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24/09/2003 | FRANCE | N°02-81820

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 septembre 2003, 02-81820


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre septembre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocats en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Anne-Marie,

contre l'arrêt de la cour d'appel de C

AEN, chambre correctionnelle, en date du 25 janvier 2002, qui, pour escroquerie, exercice illég...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre septembre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocats en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Anne-Marie,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 25 janvier 2002, qui, pour escroquerie, exercice illégal de la médecine et homicides involontaires, l'a condamnée à 3 ans d'emprisonnement dont 30 mois avec sursis et mise à l'épreuve, 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 121-3, 221-6 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Anne-Marie X... coupable d'homicide involontaire et l'a condamnée à la peine de trois ans d'emprisonnement dont trente mois avec sursis assorti d'un délai d'épreuve de trois ans et a prononcé à son encontre l'interdiction d'exercer les droits civils, civiques et de famille pendant cinq ans ;

"aux motifs adoptés des premiers juges, que l'expert formule l'hypothèse que si Catherine Y... avait été traitée en 1995 selon les données médicales admises à cette date, elle aurait vécu plus longtemps et probablement dans de meilleures conditions (...) ;

que l'hypothèse d'une guérison n'a pas été exclue par l'expert ;

quant à René Z..., (...) comme sa femme le fait remarquer fort sagement à la fin de sa déposition, "il est vrai que nous ne pouvons par savoir si, même avec des soins médicaux appropriés, René Z... ne serait pas mort, mais il aurait eut beaucoup plus de chance de s'en tirer" ; qu'en tout état de cause, les auditions des proches des victimes, corroborés par les dossiers médicaux mettant en évidence une interruption volontaire et prolongée des soins médicaux, démontrent qu'Anne-Marie X... les a délibérément détournés des traitements médicaux adaptés au cancer dont ils souffraient ; que les actes d'exercice illégal de la médecine, associés à une action ayant déterminé les victimes à refuser des soins appropriés par les membres qualifiés du corps médical caractérisent un manque délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou les règlements ; que s'agissant de victimes déjà atteintes d'affections significatives au moments des faits reprochés à Anne-Marie X..., les délits d'homicides involontaires sont constitués, dès lors que la faute commise a privé ces malades de toute chance de survie ;

"alors, d'une part, qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que les victimes étaient atteintes d'une maladie mortelle qui n'était que très hypothétiquement curable ; qu'en conséquence, en se bornant à constater qu'Anne-Marie X... avait détourné ces personnes des soins médicaux, sans établir avec certitude que ces soins auraient permis d'éviter le décès des malades, la cour d'appel n'a pas caractérisé un lien de causalité certain entre la faute reprochée et le décès des victimes et a ainsi privé sa décision de base légale ;

"alors, d'autre part, que les personnes qui n'ont pas causé directement le dommage mais qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité, de sorte que le délit d'homicide involontaire suppose que le dommage indirectement réalisé ait pour cause certaine une faute délibérée ou caractérisée ;

qu'en l'espèce, il est reproché à Anne-Marie X... d'avoir privé les victimes de chances de survie par des "actes d'exercice illégal de la médecine associés à une action ayant déterminé les victimes à refuser des soins appropriés par les membres qualifiés du corps médical" ; qu'en s'abstenant de démontrer en quoi les "actes d'exercice illégal de la médecine" avaient à eux seuls conduit à ce que les personnes malades se détournent des soins des praticiens qualifiés et perdent ainsi toutes chances de survie, et en s'abstenant de procéder aux constatations de fait de nature à établir que "l'action ayant déterminé les victimes à refuser les soins appropriés" était constitutive d'un manquement manifestement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou d'une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité, la cour d'appel n'a pas établi que la perte de toute chance de survie avait pour cause certaine une faute délibérée ou caractérisée ; qu'en conséquence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

"alors, enfin, qu'en se bornant à adopter les motifs des premiers juges, sans répondre au moyen péremptoire, compris dans les conclusions d'appel de la prévenue, par lequel cette dernière faisait valoir que "la perte d'une chance de suivie n'est pas suffisante pour caractériser le lien de causalité" et "qu'Anne-Marie X... n'a eu aucun rôle dans l'évolution inévitable de ces deux maladies", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'Anne-Marie X..., qui se présentait comme "thérapeute bouddhiste" et "canal terrestre d'un mage philippin", a accompagné, par la prière et la méditation, et en échange de dons, plusieurs personnes qu'elle prétendait guérir de diverses maladies, même graves ; qu'elle a organisé à cette fin des séances collectives bi-hebdomadaires, rassemblant plusieurs dizaines de personnes et se déroulant sous forme d'incantations, prières, chants et gestes simulant une manipulation médicale ; que deux de ces personnes sont décédées, l'une, Catherine Y..., épouse A..., d'un cancer du sein non traité, le 31 octobre 1996, l'autre, René Z..., d'un cancer de l'oesophage, le 28 octobre 1997 ;

Qu'Anne-Marie X... a été poursuivie, notamment, des chefs d'homicides involontaires ;

Attendu que, pour la déclarer coupable, les juges énoncent, par motifs propres et adoptés, que la prévenue s'est livrée à des actes d'exercice illégal de la médecine, associés à une action ayant déterminé les victimes à refuser des soins appropriés par les membres qualifiés du corps médical ; qu'ils ajoutent que la faute commise a privé ces victimes de toute chance de survie ;

Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, et si c'est à tort que la faute commise a été qualifiée de délibérée, l'arrêt attaqué, qui a établi, d'une part, à la charge de la prévenue, une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer, d'autre part, le lien de causalité de cette faute avec le décès des victimes, n'encourt pas la censure ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 313-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Anne-Marie X... coupable d'escroquerie et l'a condamnée à la peine de trois ans d'emprisonnement dont trente mois avec sursis assorti d'un délai d'épreuve de trois ans et a prononcé à son encontre l'interdiction d'exercer les droits civils, civiques et de famille pendant cinq ans ;

"aux motifs adoptés des premiers juges, que bien que la plupart des faits d'escroquerie retenus à l'encontre de la prévenue soient prescrits, il n'en demeure pas moins que la déclaration de Carole B..., épouse C..., (selon laquelle "chaque soin me coûtait 250 francs payé en chèque ou en liquide, Anne-Marie X... me faisait un prix ... sinon le tarif était de 450 francs par soin"), ne laisse pas la place au doute sur les pratiques de la prévenue ; qu'en outre, Régine D... indique qu'Anne-Marie X... demandait un minimum de 50 francs par séance ; que Jacqueline E..., veuve F..., déclare "je pense avoir laissé environ 1 200 francs lors des soins donnés par Anne-Marie X..." tout en ajoutant toutefois qu'elle ne regrette absolument pas cet argent ; qu'en outre, Isabelle G..., épouse H..., évoque un paiement de 250 francs "demandé par Anne-Marie X..." ; que même si parfois Anne-Marie X... a obtenu des dons, il n'en demeure pas moins qu'elle a réclamé des paiements de sommes d'argent en échange de ses soins ; que les sommes versées, soit spontanément, soit sur sa demande, correspondent à la contrepartie d'une activité d'exercice illégal de la médecine ; par ses promesses thérapeutiques, la prévenue a déterminé ses "clients" à lui remettre des sommes d'argent ;

"alors, d'une part, que le délit d'escroquerie suppose l'emploi de moyens frauduleux de nature à déterminer la remise et ces moyens, sauf emploi de faux nom, fausse qualité ou abus de qualité vraie, ne sauraient être constitués d'un simple mensonge ;

qu'en se bornant à constater que "par ses promesses thérapeutiques, la prévenue a déterminé ses "clients" à lui remettre des sommes d'argent", et en s'abstenant ainsi d'établir l'existence d'un élément extérieur de nature à donner force et crédit à ce mensonge et à déterminer la remise des sommes d'argent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"alors, d'autre part, que l'intention requise en matière d'escroquerie suppose la conscience, chez l'auteur de l'infraction, du caractère frauduleux des moyens employés pour déterminer la remise ; qu'en se bornant à constater que "par ses promesses thérapeutiques, la prévenue a déterminé ses "clients" à lui remettre des sommes d'argent", et en s'abstenant d'effectuer les constatations de nature à établir qu'Anne-Marie X... ne croyait pas en l'efficacité de ses activités et en la réalisation de ses promesses thérapeutiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"alors, enfin, qu'en se bornant à adopter les motifs des premiers juges, sans répondre au moyen péremptoire, compris dans les conclusions d'appel de la prévenue, par lequel cette dernière faisait valoir qu'il était "clairement établi qu'Anne-Marie X... n'a jamais eu l'intention de tromper les autres puisqu'elle a toujours cru fermement à ce qu'elle faisait et disait", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu que, pour déclarer Anne-Marie X... coupable d'escroqueries, les juges, après avoir rappelé que les traitements dispensés par la prévenue ont consisté en des simulacres d'actes médicaux, énoncent qu'elle a obtenu de ses clients la remise de sommes d'argent en échange de ses soins et ses "promesses thérapeutiques" ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que l'organisation de simulacres de soins destinés à faire naître l'espérance d'une guérison chimérique a été déterminante de la remise des fonds, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 372 et L. 376 de l'ancien Code de la santé publique et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Anne-Marie X... coupable d'exercice illégal de la médecine et l'a condamnée à la peine de trois ans d'emprisonnement dont trente mois avec sursis assorti d'un délai d'épreuve de trois ans et a prononcé à son encontre l'interdiction d'exercer les droits civils, civiques et de famille pendant cinq ans ;

"aux motifs adoptés des premiers juges, que la prévenue a prodigué des traitements par simulacres médicaux et la prescription de produits alors qu'elle est dépourvue des diplômes requis ;

"alors qu'en se bornant à adopter les motifs des premiers juges, et en s'abstenant ainsi de répondre au moyen péremptoire, compris dans les conclusions d'appel de la prévenue, par lequel cette dernière faisait valoir que les dépositions des témoins sur laquelle les premiers juges se sont fondés établissent, au contraire, qu'elle n'a pas prodigué de soins par des simulacres médicaux ni accompli de prescriptions de produits, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'exercice illégal de la médecine dont elle a déclaré la prévenue coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Samuel conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 02-81820
Date de la décision : 24/09/2003
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(Sur le premier moyen) HOMICIDE ET BLESSURES INVOLONTAIRES - Lien de causalité - Causalité directe - Articles 121-3 et 221-6 du Code pénal.


Références :

Code pénal 121-3 et 221-6

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, 25 janvier 2002


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 24 sep. 2003, pourvoi n°02-81820


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2003:02.81820
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