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07/10/2003 | FRANCE | N°03-81324

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 octobre 2003, 03-81324


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept octobre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BEAUDONNET, les observations de Me GEORGES et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Charles,

- Y... Marie-Christine,

- Z... Elisabeth,

contre l'arrêt de la cou

r d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 27 septembre 2002, qui a confirmé le jugem...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept octobre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BEAUDONNET, les observations de Me GEORGES et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Charles,

- Y... Marie-Christine,

- Z... Elisabeth,

contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 27 septembre 2002, qui a confirmé le jugement les condamnant pour abus de faiblesse, chacun, à 12 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende, et qui a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi d'Elisabeth Z... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur les pourvois de Charles X... et Marie-Christine Y... :

Vu les mémoires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Charles X..., pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles L. 212-1 et R. 213-7 du Code de l'organisation judiciaire, des articles 510 et 511 du Code de procédure pénale ;

"en ce qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la cour d'appel était composée de "M. Lieber, conseiller, faisant fonction de président, désigné par ordonnance de M. le Premier président en date du 17 décembre 2001" ;

"alors que toute accusation en matière pénale devant être examinée par un tribunal établi par la loi, la composition d'une formation de jugement doit être conforme aux dispositions législatives et réglementaires prévues à cet effet ; que tout arrêt devant faire la preuve par lui-même de la composition légale de la juridiction de laquelle il émane, la seule mention relative à un magistrat "conseiller, faisant fonction de président, désigné par une ordonnance du premier président en date du 17 décembre 2001", qui ne précise pas au regard des dispositions de l'article R. 213-7 du Code de l'organisation judiciaire à quel titre ce magistrat a été désigné dans les fonctions de président, ne permet pas d'établir que la juridiction est légalement établie ; que, dès lors, l'arrêt attaqué n'encourt pas la nullité" ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Marie-Christine Y..., pris de la violation des articles 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 34 de la Constitution, ensemble 510 et 511 du Code de procédure pénale et L. 212-1, R. 213-7 et R. 213-8 du Code de l'organisation judiciaire ;

"en ce que la cour d'appel ayant rendu l'arrêt attaqué se trouvait présidée par M. Lieber, "conseiller, faisant fonction de président, désigné par ordonnance de M. le premier président en date du 17 décembre 2001" ;

"1 ) alors que la chambre des appels correctionnels est composée d'un président de chambre et de deux conseillers ; que la procédure pénale relevant, selon l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi, la désignation d'un conseiller faisant fonction de président en vertu des seules dispositions réglementaires du Code de l'organisation judiciaire, par dérogation aux exigences législatives expresses du Code de procédure pénale, ne saurait conférer une composition légale à la juridiction dont l'arrêt émane ;

qu'ayant statué ainsi composée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2 ) alors que l'arrêt attaqué ne pouvait, en toute hypothèse, établir la régularité de la composition de la juridiction dont il émanait sans préciser à quel titre le conseiller Lieber faisait, en l'occurrence, fonction de président "désigné par ordonnance de M. le premier président en date du 17 décembre 2001" ; qu'en l'état de cette seule mention, qui ne précise pas au regard des dispositions des articles L. 212-1, R. 213-7 et R. 213-8 du Code de l'organisation judiciaire à quel titre le magistrat susnommé avait été désigné, la cour d'appel a violé, derechef, les textes susvisés" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel était composée, conformément aux prescriptions des articles 510 du Code de procédure pénale et L. 212-2 du Code de l'organisation judiciaire ;

Que, dès lors, les moyens doivent être écartés ;

Sur le second moyen de cassation, proposé pour Charles X..., pris de la violation de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 112-1 et 223-15-2 du Code pénal, de l'article 313-4 ancien du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Charles X... du chef d'abus de faiblesse à la peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis ;

"aux motifs que les comptes d'Albert A... avaient fait l'objet de retraits d'argent liquide depuis que Charles X... bénéficiait d'une procuration et que ce dernier, ainsi que Marie-Christine Y..., avaient également été bénéficiaires de dix-neuf chèques ; tous ces chèques ont été émis entre décembre 1995 et août 1996 ; qu'Albert A... a émis les premiers chèques au profit des prévenus en décembre 1995, alors qu'âgé de 84 ans et demi, il venait de perdre son épouse après 52 années de vie commune, ce qui suffit à expliquer sa vulnérabilité sur le plan psychologique, à défaut de ses repères habituels et confronté à l'obligation de trouver de nouveaux appuis, tant dans sa vie pratique que dans sa vie affective ; qu'en outre, à la suite de l'accident vasculaire de février 1997, Albert A... a présenté une hémiparésie dont les séquelles ont contribué à l'appauvrissement de son expression mentale ; que ceci caractérise l'extrême faiblesse d'Albert A... dont la vulnérabilité préexistait aux faits litigieux et était connue des prévenus qui le côtoyaient quotidiennement ; qu'en ce qui concerne la contrainte subie par Albert A..., comptable en retraite, qui n'avait jamais connu d'incidents bancaires avant les faits litigieux, lesquels sont postérieurs au décès de son épouse, il convient de relever que Charles X... a continué de procéder à des retraits considérables même après l'interdiction bancaire d'Albert A... ; que la vente en viager conclue quatre mois après le décès de son épouse était totalement déraisonnable eu égard au capital versé et au montant des mensualités et qu'Albert A... a dû être influencé pour s'engager de la sorte ;

