AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit octobre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ROGER, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... John,
- Y... Phyllis, épouse X...,
contre l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de VERSAILLES, juge des libertés et de la détention, en date du 2 juillet 2002, qui a autorisé l'administration des Impôts à effectuer des visites et saisies de documents en vue de rechercher la preuve d'une fraude fiscale ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 16 B du Livre des procédures fiscales, ensemble les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2268 du Code civil et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé les visites et saisies sollicitées ;
"aux motifs que les pièces produites à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées pour la motivation de la présente ordonnance ; que la société de Chambrun et associés, représentée par sa gérante Françoise Z..., est immatriculée le 21 juin 1982 au registre des sociétés et a son siège social sis ... (pièce n° 1a) ; que la société de Chambrun et associés, a pour activité l'exercice en commun par ses membres de leur profession d'avocat et dispose de locaux professionnels sis ... (pièce n° 1a) ; que la société de Chambrun et associés a, au 31 décembre 1999, deux associés, John X... et Françoise Z... précitée, possédant, chacun, 50 % des parts sociales (pièce n° 1b) ; que la raison sociale et la forme juridique de la société ont été modifiées le 4 septembre 2000, la société civile professionnelle de Chambrun et associés, devenant la selarl (société d'exercice libéral à responsabilité limitée) de Chambrun et associés (pièce n° 1a) ; que la société civile professionnelle de Chambrun et associés, a fait l'objet d'une procédure de vérification générale de sa comptabilité, au titre de la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 1999, diligentée par Mlle Isabelle A... en résidence à la 18ème brigade de la Dircofi Ile-de-France Ouest jusqu'au 31 août 2001 et en résidence à la 16ème brigade de la Dircofi Ile-de-France Ouest à compter du 1er septembre 2001, 78/80, avenue du Général de Gaulle - 93170 Bagnolet (pièces n° 6a à 6y) ; que les opérations de contrôle précitées ont donné lieu à l'envoi de deux notifications de
redressements du 10 décembre 2001, l'une adressée à la société civile professionnelle de Chambrun et associés et copie à son représentant, Me Laurent Cornon, et l'autre adressée à M. ou Mme William B... (pièces n° 6 g, 6r, et 6t) ; que la société civile professionnelle de Chambrun et associés et Françoise Z...-Lauriol, représentées par Me Laurent Cornon précité, ont présenté des observations aux notifications de redressements susmentionnées (pièces 6s et 6u) ; que, pendant la procédure de contrôle précitée, le service vérificateur a demandé l'assistance de la Direction des vérifications nationales et internationales, 2ème brigade des vérifications des comptabilités informatisées - BVCI - (pièces n° 61 et 60) ; que la société civile professionnelle de Chambrun et associés utilise un logiciel comptable "Logitemps", qui attribue, automatiquement et de façon continue, un numéro de facture à chaque facture émise (pièces n° 6a et 6y) ; que, selon ce logiciel et pour l'exercice 1999, la société a émis des factures du numéro 9900001 au numéro 9900373 (pièces n° 6a et 6y) ; que les factures numérotées de 9900283 à 9900299 n'ont pas été comptabilisées par la société civile professionnelle de Chambrun et associés (pièce n° 6a) ; que ces factures n'ont pas été présentées par la société civile professionnelle de Chambrun et associés au service vérificateur, et ce, malgré les demandes faites lors du débat oral et contradictoire par ce service au cours des opérations de contrôle (pièce n° 6a) ; que, de plus, la numérotation des factures telle qu'elle figure en comptabilité commence en 1999 au numéro 9900100 et non au 9900001 (pièce n° 6a) ; que les factures numérotées de 9900001 à 9900099 n'ont été ni comptabilisées ni présentées au service vérificateur malgré ses demandes (pièce n° 6a) ; que, pour toute justification, la société civile professionnelle de Chambrun et associés invoque des erreurs de manipulations informatiques (pièce n° 6a) ; que, dès lors, il peut être présumé que la société civile professionnelle de Chambrun et associés n'a pas comptabilisé toutes les factures émises au titre de l'année 1999 ; que la procédure de contrôle précitée s'est conclue par une absence de redressements dans la mesure où le montant des recettes susceptibles d'être omises n'a pu être quantifié (pièce n° 6v) ; que, par ailleurs, au cours de la procédure de contrôle précitée, le service vérificateur s'est intéressé au règlement des factures numéros 9900239 et 9900240 émises par la société en 1999 (pièce n° 6a) ; que ces deux factures sont établies et adressées à la société Seafront Properties et à la famille C..., comme le service vérificateur a pu le constater sur place (pièce n° 6a) ; que la société Seafront Properties et Mme C..., ont cédé, chacune, un bien immobilier sis, respectivement, ... et ... (pièces n° 8a et 8b) ; que John X..., précité, apparaît lors de ces deux cessions immobilières, comme le représentant de la société Seafront Properties et de Mme C... (pièces n° 8a et 8 b) ; que le règlement de ces deux factures est comptabilisé par la société civile professionnelle de Chambrun et associés sur un compte de tiers numéro 9200093 (pièce n° 6a) ; que le service vérificateur a
constaté que ce compte de tiers correspond au compte de la société Euromarine Investment (pièce n° 6a) ; que cette société a son siège social au Libéria (pièce n° 6a) ; que la société Euromarine Investment est inconnue des banques de données internationales consultées (pièce n° 7) ; qu'aucun lien ne peut être établi entre Mme C... et la société Euromarine Investment, ni entre les sociétés Seafront Properties et Euromarine Investment ; qu'en raison du secret professionnel invoqué par la société civile professionnelle de Chambrun et associés, le service vérificateur n'a pu avoir accès à l'ensemble des comptes de tiers de façon exhaustive et nominative (pièce n° 6a) ; que les règlements des deux factures précitées auraient dû, conformément aux règles comptables, être inscrits dans la comptabilité de la société civile professionnelle de Chambrun et associés aux comptes de tiers respectifs des deux clients, à savoir aux comptes de Mme C... et de la société Seafront Properties ;
