AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que MM. X... et Nicolas Y... et M. Z..., engagés respectivement les 18 mars 1985, 4 septembre 1989 et 9 mars 1992, en qualité de VRP par la Société d'éditions et de protection route (SEPR) ont été licenciés pour motif économique le 7 août 1996, dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique, à la suite de leur refus d'une modification de leur contrat de travail ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident formé par la société SEPR, qui est préalable :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 16 octobre 2001) d'avoir prononcé la nullité des licenciements et de l'avoir condamnée à leur payer des sommes à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1 ) que l'employeur qui, dans le cadre d'une restructuration ou d'une réorganisation qu'il a décidée, est conduit à proposer à plus de 10 salariés la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail et, par conséquent, à envisager le licenciement de ces salariés pour motif économique, est tenu d'établir un plan social conformément aux dispositions des articles L. 321-2 et L. 321-1, alinéa 2, et qu'en vertu de l'article L. 321-4-1, alinéa 2, du Code du travail, seule l'absence d'un tel plan entraine la nullité des procédures de licenciement néanmoins mises en oeuvre ; que l'élaboration tardive du plan social, après le refus par les salariés de la proposition de modification du contrat de travail qui leur a été faite par l'employeur, ne constitue qu'une irrégularité de forme susceptible d'ouvrir éventuellement droit à des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi dans les termes de l'article L. 122-14-4 du Code du travail ; quen l'espèce, le fait que la société SEPR n'ait consulté le comité d'entreprise sur les licenciements envisagés et élaboré le plan social qu'après que les salariés concernés l'aient informée de leurs décisions de rejeter sa proposition de modification de leurs contrats de travail, ne pouvait donc ouvrir droit qu'à d'éventuels dommages-intérêts dans le cadre de l'article L. 122-14-4 du Code du travail et non aboutir à la nullité du plan social ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 321-4-1 du Code du travail ;
2 ) qu'en vertu du principe de sécurité juridique, la légitimité d'un licenciement doit être appréciée au regard des règles applicables lors de sa survenance ; qu'en août 1996, date du licenciement de M. Y... et Z..., le législateur imposait à l'employeur de mettre en oeuvre la procédure de licenciement collectif après le refus par les salariés de la modification du contrat de travail ; qu'en faisant grief à la société SEPR d'avoir engagé la procédure de licenciement économique avec présentation du plan social qu'après sa proposition de modification des contrats de travail, la cour d'appel a méconnu le principe de sécurité juridique et violé les articles L. 122-14-3 et L. 321-1 du Code du travail et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3 ) qu'en toute hypothèse, l'élaboration tardive du plan social ne peut entraîner sa nullité ainsi que les licenciements qui en sont la suite que s'il a causé un préjudice aux salariés concernés par cette mesure ; que tel n'est pas le cas lorsque les salariés ont eu la possibilité de revenir sur leur refus de voir modifier leur contrat de travail après qu'un plan social ait été mis en place par l'entreprise ; qu'en constatant qu'un délai de réflexion supplémentaire, aux fins de revenir sur leurs décisions, avait été octroyé à MM. Y... et Z..., après qu'ils aient refusé la modification de leur rémunération, tout en prononçant la nullité du plan social et des licenciements y afférents, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé l'article L. 321-4-1 du Code du travail ;
Mais attendu que dans les entreprises visées à l'article L. 321-2 du Code du travail, où sont occupés habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur qui est conduit à proposer à dix salariés au moins la modification de leur contrat de travail est tenu d'établir un plan social ; qu'en application de l'article L. 321-4-1 du Code du travail la procédure de licenciement est nulle en l'absence de plan social ; qu'il en résulte que la procédure de licenciement collectif est nulle si un plan social n'a pas été établi avant que l'employeur ne notifie à dix salariés au moins une proposition de modification de leur contrat de travail, et que l'établissement d'un plan social après que dix salariés au moins ont refusé la proposition ne peut avoir pour effet de régulariser la procédure ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a relevé que la société SEPR n'avait consulté le comité d'entreprise sur les licenciements envisagés et élaboré un plan social, qu'après que les salariés concernés l'ont informée de leur décision de refuser la modification de leur contrat de travail a, sans encourir les premier et troisième griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;
Attendu, ensuite, que la sécurité juridique ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal des salariés :
Attendu MM. Y... et Z... font eux-mêmes grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande de réintégration et paiement de salaires et prestations sociales afférentes alors, selon le moyen :
1 ) qu'il résulte des dispositions de l'article L. 321-4-1 du Code du travail que la nullité qui affecte le plan social s'étend à tous les actes, et en particulier aux licenciements prononcés par l'employeur à la suite de la procédure de licenciement collectif ; que la réintégration du salarié qui en fait la demande est la conséquence nécessaire de cette nullité ; qu'il s'ensuit qu'en décidant que les conséquences financières de cette nullité ne pouvaient correspondre à des dommages-intérêts, et en déboutant les salariés de leur demande de réintégration, de salaires, et d'accessoires y afférents, tout en décidant à bon droit que le plan social litigieux était nul et les licenciements qui en sont la suite affectés par cette nullité, la cour d'appel a violé les dispositions du texte susvisé ;
