AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept octobre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PALISSE, les observations de la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Marie,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 30 octobre 2002, qui, pour subornation de témoins, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 30 000 francs d'amende et 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 434-15 du Code de procédure pénale, 8, 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Marie X... coupable d'avoir de septembre 1995 à août 1998 usé de pressions au cours d'une procédure judiciaire pour déterminer Christian Y... et Romain Z... à s'abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation ;
"aux motifs que les premiers juges pour rejeter le moyen de la prescription de l'action publique ont considéré en substance que si le délit de subornation est un délit instantané, il n'en demeure pas moins que les événements de 1995 sont étroitement liés à ceux de 1998 et n'ont d'importance que parce qu'en 1998, ils ont pris toute leur signification ; que, si les faits découverts en 1995 ne pouvaient à eux seuls faire avancer une enquête ils n'ont de valeur que parce qu'ils sont suivis de nouvelles découvertes en 1998 ; qu'au surplus il est incontestable que les faits de 1995 et 1998 concernent un même événement, la mort de Jean-Claude A...
B... ; que les faits de 1995 et 1998 sont indissociables ; que, dès novembre 1999, ces faits de subornation de témoin faisaient l'objet d'une enquête de sorte que les faits reprochés à Jean-Marie X... ne sont pas prescrits ; qu'en statuant ainsi les premiers juges ont justifié leur décision ; que les poursuites ont été engagées par le ministère public à la date du 30 novembre 1999, soit moins de trois ans après que Christian Y... et Romain Z... eurent formellement reconnu courant août 1998 l'auteur de faits d'homicides volontaires relatés par la
presse comme étant l'individu qui leur avait tenu dans la soirée du 30 août 1995, au pied de l'immeuble de Jean-Claude A...
B..., d'étranges propos en relation avec la mort de ce dernier ; que le prévenu n'a pas hésité, courant août 1998 à la suite d'une réunion tenue en mairie à la demande pressante de Christian Y... qui insistait et voulait savoir s'il devait rapporter aux enquêteurs les faits constatés en 1995, à exercer à l'égard de ce dernier de véritables pressions ou menaces "si tu as envie d'en parler parles en mais ne parles pas de moi ; tu n'as pas à te plaindre, ton frère est à la permanence du parti, ton autre frère et toi vous êtes à la mairie et vous n'avez pas à vous plaindre" qui ne pouvaient que l'inciter -de même que son collègue de travail - à ne pas déposer devant les enquêteurs par crainte de perdre son emploi ou de nuire à ses proches parents ; que le délit de subornation de témoin est constitué en tous ses éléments à compter d'août 1998 ;
"alors que le délit de subornation de témoins est un délit instantané ; qu'un acte interruptif de prescription ne saurait avoir aucun effet sur des faits commis plus de trois ans avant l'acte initial de poursuite, ces faits seraient-ils connexes ou indivisibles avec d'autres faits ; qu'en l'espèce en confirmant le jugement déclarant Jean-Marie X... coupable de subornation de témoins de septembre 1995 à août 1998, aux motifs que les faits de 1995 et de 1998 seraient indissociables, tout en constatant que le premier acte de poursuite est de novembre 1999, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 434-15 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré Jean-Marie X... coupable de subornation de témoins ;
"aux motifs que les premiers juges ont relevé qu'il existait une hiérarchie importante au sein des structures que constituent le Front National et le DPS, structures dont relèvent tant Christian Y... que Romain Z... et que la seule explication du silence des témoins - et de leur absence de déposition dans le cadre de l'affaire A...
