AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° V 01-40.916 à C 01-40.923 ;
Attendu que le passage du cyclone "Luis" sur l'Isle de Saint-Martin, le 4 septembre 1995, a entraîné la destruction d'une partie importante du village-hôtel exploité à Saint-Martin par la société La Belle Créole ; que, le 15 septembre 1995, la société a notifié à l'ensemble des salariés de l'hôtel la rupture de leur contrat de travail pour force majeure ;
que des salariés, dont certains étaient des salariés protégés, ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à contester la validité de la rupture et en paiement de diverses sommes ;
Sur le premier moyen commun à tous les pourvois :
Attendu que la société La Belle Créole fait grief aux arrêts attaqués (Basse-Terre, 20 novembre 2000) d'avoir dit, pour certains salariés, que la rupture de leur contrat de travail était nulle, ordonné leur réintégration et de l'avoir condamnée à leur payer une indemnité compensatrice de la perte de leurs salaires ou, à défaut de réintégration, une indemnité égale au montant des salaires dus depuis le 15 septembre 1995 jusqu'au jour de la notification de l'arrêt, et d'avoir dit, pour les autres salariés, qu'ils avaient fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamnée à leur payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des indemnités de rupture alors, selon le moyen :
1 ) qu'ayant constaté, d'une part, le caractère imprévisible et irrésistible du cyclone Luis survenu le 4 septembre 1995, qui a entraîné la destruction à 70 % de l'hôtel La Belle Créole avec la cessation subséquente complète de toute activité, d'autre part, les difficultés financières rencontrées par la société La Belle Créole, menacée de cessation des paiements, enfin, le fait qu'une reprise partielle de l'activité hôtelière n'avait pu être envisagée avant janvier 1997, ce dont il résultait que la société La Belle Créole s'était bien retrouvée, par la survenance du cyclone Luis, dans l'impossibilité absolue et durable de poursuivre l'exécution des contrats de travail, la cour d'appel ne pouvait écarter le caractère de force majeure de la rupture intervenue le 15 septembre 1995, qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient nécessairement au regard des articles L. 122-4, L. 122-12 du Code du travail et 1148 du code civil ;
2 ) qu'en ses écritures d'appel, la société la Belle Créole faisait valoir qu'au mois de septembre 1995, elle était dans l'incapacité de savoir si l'exploitation pourrait reprendre un jour et à quelle date, compte tenu de l'importance des dommages, du coût élevé de la reconstruction de l'hôtel et de sa propre situation financière ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions et l'a privé de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que pour écarter l'existence de la force majeure, la cour d'appel déduit l'absence de caractère insurmontable des difficultés financières de la société la Belle Créole de ce que celle-ci s'est vue aidée par la société Winfair Investments ltd, dont elle est une filiale, laquelle a réglé pour son compte en 1995 et 1996 diverses charges et dettes pour un montant de près de 6 millions de francs, envisageait l'avance sans intérêt d'une somme de 12 millions de francs et lui a évité à deux reprises l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire par des versements sur ses comptes bancaires de 412 800 francs et 250 000 US dollars en1996 et de 2 418 190 francs en 1998 ; qu'en omettant cependant de rechercher si le fait même d'avoir été assignée deux fois aux fins d'ouverture d'une procédure collective, en dépit de l'aide apportée par son actionnaire, n'était pas le signe de l'impossibilité pour la société la Belle Créole de surmonter, en l'état de ses ressources financières, les conséquences imprévisibles du cyclone, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-12, L. 122-4 du Code du travail et 1147 du code civil ;
4 ) qu'en énonçant à l'appui de sa décision que la reprise au moins partielle d'activité était possible, le refus de l'employeur de rouvrir l'hôtel tenant à la permanence d'un conflit avec les salariés, sans étayer cette affirmation du moindre motif de nature à la justifier, ni répondre, aux conclusions de la société la Belle Créole dans lesquelles celle-ci faisait valoir d'abord, en se fondant sur les conclusions non contestées de l'expert nommé en 1996 dans le cadre de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire aux fins d'examiner les conditions financières nécessaires à la reprise d'activité, que la situation actuelle et à venir de la Belle Créole était totalement dépendante de la contribution de la société Winfair Investments ltd laquelle, malgré les sommes perçues de la compagnie d'assurances, devrait, pour faire face au règlement des différentes dettes exigibles, apporter en compte courant une somme d'au moins 37 millions de francs et qui soulignait ensuite que si le prononcé du redressement judiciaire avait pu être évité par les versements aux comptes bancaires effectués par ladite société Winfair, celle-ci ne pouvait satisfaire aux recommandations de l'expert en apportant en compte courant une somme d'un tel montant, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et, par voie de conséquence, a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
Mais attendu que la force majeure, permettant à l'employeur de s'exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d'un contrat de travail, s'entend de la survenance d'un événement extérieur irrésistible ayant pour effet de rendre impossible la poursuite dudit contrat ;
Et attendu qu'ayant relevé que la destruction partielle du village-hôtel occasionnée par le passage du cyclone ne rendait pas impossible la reprise de l'exploitation de l'hôtel, après remise en état, et, partant, la poursuite du contrat de travail des salariés, la cour d'appel a, sans encourir aucun des griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen propre aux pourvois n° V 01-40.916 et Z 01-40.920 :
Attendu que la société La Belle Créole fait encore grief à l'arrêt d'avoir retenu que la rupture des contrats de travail de Mmes X... et Y... s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'avoir proposé leur réintégration leur allouant, à défaut de celle-ci, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen :
1 ) que les juges ne sont pas tenus par la qualification juridique que l'employeur a donnée à la rupture, que la cour d'appel qui déduit l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de la seule constatation que la force majeure n'est pas établie, sans rechercher si les faits invoqués dans la lettre de rupture, à savoir la fermeture totale de l'établissement et l'impossibilité pour l'employeur de fournir du travail pendant une durée indéterminée, consécutives à la destruction de l'hôtel, ne permettaient pas au moins de caractériser une cause économique réelle et sérieuse de licenciement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;
2 ) et pour les mêmes raisons, qu'elle a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société La Belle Créole aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société La Belle Créole à payer aux 8 salariés défendeurs la somme globale de 2 300 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille trois.