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11/02/2003 | FRANCE | N°01-86685;01-86696

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 février 2003, 01-86685 et suivant


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze février deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de Me de NERVO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Serge,

- Y... Armelle,

- LA SOCIETE Z..., civilement responsable,

contre les arrêts de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, qui, dans la

procédure suivie contre eux pour diffamation publique envers un particulier,

- le premier, en dat...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze février deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de Me de NERVO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Serge,

- Y... Armelle,

- LA SOCIETE Z..., civilement responsable,

contre les arrêts de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, qui, dans la procédure suivie contre eux pour diffamation publique envers un particulier,

- le premier, en date du 22 mars 2001, a, notamment, écarté des débats les rapports d'expertise produits par eux ;

- le second, en date du 13 septembre 2001, a condamné les deux premiers à 20 000 francs d'amende et prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur l'action publique :

Attendu qu'est amnistié, en application de l'article 2, 2 , de la loi du 6 août 2002, le délit de diffamation publique envers un particulier lorsque, comme en l'espèce, il a été commis avant le 17 mai 2002 ;

qu'ainsi, l'action publique s'est trouvée éteinte à l'égard des prévenus dès la publication de ce texte ;

Attendu, cependant, que, selon l'article 21 de la loi précitée, la juridiction de jugement reste compétente pour statuer sur les intérêts civils ;

II - Sur l'action civile :

Attendu qu'il résulte des arrêts attaqués et des pièces de procédure que, dans le journal "Libération" daté du 1er décembre 1998, a été publié un article intitulé "L'argent de la transfusion sanguine a-t-il été dilapidé ?" et sous-titré "la juge attend l'autorisation de creuser ce volet de l'affaire A..." ; qu'à la suite de cette publication, Michel A... a fait citer Serge X..., directeur de la publication, et, en qualité de complice, Armelle Y..., auteur de l'article incriminé, pour diffamation publique envers un particulier ; que le tribunal a retenu la culpabilité des prévenus ;

En cet état ;

Sur le pourvoi contre l'arrêt en date du 22 mars 2001 ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 et 11, 427 et 591 à 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt a infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait rejeté la demande du plaignant tendant à ce que les pièces produites en défense soient écartées des débats et a écarté les rapports d'expertise produits par la défense ;

"aux motifs que si l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme protège la libre investigation des journalistes, la possibilité pour eux de justifier de leurs allégations par la production de pièces, quelle que soit la manière dont elles ont été obtenues, et du bénéfice d'une immunité à cet égard, il admet des restrictions légales à ce principe qui comportent non seulement l'incrimination de l'atteinte à la réputation d'autrui, mais aussi la garantie de ses droits, parmi lesquels la présomption d'innocence et l'équité dans la production des pièces à l'appui des argumentations ;

que l'article 11 du Code de procédure pénale qui pose le secret de l'instruction a pour finalité la protection de la présomption d'innocence ; que la production par le journaliste de pièces extraites du dossier d'instruction, alors que l'information est en cours, documents librement sélectionnés par lui et tendant à emporter la conviction sur le bien fondé des allégations diffamatoires porte atteinte à ladite présomption d'innocence; que le secret de l'instruction est passible de sanctions ; que l'immunité de la protection revendiquée par le journaliste ne bénéficie pas à l'avocat de la partie adverse, qui se trouve privé de la possibilité de produire les pièces extraites du même dossier d'instruction de nature à combattre la thèse du journaliste ; qu'il en résulte que la production par le journaliste de pièces couvertes par le secret de l'instruction conférerait aux débats un caractère inéquitable ;

"alors, d'une part, que le secret de l'instruction n'empêche pas le journaliste poursuivi en diffamation de produire en défense une pièce couverte par le secret de l'instruction ;

"alors, d'autre part, que le droit à un procès équitable justifie que le prévenu puisse prouver par tout moyen la vérité des faits prétendument diffamatoires" ;

Vu les articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 29, 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que le droit à un procès équitable et la liberté d'expression justifient que la personne poursuivie du chef de diffamation soit admise à produire, pour les nécessités de sa défense, les pièces d'une information en cours de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires ;

Attendu qu'au soutien de l'exception de bonne foi invoquée par eux, les prévenus ont produit devant les juges du premier degré des rapports d'expertise judiciaire tirés d'une information en cours suivie contre Michel A... du chef de prise illégale d'intérêts ; que celui-ci a demandé que ces rapports soient écartés des débats ;