B... est le souci de respecter la hiérarchie et la crainte de représailles par des personnes fragiles et soucieuses par principe de ne rien faire pour contrecarrer cette hiérarchie ;
qu'en statuant ainsi les premiers juges ont justifié leur décision ;
que Christian Y... et Romain Z... étaient dans un lien de dépendance très fort non seulement au sein des structures du Front National et du DPS, dont Jean-Marie X... était un membre éminent, mais aussi à l'égard de Jean-Marie X..., maire de Toulon, en leur qualité d'employés municipaux de cette ville ; que le prévenu n'a pas hésité, courant août 1998 à la suite d'une réunion tenue en mairie à la demande pressante de Christian Y... qui insistait et voulait savoir s'il devait rapporter aux enquêteurs les faits constatés en 1995, à exercer à l'égard de ce dernier de véritables pressions ou menaces "si tu as envie d'en parler parles en mais ne parles pas de moi ; tu n'as pas à te plaindre, ton frère est à la permanence du parti, ton autre frère et toi vous êtes à la mairie et vous n'avez pas à vous plaindre" qui ne pouvaient que l'inciter - de même que son collègue de travail - à ne pas déposer devant les enquêteurs par crainte de perdre son emploi ou de nuire à ses proches parents ; que le délit de subornation de témoin est constitué en tous ses éléments à compter d'août 1998 ;
"et aux motifs adoptés que Romain Z... précise que le maire leur a dit "je préfère que ce soit la thèse politique plutôt que la thèse homosexuelle ; ma femme est en campagne pour les élections ; il faut laisser faire la justice ; il ne faut pas en parler ;
"1 ) alors que le délit de subornation de témoins suppose l'existence de menaces ou pressions ayant déterminé la personne subornée et ne saurait se confondre avec de simples affirmations, demandes ou sollicitations ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que c'est à la demande pressante de Christian Y... qui insistait pour savoir s'il devait rapporter les faits constatés en 1995 que Jean-Marie X... aurait dit "si tu as envie d'en parler parles en mais ne parles pas de moi ; tu n'as pas à te plaindre... " ; qu'il ressort des termes de l'arrêt que c'est à la demande insistante de Christian Y... que Jean-Marie X... aurait émis son avis ; que de surcroît il ressort des termes même de l'arrêt que le demandeur aurait laissé à Christian Y... la liberté de ses actes ; qu'en estimant au vu de ces propos que Jean-Marie X... n'aurait pas hésité à exercer à l'égard de Christian Y... de véritables menaces ou pressions, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les textes susvisés ;
"2 ) alors que la cour d'appel, pas plus que les premiers juges, n'ont constaté aucun fait de pression ou menace à l'encontre de Romain Z... ; qu'en déclarant cependant le demandeur coupable de subornation de témoins s'agissant de Romain Z..., la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 29 août 1995, le corps du secrétaire général de la ville de Toulon, portant de graves blessures à la tête, a été découvert au pied de son domicile ; que, le lendemain, deux employés municipaux Christian Y... et Romain Z..., qui surveillaient l'immeuble où habitait la victime, ont été abordés par une personne tenant des propos insolites concernant le crime, qu'ils ont ensuite aperçue dans un bar fréquenté par des homosexuels ; que, début août 1998, tous deux, voyant dans la presse les photographies d'un individu qui venait d'être arrêté pour plusieurs meurtres, ont reconnu avec certitude l'homme dont le comportement les avait intrigués en 1995 ;
Que, ces faits n'ayant été portés à la connaissance du juge d'instruction chargé d'enquêter sur les circonstances de la mort du secrétaire général qu'en septembre 1999, l'un des deux employés municipaux a expliqué que Jean-Marie X..., maire de Toulon, leur avait demandé de les taire en leur précisant qu'ayant déclaré publiquement que le mobile du crime était politique, il ne voulait pas que le lien avec les orientations sexuelles de la victime soit révélé ;
Que Jean-Marie X..., poursuivi pour subornation de témoins, faits commis de septembre 1995 à août 1998, a fait valoir qu'il n'avait pas exercé de menaces ou de pressions et que la prescription était acquise ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu et le déclarer coupable des faits reprochés, l'arrêt relève que les deux employés municipaux se trouvaient dans une situation de dépendance très forte à l'égard du maire, non seulement en raison du rapport hiérarchique existant entre eux, mais parce que les premiers appartenaient au service d'ordre, strictement discipliné, d'un parti politique dont Jean-Marie X... était un membre éminent ; que les juges ajoutent, par motifs propres et adoptés, qu'au cours d'une réunion à la mairie, en août 1998, le prévenu a exercé des pressions ou menaces en rappelant à Christian Y..., pour l'inciter au silence, que sa situation et celle de ses deux frères dépendaient de la mairie ou du parti, ces termes étant destinés à tout l'entourage du maire et plus particulièrement à Christian Y... et Romain Z... ; qu'enfin, ils constatent que le ministère public a engagé des poursuites pour subornation de témoins dès le 30 novembre 1999 ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que l'action publique a été mise en mouvement moins de trois ans après la consommation des délits et qui caractérisent, en tous ses éléments, l'infraction de subornation de témoins, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Palisse conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Le Corroller, Mme Nocquet, M. Castagnède conseillers de la chambre, Mmes Agostini, Beaudonnet, Gailly, Salmeron conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;