"alors, d'une part, que les lois nouvelles plus sévères ne peuvent s'appliquer à des faits commis avant leur entrée en vigueur ; qu'en appliquant le délit d'abus de faiblesse dans sa rédaction issue de la loi du 12 juin 2001, plus sévère en ce qu'elle vise le fait de "conduire" et non plus "d'obliger" une personne à un acte ou une abstention, au détriment de Charles X... qui contestait avoir obligé Albert A... à consentir aux actes visés par la prévention, la cour d'appel a violé les textes précités ;

"alors, d'autre part, que le délit d'abus de faiblesse, dans sa rédaction antérieure comme postérieure à la loi du 12 juin 2001, suppose un abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse ayant obligé (article 313-4 du Code pénal) ou conduit (article 223-15-1 du Code pénal) la personne vulnérable à un acte ou une abstention qui lui est gravement préjudiciable ; qu'en se bornant à relever, par la constatation de l'importance des prélèvements réalisés en espèce ou par chèque sur les comptes d'Albert A..., le caractère préjudiciable des actes accomplis par Albert A... - en l'espèce la remise d'une procuration et l'émission de chèques - sans constater l'abus de l'état de faiblesse ou d'ignorance qui aurait été à l'origine de la remise de cette procuration et de chacun des chèques litigieux, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;

"alors, enfin, qu'en se bornant à relever que la vulnérabilité d'Albert A... était connue des prévenus, sans établir que ces derniers, à supposer même qu'ils aient eu conscience de l'état de faiblesse d'Albert A..., ont eu conscience de commettre, en se faisant remettre la procuration et les chèques litigieux, un abus de faiblesse à l'encontre d'Albert A..., la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision" ;

Sur le second moyen de cassation, proposé pour Marie-Christine Y..., pris de la violation des articles 7.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 112-1 du Code pénal, 223-15-2 du même Code, issu de la loi du 12 juin 2001, déclaré applicable en cause d'appel, et 313-4 ancien dudit Code, en vigueur au moment des faits, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, confirmant le jugement entrepris, a déclaré Marie-Christine Y... coupable du délit d'abus de la faiblesse d'une personne vulnérable, sur le fondement de l'article 223-15-2 du Code pénal, et l'a condamnée, de ce chef, à douze mois d'emprisonnement ainsi qu'à 10 000 euros d'amende ;

"aux motifs qu'il ressort des éléments du dossier, et notamment de l'examen des opérations relatives aux deux comptes bancaires d'Albert A..., qu'ils avaient fait l'objet de retraits d'argent liquide d'un montant total de 235 000 francs depuis que Charles X... bénéficiait d'une procuration et que ce dernier, ainsi que Marie-Christine Y..., avaient également été bénéficiaires de dix-neuf chèques d'un montant total d'environ 230 000 francs ; qu'en outre, la mère de Marie-Christine Y..., Elisabeth Z..., s'était elle aussi vu remettre dix-neuf chèques pour un montant global de 272 500 francs, tous ces chèques ayant été émis entre décembre 1995 et août 1996 ; qu'au total, le montant des prélèvements et chèques litigieux dépassait 700 000 francs ; qu'il s'avère que de nombreux versements en espèces étaient effectués régulièrement sur leurs comptes ; qu'il est constant qu'Albert A... a émis les premiers chèques au profit des prévenus en décembre 1995, alors âgé de 84 ans et demi, il venait de perdre son épouse après 52 ans de vie commune, ce qui suffit à expliquer sa vulnérabilité sur le plan psychologique à défaut de ses repères habituels et confronté à l'obligation de trouver de nouveaux appuis, tant dans sa vie pratique que dans sa vie affective ; qu'en outre, le médecin psychiatre qui a examiné Albert A... dans le cadre de l'expertise ordonnée par le magistrat instructeur a relevé qu'à la suite de l'accident vasculaire de février 1997, Albert A... a présenté une hémiparésie dont les séquelles ont contribué à l'appauvrissement de l'expression mentale du patient ; que ceci caractérise l'extrême faiblesse d'Albert A... dont la vulnérabilité préexistait à l'évidence aux faits litigieux et était connue des prévenus qui le côtoyaient quotidiennement ; qu'en ce qui concerne la contrainte subie par Albert A..., comptable en retraite, qui n'avait jamais connu d'incident bancaire avant les faits litigieux, lesquels sont postérieurs au décès de son épouse, il convient de relever que Charles X... a contribué à procéder à des retraits considérables même après l'interdiction bancaire d'Albert A... ; que la vente en viager 4 mois après le décès de son épouse était totalement déraisonnable eu égard au capital versé et au montant des mensualités et qu'Albert A... a dû être influencé pour s'engager de la sorte ; qu'enfin, c'est à tort que les prévenus affirment que les sommes, dont ils ont bénéficié, auraient rétribué les services et aides rendus à Albert A..., compte tenu de l'importance desdits montants, à savoir une moyenne mensuelle supérieure à 30 000 francs pour le seul compte B... ; que, par ailleurs, divers témoins dont l'assistante sociale Claude C... et des employés de banque révèlent la réalité de la crainte qu'avait Albert A...

