi sur la liberté de la presse "ne peuvent trouver application" que dans les cas où les auteurs des diffamations ou injures dirigées contre la mémoire des morts ont eu l'intention de porter atteinte à l'honneur et à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants, ce qui n'est pas le cas en l'espèce où les consorts X... et la société ne sont nullement visés, explicitement ou implicitement, par l'ouvrage litigieux ; que leur action fondée exclusivement sur les dispositions de droit commun de l'article 1382 est dès lors recevable ; qu'ayant la charge de la preuve, ils ont à démontrer l'existence d'une faute distincte des infractions aux dispositions spéciales rappelées, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute alléguée, étant observé que la liberté d'information et d'expression de l'historien trouve ses limites dans les cas où il manque au respect qu'il doit à la vérité ; que les consorts X... et leur société ne caractérisent pas l'existence d'inexactitudes, de dénaturations ou d'omissions de faits fautives imputables à M. Y... et à l'origine pour eux, qui ne sont nullement cités dans l'ouvrage litigieux, d'un préjudice personnel en liaison avec les fautes alléguées ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les faits d'atteintes à la mémoire d'un mort poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil relevaient par leur teneur de l'article 34 de la loi précitée, et que l'action exercée par les consorts X..., à titre personnel ou sous le couvert de la société, ne pouvait être engagée plus de trois mois après la publication du livre litigieux, de sorte qu'elle n'était pas recevable, la cour d'appel a violé le premier des textes susvisés, par fausse application, et les autres, par refus d'application ;
Et vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile :
Attendu qu'il y a lieu de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 mai 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DECLARE prescrite et irrecevable l'action des consorts X... et de la société de droit américain X... and company incorporated ;
Dit que les dépens afférents aux instances devant les juges du fond seront à la charge des consorts X... et de la société X... and company incorporated ;
Condamne les consorts X... et la société X... and company incorporated aux dépens devant la Cour de cassation ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les consorts X... et la société X... and company incorporated, in solidum, à verser à M. Y... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille trois.