Attendu que, pour faire droit à cette demande et infirmer sur ce point le jugement entrepris, la cour d'appel retient que, si l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui énonce le principe de la liberté d'expression, impose de reconnaître au journaliste la faculté de justifier de ses allégations par la production de pièces quelle que soit la façon dont elles ont été obtenues, le second paragraphe de ce texte fait toutefois obstacle à cette faculté lorsqu'elle aurait pour conséquence de porter atteinte aux droits d'autrui ; que les juges énoncent que tel est le cas en l'espèce, dès lors que la production de pièces extraites du dossier de l'information constitue une violation de l'article 11 du Code de procédure pénale et porte, en conséquence, atteinte à la présomption d'innocence ; qu'ils ajoutent que la production de telles pièces par le prévenu méconnaît également l'exigence d'un procès équitable, la partie civile étant elle-même privée de la possibilité d'utiliser les pièces du dossier de l'information à d'autres fins que celles prévues par la loi ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'atteinte alléguée à la présomption d'innocence ne pouvait faire obstacle à ce que la journaliste prévenue produise, pour les nécessités de sa défense, les pièces d'où étaient tirées les informations rapportées par l'article incriminé, et alors qu'en vertu de l'exigence d'équité du procès, la partie civile était elle-même en droit de produire, en réplique, des pièces du dossier de la procédure suivie contre elle, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Sur le pourvoi contre l'arrêt en date du 13 septembre 2001 ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 et 11, 427 et 591 à 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, en date du 13 septembre 2001, a confirmé le jugement entrepris qui avait condamné les prévenus à une amende de 20 000 FF, ainsi qu'au paiement solidaire au plaignant d'une indemnité de 40 000 FF, et en ce qu'il a ordonné la publication d'un communiqué dans le journal "Libération" ;

"alors que la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 22 mars 2001, frappé d'un pourvoi n° U 01 86 685, statuant sur la recevabilité de la production de pièces de nature à prouver la vérité des allégations prétendument diffamatoires, emportera par voie de conséquence celle de l'arrêt au fond du 13 septembre 2001, qui en dépend totalement" ;

Attendu que la cassation de l'arrêt en date du 22 mars 2001 entraîne, par voie de conséquence, celle de l'arrêt du 13 septembre suivant ;

Par ces motifs, et sans qu'il ait lieu d'examiner les autres moyens proposés ;

I - Sur l'action publique :

La DECLARE ETEINTE ;

II - Sur l'action civile :

CASSE et ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts susvisés de la cour d'appel de Paris, en date des 22 mars 2001 et 13 septembre 2001, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Anzani, Mazars, MM. Beyer, Pometan conseillers de la chambre, MM. Ponsot, Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Di Guardia ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 01-86685;01-86696
Date de la décision : 11/02/2003
Sens de l'arrêt : Action publique éteinte et cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Moyens - Documents provenant d'un dossier d'instruction en cours - Possibilité.

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6.1. - Equité - Presse - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Moyens - Documents provenant d'un dossier d'instruction en cours - Possibilité

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10.2. - Liberté d'expression - Presse - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Moyens - Documents provenant d'un dossier d'instruction en cours - Possibilité

Le droit à un procès équitable et la liberté d'expression justifient que la personne poursuivie du chef de diffamation soit admise à produire, pour les nécessités de sa défense, les pièces d'une information en cours de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires. Il s'ensuit que de telles pièces ne peuvent être écartées des débats au motif que leur production porterait atteinte à la présomption d'innocence (1).


Références :

Code de procédure pénale 11
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950, art. 6.1, art. 10
Loi du 29 juillet 1881 art. 29, 35, 55

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 2001-03-22 et 2001-09-13

CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Chambre criminelle, 2002-06-11, Bulletin criminel 2002, n° 132, p. 486 (cassation), et les arrêts cités. En sens contraire : Chambre criminelle, 1985-12-10, Bulletin criminel 1985, n° 397 (1), p. 1015 (rejet) ; Chambre criminelle, 1986-11-18, Bulletin criminel 1986, n° 345 (1), p. 901 (cassation et cassation partielle ).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 fév. 2003, pourvoi n°01-86685;01-86696, Bull. crim. criminel 2003 N° 29 p. 112
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2003 N° 29 p. 112

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. di Guardia
Rapporteur ?: M. Desportes
Avocat(s) : M. de Nervo.

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2003:01.86685
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