2 ) que si aux termes de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, le juge, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise avec maintien de ses avantages acquis et doit, en cas de refus par l'une ou l'autre des parties, octroyer au salarié une indemnité, ce texte ne saurait s'appliquer en matière de nullité du licenciement ; qu'en relevant, pour débouter le salarié de sa demande en réintégration et paiement de salaires et accessoires y afférents, que la réintégration sollicitée par les salariés était refusée par l'employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-4 et L. 321-4-1 du Code du travail ;
3 ) qu'une demande additionnelle ne saurait être écartée au motif qu'elle a été formulée de manière tardive ; qu'en retenant, pour écarter la demande en réintégration et paiement de salaires et accessoires afférents, que ladite demande avait été formulée tardivement par les salariés, soit 4 ans et 8 mois après leur licenciement, la cour d'appel a méconnu une nouvelle fois les dispositions de l'article 321-4-1 du Code du travail ;
4 ) que l'obligation de loyauté qui pèse sur le salarié durant l'exécution de son contrat de travail ne saurait perdurer, dès lors que le contrat de travail a été en fait rompu ; qu'en affirmant, pour débouter les salariés de leurs demandes, que les agissements auxquels ils s'étaient livrés postérieurement à leur licenciement démontraient qu'ils ne s'étaient pas maintenus à la disposition de l'employeur et qu'ils n'avaient pas souhaité leur réintégration effective dans l'entreprise dans les conditions de loyauté inhérentes à l'exécution d'un contrat de travail, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil ;
5 ) que les salariés qui sollicitent leur réintégration à la suite du prononcé de la nullité de leur licenciement n'ont pas à démontrer que l'employeur a volontairement omis de présenter un plan social lors de la proposition de modification de leur contrat de travail ; qu'en affirmant pour débouter les salariés de leurs demandes en réintégration et paiement de salaires et accessoires y afférents, qu'il n'est établi par aucune pièce que la société SEPR n'a pas volontairement mis en oeuvre un plan social avant les propositions de modification des contrats de travail, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle n'exigeait pas et violé les dispositions de l'article L. 321-4-1 du Code du travail ;
6 ) que la réintégration des salariés dans un emploi équivalent s'impose lorsque la réintégration dans l'emploi qu'ils occupaient précédemment est devenue matériellement impossible ; qu'en retenant toutefois, pour débouter MM. Y... et Z..., qu'il n'est pas contesté que les postes des appelants ne sont plus disponibles, la cour d'appel a méconnu une fois encore les dispositions de l'article L. 321-4-1 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que les salariés s'étaient rendus coupables de concurrence déloyale à l'égard de la société SPER a fait ressortir que leur réintégration dans l'entreprise était matériellement impossible ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal des salariés :
Attendu que MM. Y... et Z... font encore grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande en paiement du solde de l'indemnité de clientèle alors, selon le moyen : que la cour d'appel, qui a constaté qu'aux termes de l'article 18 des contrats de travail des intéressés, en cas de rupture, toutes les sommes versées en cours de contrat en application de l'article 9 et du paragraphe b) de l'article 12 viendront en déduction de la somme qui pourrait leur revenir de ce chef, devait nécessairement rechercher le montant de ladite somme pour apprécier si les salariés avaient été remplis de leurs droits, qu'en omettant de procéder à une telle recherche, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations et a méconnu les dispositions de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que les salariés avaient sollicité le paiement d'une indemnité de clientèle après la rupture de leur contrat de travail, a fait ressortir que, compte tenu des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet, les salariés avaient été remplis de leur droit de ce chef ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal des salariés :
Attendu que MM. Y... et Z... reprochent enfin à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande en paiement d'indemnité conventionnelle de rupture alors, selon le moyen :
1 ) qu'il ne saurait être déduit de ce que l'indemnité conventionnelle de rupture prévue à l'article 13 de l'accord national interprofessionnel est cumulable avec l'indemnité spéciale de rupture prévue à l'article 14 de ce même accord, que celle-là est complémentaire de celle-ci et partant soumise au même régime s'agissant notamment du droit d'opposition de l'employeur prévu par ledit article 14, qu'en retenant pour débouter les salariés de leur demande en paiement d'indemnité conventionnelle de rupture que cette indemnité correspond à l'indemnité complémentaire à l'indemnité spéciale de rupture et qu'il n'est pas contesté que l'employeur a usé de son droit d'opposition prévu par l'article 14 de l'accord, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 13 et 14 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 30 octobre 1975 ;
2 ) que si les articles 13 et 14 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, disposent que l'indemnité conventionnelle de rupture et l'indemnité spéciale de rupture qu'ils prévoient ne sont pas cumulables avec l'indemnité de clientèle, il n'en résulte pas qu'elles ne peuvent se cumuler avec des rémunérations accordées en cours de contrat pour le même objet que l'indemnité de clientèle, qu'en retenant pour débouter les salariés de leur demande en paiement d'indemnité conventionnelle de rupture, que MM. Y... et Z... ont perçu l'indemnité de clientèle, la cour d'appel a méconnu une nouvelle fois les dispositions des textes précités ;
Mais attendu qu'en application de l'article 13 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, l'indemnité conventionnelle de rupture que cet article prévoit ne se cumule pas avec l'indemnité de clientèle ; qu'ayant relevé que les salariés avaient sollicité le paiement d'une indemnité de clientèle après la rupture du contrat, la cour d'appel a justement décidé qu'ils ne pouvaient prétendre à l'indemnité conventionnelle de rupture ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq juin deux mille trois.