AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf septembre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PALISSE, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Jean-François,
- Y... Christina,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 7 mai 2003, qui les a renvoyés devant la cour d'assises des BOUCHES-DU-RHONE, spécialement composée, sous l'accusation, le premier, de complicité de fabrication ou de production illicites de stupéfiants en bande organisée et délit connexe, la seconde, de recel du produit du crime de fabrication ou de production illicites de stupéfiants en bande organisée et délit connexe ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation présenté pour Christina Y..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 202, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense, excès de pouvoir ;
"en ce que Christina Y... a été mise en accusation devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône des chefs de recel de produits qu'elle savait provenir des crimes de production, fabrication illicites de stupéfiants en bande organisée et recel de produits qu'elle savait provenir des délits de transport, détention, offre, cession, acquisition de stupéfiants ;
"alors que, s'il est de principe que la chambre de l'instruction est investie du droit de modifier ou de compléter la qualification donnée aux faits incriminés soit par le ministère public soit par le juge d'instruction, elle ne peut, aux termes de l'article 202, alinéa 2, du Code de procédure pénale, statuer sans ordonner une nouvelle information si les nouveaux chefs de poursuites n'ont pas été compris dans les mises en examen faites par le juge d'instruction ; qu'en l'espèce, le juge d'instruction a mis en examen puis en accusation Christina Y... des chefs de complicité par aide et assistance des crimes de fabrication, production illicites de stupéfiants en bande organisée et des délits d'acquisition, de cession, détention, offre, transport de stupéfiants ; qu'ainsi, en requalifiant les faits reprochés en recel des produits qu'elle savait provenir des crimes et des délits susvisés, sans ordonner un supplément d'information et sans lui permettre de s'expliquer et de se défendre sur les nouvelles qualifications envisagées, dont les éléments constitutifs n'étaient pas compris dans les poursuites initiales, la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les droits de la défense" ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Christina Y... a été mise en examen pour complicité par aide et assistance du crime de production ou fabrication illicites de stupéfiants en bande organisée, pour complicité du délit de transport, détention, offre, cession, acquisition ou emploi illicites de stupéfiants et pour participation à une association de malfaiteurs ; qu'à l'issue de l'information, le juge d'instruction l'a mise en accusation de ces chefs devant la cour d'assises ;
Attendu que, saisis des appels de la demanderesse et du procureur de la République, les juges du second degré, réformant partiellement l'ordonnance qui leur était déférée, ont mis Christina Y... en accusation des chefs de recels des produits des infractions principales ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen ;
Qu'en effet, l'article 202, alinéa 2, du Code de procédure pénale reconnaît aux chambres de l'instruction le pouvoir de modifier les qualifications données aux faits incriminés sans ordonner une nouvelle information, quand les chefs de poursuite résultant du dossier ont été, comme en l'espèce, compris dans les faits pour lesquels la personne a été mise en examen et que celle-ci a la possibilité de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée devant la juridiction de jugement ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de cassation présenté pour Christina Y..., pris de la violation des articles 121-3 et 321-1 du Code pénal, 211, 214, 215, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que Christina Y... a été mise en accusation devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône des chefs de recel de produits qu'elle savait provenir des crimes de production, fabrication illicites de stupéfiants en bande organisée et recel de produits qu'elle savait provenir des délits de transport, détention, offre, cession, acquisition de stupéfiants ;
"aux motifs que l'information a mis en évidence qu'elle connaît Louis Z... depuis 1983 et entretient une relation intime avec lui depuis 1985 ; qu'elle l'assiste, en toute connaissance de cause, pendant ses périodes d'incarcération ; qu'une enquête de personnalité du 5 mars 1993 évoque déjà une communauté de vie ;
