AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 octobre 2000), que le trésorier principal du 18e arrondissement de Paris et le receveur principal des Impôts Grandes Carrières Sud (les créanciers), ont fait pratiquer des saisies conservatoires au préjudice de la société La Locomotive (la société) entre les mains du Crédit lyonnais (la banque) ; qu'après avoir indiqué à l'huissier de justice que les soldes des comptes de la société étaient créditeurs, la banque a informé les créanciers, qu'après imputation des opérations en cours, le solde effectivement saisi était égal à 0 franc ; que les créanciers saisissants ont alors demandé à un juge de l'exécution de condamner la banque au paiement de dommages-intérêts, en soutenant qu'elle avait sciemment fourni des réponses inexactes à l'issue de la période de régularisation des comptes ;
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de l'avoir déclarée coupable de déclarations inexactes ou mensongères et de l'avoir condamnée au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 / que la sanction prévue à l'article 238 du décret du 31 juillet 1992 ne vise que la déclaration initiale du tiers saisi faite à l'huissier de justice, laquelle doit comporter les renseignements prévus à l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991, et non la seconde déclaration qui intervient à la fin de la régularisation des opérations ; qu'en appliquant à la déclaration finale la sanction prévue uniquement pour la déclaration initiale, la cour d'appel a violé les articles 47 de la loi du 9 juillet 1991 et les articles 237 et 238 du décret du 31 juillet 1992 ;
2 / que l'allocation de dommages-intérêts est subordonnée à la preuve d'une faute du tiers saisi ; qu'en condamnant la banque à verser des dommages-intérêts au trésorier principal et au receveur principal sans avoir caractérisé de faute à son encontre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 238 du décret du 31 juillet 1992 ;
3 / que la banque faisait valoir que si en principe la remise à l'encaissement de chèques s'entend de sa présentation en chambre de compensation, en matère de traitement des effets bancaires par les comptables des impôts, dès lors que le chèque est remis directement à la caisse du comptable, la date du paiement doit être considérée comme étant la date de remise matérielle du chèque et qu'en l'espèce, la présentation à l'encaissement des chèques était antérieure aux premières saisies ; qu'en affirmant péremptoirement que les chèques ont été présentés à l'encaissement, c'est-à -dire pour compensation à la Banque de France, postérieurement au 20 novembre 1998, soit après les deux saisies, sans rechercher si la présentation à l'encaissement ne pouvait pas être antérieure à la présentation en chambre de compensation de la Banque de France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 47 de la loi du 9 juillet 1991 ;
4 / que les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis ;
qu'en retenant l'existence d'un préjudice moral subi par le Trésor public bien que ni le trésorier ni le receveur principal n'ait soutenu avoir subi un tel préjudice, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / qu'une réparation peut être allouée que pour autant qu'un dommage existe et qu'elle ne doit être ni inférieure ni supérieure au dommage ; que le fait pour l'administration des Impôts de mettre en oeuvre une enquête administrative et d'engager une action en justice n'est pas à l'origine d'un préjudice moral réparable ; que l'Etat, personne morale de droit public, ne peut subir de ce chef un préjudice moral ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 238 du décret du 31 juillet 1992 et 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la banque a fourni aux créanciers des renseignements inexacts voire frauduleux, dans le cadre des opérations de régularisation prévues à l'article 47 de la loi du 9 juillet 1991 ; que c'est sans modifier l'objet du litige que la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé la faute de la banque, tenue de satisfaire à son obligation légale de renseignements, lorsqu'elle procède à la déclaration résultant de l'application du dernier alinéa de l'article précité, a souverainement apprécié l'existence du préjudice en résultant ;
Et attendu que la remise des chèques à l'encaissement s'entend de la remise des chèques faite à l'établissement bancaire et non au bénéficiaire desdits chèques ; qu'en retenant que neuf chèques ont été présentés à l'encaissement, c'est-à -dire présentés pour compensation à la Banque de France postérieurement aux deux premières saisies et qu'ils ne peuvent donc affecter le solde rendu indisponible par celle-ci, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le Crédit lyonnais aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande du Crédit lyonnais ; le condamne à payer au Trésor public la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille trois.