vis-à-vis de Charles X... ; qu'en ce qui concerne l'extrême gravité du préjudice subi par Albert A..., les chiffres le démontrent, ses comptes ayant été quasiment vidés de leur substance et son habitation ayant été bradée ; que les éléments constitutifs

du délit d'abus de faiblesse sont donc parfaitement réunis ;

"1 ) alors qu'une loi pénale modifiant une incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis antérieurement à sa promulgation et non encore définitivement jugés lorsqu'elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ; que la loi du 12 juin 2001, abrogeant l'article 313-4 du Code pénal et créant un article 223-15-2 dans le même Code, a étendu l'incrimination d'abus de faiblesse de l'hypothèse dans laquelle le prévenu a "obligé" la victime à l'hypothèse dans laquelle il l'a seulement "conduite" à se dépouiller ; qu'en se substituant, en l'espèce, à l'article 313-4 du Code pénal, ce nouvel article 223-15-2, qui élargit le champ de l'incrimination aux hypothèses dans lesquelles une contrainte seulement indirecte a été exercée, au détriment de la demanderesse qui contestait l'existence de toute pression sur la victime, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2 ) alors que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; qu'à supposer même que l'article 223-15-2 du Code pénal ait été applicable à la cause, le délit d'abus de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse supposait que son auteur eût "conduit" la personne vulnérable à se dépouiller ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait retenir la demanderesse dans les liens de la prévention sans avoir caractérisé l'acte ou les actes de nature à établir comment elle aurait poussé sa prétendue victime à lui remettre de nombreux chèques durant un an et demi ; qu'en déduisant la matérialité de l'abus de la seule importance du préjudice constaté, sans avoir caractérisé les actes auxquels la demanderesse se serait livrée pour atteindre ce résultat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"3 ) alors qu'il en aurait été d'autant plus ainsi, sous l'empire de l'ancien article 313-4 du Code pénal, faute pour la cour d'appel d'avoir caractérisé en quoi la demanderesse aurait contraint Albert A... à lui remettre plusieurs chèques ;

"4 ) alors, subsidiairement, qu'en vertu de l'article 223-15-2 du Code pénal appliqué par la cour d'appel, la situation de particulière vulnérabilité d'une personne doit être non seulement connue du prévenu mais également apparente ; qu'en retenant le trouble causé par la disparition de l'épouse d'Albert A... et par l'hospitalisation de ce dernier, pourtant survenue après la remise des chèques litigieux, sans relever que sa vulnérabilité aurait été apparente, de sorte que la demanderesse aurait abusé frauduleusement d'une situation de faiblesse ostensible, la cour d'appel a, en toute hypothèse, entaché sa décision d'un manque de base légale" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt confirmatif mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'abus de faiblesse, prévu au moment des faits par l'article 313-4 du Code pénal et aujourd'hui par l'article 223- 15-2 dudit Code, dont elle a déclaré chacun des prévenus coupable, et a ainsi justifié l'allocation au profit de la partie civile, d'une indemnité provisionnelle sur la réparation du préjudice en découlant ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Beaudonnet conseiller rapporteur, M. Farge conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 03-81324
Date de la décision : 07/10/2003
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, 27 septembre 2002


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 oct. 2003, pourvoi n°03-81324


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2003:03.81324
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