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24/09/2003 | FRANCE | N°00-19067

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 24 septembre 2003, 00-19067


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que, le 3 octobre 1990, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Vienne, aux droits de laquelle est la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou (la Caisse) a passé avec la Société viennoise de négoce (la SVN) une "convention de crédit global d'exploitation" aux termes de laquelle elle lui octroyait un ensemble de concours destinés au financement de son cycle d'expl

oitation, considérés comme une créance unique, d'un plafond global de 17...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que, le 3 octobre 1990, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Vienne, aux droits de laquelle est la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou (la Caisse) a passé avec la Société viennoise de négoce (la SVN) une "convention de crédit global d'exploitation" aux termes de laquelle elle lui octroyait un ensemble de concours destinés au financement de son cycle d'exploitation, considérés comme une créance unique, d'un plafond global de 17 000 000 francs, garantie, notamment, par les cautionnements de M. X..., associé et administrateur de la SVN, et de son épouse (les cautions) ; que, le 20 décembre 1991, la Caisse a dénoncé l'ensemble des crédits d'exploitation, à effet de 60 jours, expirant le 24 février 1992, cependant qu'elle a signé le 5 février 1992 un billet à ordre, à échéance du 21 février 1992, au profit de la SVN ; que cette dernière ayant été mise en redressement judiciaire le 13 avril 1992, la Caisse a assigné les cautions en paiement et leurs enfants, aux fins de voir "dire" ou "juger" que la donation sur la nue-propriété des immeubles qui leur avait été consentie lui était inopposable ; que les cautions ont formé une demande reconventionnelle en soutenant que la Caisse avait commis des fautes lors de l'octroi des crédits et ont également assigné en responsabilité M. Y..., commissaire aux comptes ;

Sur le premier moyen, pris en ses sept branches :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'action en responsabilité intentée par les cautions à l'encontre de la CRCAM, alors, selon le moyen :

1 / que la contradiction entre deux motifs de fait équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui, pour exonérer la Caisse de Touraine de toute responsabilité, a énoncé tout à la fois que le commissaire aux comptes avait certifié les comptes le 15 décembre 1991, puis qu'il avait refusé de le faire à la même date, a entaché sa décision d'une contradiction de motifs caractérisée, au mépris des prescriptions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu'une banque ne peut apporter son concours à une société sans avoir examiné au préalable sa situation économique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a énoncé que la Caisse de Touraine ne pouvait avoir accès aux documents comptables antérieurs au dépôt de bilan, quant il était de son devoir d'exiger ces pièces, a violé l'article 1382 du Code civil ;

3 / que le maintien, par une banque, d'un concours bancaire, est fautif lorsque la situation de l'entreprise impose sa cessation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a estimé que seule l'augmentation du concours accordé par la Caisse de Touraine aurait pu être considérée comme fautive, a violé les articles 1382 du Code civil et 60 de la loi du 24 janvier 1984 ;

4 / qu'une banque, qui maintient ou augmente son concours à une entreprise dont la situation est désespérée, engage sa responsabilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a exonéré la banque de toute responsabilité sans rechercher si, en 1990 et 1991, la société SVN ne souffrait pas de pertes importantes, d'une insuffisance de capitaux propres, d'une trésorerie et d'un DAFIC négatifs, révélant ainsi sa situation désespérée, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

5 / qu'un billet à ordre, en tant qu'engagement de paiement, suppose une mise à disposition de fonds ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a omis de rechercher si, grâce au billet à ordre du 5 février 1992, la Caisse n'avait pas, à une époque où la situation de l'entreprise était désespérée, mis des fonds à la disposition de la société SVN, peu important à cet égard, qu'il s'agisse de la continuation d'accords précédents ou d'une nouvelle ouverture de crédit, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

6 / que l'administrateur, auquel l'état de la société a été dissimulé par les manoeuvres d'autres dirigeants, peut invoquer la responsabilité d'une banque pour soutien abusif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a omis de rechercher si M. X..., agriculteur en retraite, n'était pas dépourvu de toute connaissance juridique et fiscale et s'il n'avait pas été manipulé par le président de la société SVN, de sorte qu'il ignorait tout de l'état de celle-ci, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