que la procédure de contrôle précitée engagée à l'encontre de la société civile professionnelle de Chambrun et associés, n'a pas permis d'apporter d'explications sur ces écritures comptables qui paraissent inexactes et influent sur la comptabilisation des recettes ;
que les agissements relevés à l'encontre de la société civile professionnelle de Chambrun et associés sur l'exercice clos en 1999 et concernant les présomptions de défaut de comptabilisation de factures, de minoration de recettes et d'écritures comptables inexactes, sont susceptibles d'avoir perduré sur les années suivantes ; que John X..., né le 12 mai 1926 à Paris 6ème, demeure avec son épouse née Y... le 28 février 1941, 19, rue Paul Albert à Paris 18ème (pièces n° 2a et 2b) ; que John X... est associé à hauteur de 50 % de la selarl de Chambrun et associés, (pièce n° 1b) ; que John X... précité, a été gérant de la société de Chambrun et associés jusqu'au 21 février 2002 (pièce n° 1a) ;
qu'en raison des fonctions exercées par John X... jusqu'au 21 février 2002 au sein de la selarl de Chambrun et associés et de sa qualité d'associé dans cette société, celle-ci est susceptible de détenir à son domicile des documents ou supports d'information relatifs à la fraude présumée ; que M. et Mme X... déposent leurs déclarations de revenus n° 2042 au centre des impôts territorialement compétent pour leur adresse du ... (pièces n° 2a et 2b) ; que M. et Mme X... sont pris en compte à la taxe d'habitation à cette adresse (pièce n° 2c) ; que la société civile immobilière Tryan est propriétaire de locaux sis 19, rue Paul Albert à Paris 8ème, qu'occupent les époux X... (pièce n° 2c) ; que les abonnements EDF pris par la société civile immobilière Tryan au ... réglés par un compte bancaire tenu dans les livres de la société générale ouvert au nom de M. X... (pièces n° 2d et 2e) ; que les époux X... ont également la libre disposition de l'immeuble sis ..., propriété de la société civile immobilière Pye (pièces n° 3a et 3c) ; que M. et Mme X... sont associés à parts égales de la société civile immobilière Pye (pièce n° 3b) ; que Françoise Z..., ex-épouse B..., née le 28 mai 1940 à ..., demeure ... (pièce n° 5) ; que Françoise Z... est associée à hauteur de 50 % et gérante de la selarl de Chambrun et associés (pièces n° 1a et 1 b) ;
qu'en raison des fonctions exercées par Françoise Z... au sein de la selarl de Chambrun et associés et de sa qualité d'associée dans cette société, celle-ci est susceptible de détenir à son domicile des documents ou supports d'information relatifs à la fraude présumée ; que seule l'existence de présomptions est requise pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ; que, dès lors, il existe des présomptions selon lesquelles la selarl de Chambrun et associés minorerait son chiffre d'affaires et passerait des écritures comptables inexactes ou fictives ;
1 ) "alors que, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance, statuant sur une demande d'autorisation de perquisitions sur le fondement de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, doit vérifier concrètement que les éléments d'information qui lui sont présentés font effectivement présumer les infractions alléguées ; que la bonne foi est toujours présumée, et que c'est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver ; que, pour expliquer l'absence de plusieurs des factures normalement émises par le logiciel de comptabilité, les responsables de la société de Chambrun et associés avaient expliqué qu'ils avaient commis des erreurs de manipulation ; que l'administration fiscale n'a fait état d'aucune diligence propre à exclure l'existence de telles erreurs, et partant, à établir la mauvaise foi ; que le juge des libertés ne pouvait donc, sans méconnaître la présomption de bonne foi, considérer néanmoins que l'absence des factures pouvait faire présumer que la société de Chambrun et associés minorerait son chiffre d'affaires ;
2 ) alors que, le juge des libertés et de la détention, statuant sur une demande d'autorisation de perquisitions sur le fondement de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, doit vérifier concrètement que les éléments d'information qui lui sont présentés font effectivement présumer les infractions alléguées ;
qu'il ne pouvait ainsi présumer "que les agissements relevés à l'encontre de la société civile professionnelle de Chambrun et associés sur l'exercice clos en 1999 et concernant les présomptions de défaut de comptabilisation de factures, de minoration de recettes et d'écritures comptables inexactes, sont susceptibles d'avoir perduré sur les années suivantes", sans faire état d'aucun élément de nature à accréditer la persistance des agissements invoqués ;
3 ) "alors qu'en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ; que les documents couverts par le secret ne peuvent être saisis que dans la mesure où ils sont de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à la fraude ; que le juge des libertés et de la détention ne pouvait donc autoriser la saisie de pièces couvertes par le secret, afin d'expliquer le versement sur un compte de tiers différent de celui à qui les factures étaient adressées, sans constater que ces saisies étaient de nature à établir que les avocats avaient participé à la fraude présumée" ;
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches ;
Attendu que le juge, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration et qui n'avait pas à caractériser la mauvaise foi des contribuables, a souverainement apprécié l'existence de présomptions d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée ;
Sur le moyen, pris en sa troisième branche ;
Attendu que le juge, après avoir analysé les pièces fournies par l'Administration, en a déduit qu'il existait des présomptions selon lesquelles la Selarl de Chambrun et associés minorerait son chiffre d'affaires et passerait des écritures comptables inexactes ou fictives ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa troisième branche, doit être écarté ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Roger conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;