AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit octobre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ROGER, les observations de Me BALAT, de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Martial,
contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de SAINTES, en date du 3 juillet 2002, qui a autorisé l'administration des Impôts à effectuer des visites et saisies de documents en vue de rechercher la preuve d'une fraude fiscale ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L.16 B du Livre des procédures fiscales, 427, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 66 de la Constitution du 4 octobre 1958, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé des inspecteurs des Impôts à procéder à une visite domiciliaire dans des locaux occupés par Martial X..., sis ... ;
"alors, en premier lieu, que si les motifs et le dispositif de l'ordonnance rendue sur le fondement de l'article L.16 B du Livre des procédures fiscales sont réputés être établis par le juge qui l'a signée, il en est autrement lorsque la preuve contraire résulte des pièces du dossier officiel et notamment des propres mentions de la décision entreprise ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance attaquée, rendue le 3 juillet 2002, que le juge des libertés et de la détention, saisi le même jour, a dû examiner et analyser 18 pièces représentant 98 feuillets ; qu'en outre, cette décision reproduit servilement tant la typographie de la requête que les erreurs de plume contenues dans celles-ci (notamment à propos de la pièce 12) ; qu'ainsi, il est établi que le juge des libertés et de la détention, qui n'a pas disposé du temps matériel pour examiner et analyser les pièces jointes à la requête de l'Administration, a méconnu les exigences de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales et le principe de la séparation des pouvoirs en se bornant à reproduire et à contresigner cette requête pour l'authentifier ;
"alors, en deuxième lieu, que, s'il n'est pas interdit au juge de faire état d'une déclaration anonyme, dès lors que cette déclaration lui est soumise par un document établi par les agents de l'Administration et signé par eux, permettant ainsi d'en apprécier la teneur, la prise en considération d'une telle déclaration ne répond aux exigences de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales que si elle est corroborée par d'autres éléments d'information décrits et analysés par le juge ; qu'en l'espèce, cette exigence a été méconnue par l'ordonnance attaquée, dès lors que les accusations de fraude portées contre Martial X... reposent exclusivement sur la déclaration anonyme parvenue à la connaissance de l'administration fiscale, et par ailleurs, que les éléments censés corroborer ces accusations ne sont pas de nature à établir ni même à faire présumer l'existence d'une telle fraude ; qu'ainsi, l'examen des communications téléphoniques passées par Martial X... ne permet pas de déduire l'existence d'une rémunération occulte en provenance de pays étrangers ; qu'il en est de même des virements constatés au profit de tiers, aucun lien n'étant établi entre les bénéficiaires de ces virements et l'activité présumée de Martial X... ; que, par suite, en faisant droit à la requête, sans qu'aucun élément d'information décrit et analysé ne vienne corroborer la déclaration anonyme litigieuse, le juge des libertés et de la détention, pour autant que l'ordonnance attaquée soit son oeuvre, a violé l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
"alors, en troisième lieu, qu'en toute hypothèse, s'il n'est pas interdit au juge de faire état d'une déclaration anonyme, dès lors que cette déclaration lui est soumise par un document établi par les agents de l'Administration et signé par eux, permettant ainsi d'en apprécier la teneur, et qu'elle est corroborée par d'autres éléments d'information décrits et analysés par lui, c'est à la condition qu'il précise, dans sa décision, en quoi, en ce cas, les éléments d'information produits par l'Administration et qu'il retient, corroborent les termes de la déclaration anonyme ; qu'en l'espèce, le juge des libertés et de la détention n'a pas précisé concrètement en quoi les autres pièces produites par l'Administration qu'il a retenues au soutien de sa décision auraient été de nature à corroborer les termes de la déclaration anonyme relatée dans le compte rendu du 7 août 2001 ; qu'ainsi, il a exposé sa décision à la censure pour manque de base légale au regard de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
"et alors, en dernier lieu, que le seul élément au dossier justifiant les accusations de fraude portées contre Martial X..., à savoir la déclaration rapportant à l'administration fiscale des informations communiquées par une personne souhaitant garder l'anonymat (pièce n° 9) avait une origine manifestement illicite ;
qu'en effet, cette déclaration anonyme parvenue à la connaissance des agents des Impôts le 7 août 2001 aux termes mêmes du compte rendu établi par ceux-ci, faisait état d'éléments inconnus à la date du 7 août 2001, tels la prétendue perception par Martial X... d'une commission de 15 245 euros en septembre 2001 ou la vente d'un cheval qui n'est en définitive intervenue qu'en octobre 2001 ; que le même document, censé avoir été établi le 7 août 2001, fait encore état d'une distinction qui n'a été remise à Christophe Pieux que le 15 août 2001 (la "cravache d'or" 2001) ; qu'ainsi, en se fondant exclusivement sur cette déclaration anonyme dont un simple examen cursif permettait de constater qu'elle était douteuse et dans tous les cas antidatée, le juge des libertés et de la détention a violé l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales" ;
Attendu, d'une part, que les motifs et le dispositif de l'ordonnance sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée ; que la circonstance que l'ordonnance a été rendue le jour même de la présentation de la requête est sans incidence sur sa régularité ;
Attendu, d'autre part, que le juge peut faire état d'une déclaration anonyme faite oralement aux agents de l'administration fiscale, dès lors qu'elle est, comme en l'espèce, corroborée par d'autres éléments d'information que l'ordonnance décrit et analyse ;
Attendu, enfin, que le juge énonce que les pièces produites à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite ; que toute contestation au fond sur ce point, relève du contentieux dont peuvent être saisies les juridictions éventuellement appelées à statuer sur les résultats de la mesure autorisée ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Roger conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;