7 / qu'une personne, qui n'a exercé aucune fonction dans la gestion d'une société en difficulté, peut invoquer de plus fort la responsabilité d'une banque pour soutien abusif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui s'est abstenue de rechercher si Mme X... n'était pas dépourvue de tout lien avec la société SVN, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate, par motifs adoptés, que l'expert comptable de l'entreprise, lors du bilan du 31 mars 1990, concluait que les points forts de l'exercice restaient la croissance très importante des ventes, le maintien de la marge brute, le maintien des frais généraux et une rentabilité meilleure qu'en 1989 ; qu'il relève également que "la génération d'un chiffre d'affaires à perte" n'a été découverte qu'après le dépôt de bilan et après des investigations minutieuses ; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations faisant ressortir qu'à aucun moment la Caisse n'avait accordé ou maintenu un crédit à une entreprise dont elle savait ou aurait dû savoir, en faisant preuve d'une diligence normale, que la situation était irrémédiablement compromise, ou octroyé, en connaissance de cause, un crédit dont le coût était insupportable pour l'équilibre de la trésorerie de la société et incompatible pour elle avec toute rentabilité, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, la cour d'appel a justifié sa décision en ce qui concerne la responsabilité de la Caisse ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que, pour rejeter l'action en responsabilité dirigée contre le commissaire aux comptes, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, quelles que soient les conclusions du commissaire aux comptes, les dirigeants auraient sollicités les crédits avec les garanties d'usage, ainsi que le démontrent leur comportement passé comme leur attitude ultérieure, en particulier celle des administrateurs après le refus de certification des comptes, et qu'en conséquence il n'existe aucun lien de causalité entre l'activité du commissaire aux comptes et le préjudice de la caution ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les négligences du commissaire aux comptes, relevées par les premiers juges, n'avaient pas permis à la banque de croire à la solvabilité de la SVN et privé en conséquence M. X... d'une chance de n'avoir pas à s'obliger en qualité de caution, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, par confirmation du jugement, il a rejeté la demande de M. X... dirigé contre M. Y..., commissaire aux comptes, l'arrêt rendu le 6 juin 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;

Condamne les consorts X... et M. Y... chacun pour moitié aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les consorts X... à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou la somme de 1 800 euros ;

rejette la demande de M. Y... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille trois.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 00-19067
Date de la décision : 24/09/2003
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

BANQUE - Responsabilité - Ouverture de crédit - Situation de l'entreprise irrémédiablement compromise - Connaissance par la banque - Défaut - Effet.

BANQUE - Responsabilité - Ouverture de crédit - Crédit insupportable pour l'entreprise - Connaissance par la banque - Défaut - Effet

Une cour d'appel, qui rejette l'action en responsabilité formée par une caution assignée en paiement et dirigée contre une banque sur le fondement des fautes qui auraient été commises dans l'octroi de crédits à une société, après avoir constaté qu'à aucun moment la banque n'avait accordé ou maintenu un crédit à une entreprise dont elle savait ou aurait dû savoir, en faisant preuve d'une diligence normale, que la situation était irrémédiablement compromise, ou octroyé en connaissance de cause un crédit dont le coût était insupportable pour l'équilibre de la trésorerie de l'entreprise et incompatible avec toute rentabilité, a légalement justifié sa décision.


Références :

Code civil 1382

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 06 juin 2000

A RAPPROCHER : Chambre commerciale, 1999-05-11, Bulletin 1999, IV, n° 95, p. 78 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 24 sep. 2003, pourvoi n°00-19067, Bull. civ. 2003 IV N° 136 p. 155
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2003 IV N° 136 p. 155

Composition du Tribunal
Président : M. Tricot.
Rapporteur ?: Mme Favre.
Avocat(s) : Me Odent, la SCP Boré, Xavier et Boré, la SCP Gaschignard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2003:00.19067
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