qu'elle a donc une parfaite connaissance de la personnalité de son concubin, de ses antécédents pénaux liés, notamment, au trafic de stupéfiants ; qu'elle connaît l'entourage de Louis Z... (notamment Eric A..., et le couple, B...) ; que son départ pour l'île de la Réunion avec son concubin peut être analysé, malgré ses protestations, comme une fuite, un repli, d'autant que ce départ coïncide avec l'évolution de l'enquête policière et les interpellations qui allaient intervenir en métropole ; ses explications sont par ailleurs confuses quant au train de vie du couple Z...-Y..., ayant affirmé dans un premier temps ne vivre que petitement grâce à des aides familiales, pour soutenir ensuite que le snack tenu à Martigues par Z... (juste au-dessous du domicile d'Eric A... et du local servant de laboratoire clandestin) lui permettait de dégager quotidiennement un bénéfice de 1 800 à 3 000 francs ;
"alors, d'une part, que la chambre de l'instruction ne peut prononcer une mise en accusation devant la cour d'assises que si elle constate la réunion de tous les éléments constitutifs de l'infraction reprochée ; que le recel, tel que défini par l'article 321-1, alinéa 2, du Code pénal, suppose que soient constatées des charges suffisantes pour caractériser le bénéfice du produit d'un crime ou d'un délit ; qu'en l'espèce, en mettant en accusation Christian Y... devant la cour d'assises des chefs de recel des produits de crimes et délits qui sont reprochés à son compagnon, sans relever spécifiquement qu'elle a bénéficié du produit de ses crimes et de ses délits ou les éléments de fait permettant de connaître son train de vie, la chambre de l'instruction n'a pas caractérisé l'un des éléments constitutifs du recel ;
"alors, d'autre part, que la chambre de l'instruction ne peut prononcer une mise en accusation devant la cour d'assises que si elle constate la réunion de tous les éléments constitutifs de l'infraction reprochée ; que le recel, tel que défini par l'article 321-1, alinéa 2, du Code pénal, suppose la connaissance par l'auteur supposé de la provenance délictueuse des choses dont elle aurait bénéficié ; qu'en mettant en accusation Christina Y... devant la cour d'assises en se bornant à constater qu'elle entretenait une relation avec Louis Z..., qu'ils sont partis s'installer sur l'île de la Réunion ou que ses explications sont confuses quant au train de vie du couple, la chambre de l'instruction, n'a pas caractérisé sa connaissance de l'origine des choses dont elle aurait bénéficié, élément constitutif du recel" ;
Attendu que, pour renvoyer Christina Y... devant la cour d'assises, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé qu'elle vivait en concubinage avec Louis Z..., poursuivi comme l'un des auteurs principaux de faits de fabrication et de trafic d'héroïne, qu'elle savait que son compagnon avait déjà été condamné pour des faits de cette nature, qu'elle connaissait la plupart des personnes également poursuivies pour leur participation aux faits et qu'au début de l'enquête, le couple est parti se réfugier à l'île de la Réunion, énonce qu'elle a donné des explications confuses sur son train de vie et sur ses ressources, invoquant d'abord des aides familiales puis les bénéfices d'un café-restaurant situé au-dessus du local qui servait de laboratoire clandestin ;
Attendu qu'en cet état, la chambre de l'instruction, qui a répondu comme elle le devait aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a caractérisé, au regard des articles 321-1 et 321-4 du Code pénal, les circonstances dans lesquelles Christina Y... se serait rendue coupable de recel du produit du crime et du délit connexe ;
Qu'en effet, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de Cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le moyen unique de cassation présenté pour Jean-François X..., pris de la violation des articles 111-3, 121-6, 121-7, 222-35, 222-37 du Code pénal, R. 5162 du Code de la santé publique, de la directive européenne n° 93-72 du 1er septembre 1993, des décrets n° 88-1232 du 29 décembre 1988, n° 92-963 du 7 septembre 1992, n° 94-21 du 10 janvier 1994, des articles 9, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Jean-François X... devant la cour d'assises des chefs de complicité du crime de fabrication, production illicite de stupéfiants et du délit de transport, détention, cession, offre, acquisition de stupéfiants ;
"aux motifs que Jean-François X... ne pouvait ignorer, en tant que professionnel, que la pyridine ne peut être vendue sans ordonnance qu'en petites quantités, et pas par bidons de 25 litres ; - que les conditions mêmes de la vente ne pouvaient qu'attirer son attention (effectuée le soir à 19 h 30, dans l'arrière salle de l'officine, après la fermeture, pour un montant de 5 000 francs payé en espèces) ; que l'infraction relative à la non inscription sur le registre de l'officine de la vente de la pyridine le 26 janvier 1995 était donc bien constituée mais prescrite ainsi que l'a relevé à juste titre le juge d'instruction ; que le non-lieu prononcé sur ce point et sur ce fondement juridique est donc confirmé ; que cet acte unique de fourniture de pyridine, produit nécessaire à la fabrication de l'héroïne, ne peut toutefois constituer en même temps un acte préparatoire réalisant le délit d'association de malfaiteurs et l'aide ou l'assistance qui a facilité la préparation ou la consommation des faits de fabrication et de trafic ; qu'il sera donc renvoyé devant la cour d'assises des seuls chefs de complicité du crime de fabrication et du délit de trafic de stupéfiants, en l'espèce de l'héroïne ;
1°) "alors que, la cession de la pyridine n'était, au moment des faits, réglementée par aucun texte ; que Jean-François X..., en sa qualité de pharmacien, pouvait donc, librement, vendre 25 litres de ce produit à un client habituel de l'officine ; qu'en le renvoyant devant la cour d'assises des chefs de complicité du crime de fabrication et du délit de trafic de stupéfiants, pour avoir vendu 25 litres d'un produit dont la vente aurait été, prétendument, réglementée, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen ;
2°) "alors qu'au moment des faits, la pyridine était en vente libre et ne constituait pas un produit dangereux dont la cession devait faire l'objet d'un enregistrement par le pharmacien ; que la cession de pyridine réalisée par Jean-François X... le 26 janvier 1995 n'avait donc pas à être portée sur l'ordonnancier de son officine ; qu'en considérant que l'infraction relative à la non-inscription de la vente de pyridine sur l'ordonnancier de l'officine était constituée, mais prescrite, quand celle-ci ne pouvait être constituée faute d'incrimination, la chambre de l'instruction a encore violé les textes visés au moyen ;
3°) "alors que, la complicité suppose de la part du complice la conscience de la participation à un acte délictueux ; que Jean-François X... avait exposé dans son mémoire devant la chambre de l'instruction qu'il n'avait eu aucune conscience de participer à un trafic de stupéfiants, en l'état de la connaissance technique de l'usage normal de la pyridine ; qu'en se contentant d'affirmer que "les conditions mêmes de la vente ne pouvaient qu'attirer son attention", sans répondre aux écritures de l'accusé et sans relever aucun élément permettant d'affirmer qu'il se serait sciemment rendu complice des infractions poursuivies, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 121-7, 222-35, 222-37 du Code pénal" ;
Attendu que, pour renvoyer Jean-François X..., pharmacien, devant la cour d'assises, l'arrêt attaqué énonce qu'en janvier 1995, il a vendu un bidon de pyridine à une personne qu'il connaissait et que ce produit a été employé pour accélérer la transformation de la morphine-base en héroïne ; qu'il ajoute que la vente a eu lieu le soir, après la fermeture de la pharmacie, dans l'arrière-salle et que le règlement a été fait en espèces, ce qui démontre la volonté de dissimuler l'opération ;
Attendu qu'en cet état, la chambre de l'instruction, qui a répondu comme elle le devait aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a caractérisé, au regard des articles 121-7 et 222-35 du Code pénal, les circonstances dans lesquelles le demandeur se serait rendu coupable du crime de complicité de production ou fabrication illicites de stupéfiants ;
Qu'en effet, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de Cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement ;
Que, dès lors, le moyen, qui en ses première et deuxième branches critique des motifs surabondants, voire erronés, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que la procédure est régulière et que les faits, objets principaux de l'accusation, sont qualifiés crimes par la loi ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Palisse conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Le Corroller, Mme Nocquet, M. Castagnède conseillers de la chambre, Mmes Agostini, Beaudonnet, Gailly, Salmeron conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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