AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux janvier deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ROGNON, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour ;
Vu la Communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jacky,
- Y... René,
- Y... Serge,
- La société VOGISFORM BEDDING,
contre l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de SAINT-DIE, en date du 17 septembre 2001, qui a autorisé l'administration des Impôts à effectuer des visites et saisies de documents en vue de rechercher la preuve d'une fraude fiscale ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 16 B, R. 16 B-1 du Livre des procédures fiscales, ensemble les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé les visites et saisies domiciliaires ;
"aux motifs que l'administration fiscale présente à l'appui de sa requête, des pièces dont l'origine est apparemment licite et qui peuvent être utilisées pour la motivation de la présente ordonnance ;
que, selon des informations communiquées à Dominique Jasinski, inspecteur des Impôts et Daniel Lecomte, contrôleur principal des Impôts, tous en poste à la brigade de contrôle et de recherche des Vosges, rapportées par eux dans une attestation qu'ils ont signée le 6 mars 2001, la société Vogisform Bedding, sise 34 route de la Verpellière, aurait mis en place un montage frauduleux (pièce n° 1) ; que, selon les informations reçues et contenues dans cette attestation, ce montage consiste à faire fictivement transiter les marchandises (matelas) fabriquées dans les Vosges par le Luxembourg et à réintroduire ces mêmes marchandises en France, afin d'éluder la TVA ; que, selon cette attestation, la société Vogisform Bedding utilise une société de domiciliation au Luxembourg, la société Erwan, que l'ensemble des clients français est constitué par des gens du voyage qui traitent directement avec Pierre Z..., salarié de l'entreprise, que les forains règlent les achats avec les chèques de leurs propres clients ; que les chèques récupérés par Pierre Z... sont ensuite souvent utilisés pour le paiement de certains fournisseurs de la société Vogisform ; que, selon l'attestation précitée, cette seconde anomalie permet d'éluder une grande partie du chiffre d'affaires ; qu'il est précisé que cette fraude concerne
aussi des personnes physiques, Serge Y... étant cité en qualité de gérant et actionnaire, Jacky X... l'étant en qualité de directeur financier et comptable de l'entreprise, également actionnaire ; que Pierre Z... est cité en qualité de commercial ; que René Y..., père de Serge Y..., retraité, approvisionne les forains en matelas avec une camionnette et se rémunère en vendant une partie pour son compte ; que A...e Y..., née B..., épouse de Serge Y..., bénéficierait d'un salaire fictif dans l'entreprise ; que Serge Y..., Jacky X... et Pierre Z..., détiendraient chacun des cahiers retraçant des ventes faites sans facture au client, ceci afin de surveiller leurs agissements mutuels et de pouvoir suivre l'état d'avancement de leur mécanisme de fraude ; que d'autres informations parvenues au service, selon cette attestation, précisent que cette fraude s'effectue avec la complicité de Jacques A..., gérant de la société Adecafe Ecritures qui aurait mis en place un circuit permettant de blanchir et de dissimuler les sommes perçues lors des ventes de matelas par les gens du voyage ;
"alors, d'une part, que le juge peut faire état à l'appui de sa décision, d'une déclaration anonyme, dès lors que celle-ci lui est soumise au moyen d'un document établi par les enquêteurs et signé par eux, permettant d'en apprécier la teneur, et est corroborée par d'autres éléments d'information décrits et analysés par lui ; qu'en cas de déclaration anonyme verbale, chaque enquêteur établit autant de documents que de déclarations reçues personnellement ; qu'en l'espèce, il ressort de l'attestation du 6 mars 2001, que Dominique Jasinski et Daniel Lecomte, relataient avoir reçu l'information d'une personne qui les avait contacté par téléphone à plusieurs reprises et désirait garder l'anonymat ; qu'il ressortait que chacun avait été destinataire des déclarations dont il devait attester dans un document distinct ; qu'en se fondant sur cette attestation unique relatant plusieurs déclarations anonymes faites verbalement, le juge a violé l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
"alors, d'autre part, qu'il résulte de l'attestation délivrée par Dominique Jasinski et Daniel Lecomte, que d'autres informations sont parvenues au service précisant que la fraude s'effectuait avec la complicité de Jacques A..., gérant de la société Adecafe Ecritures qui aurait mis en place un circuit permettant de blanchir et dissimuler les sommes perçues lors des ventes de matelas par les gens du voyage ; que cette attestation ne précise pas l'origine de ces informations, n'indiquant pas si elle résulte de déclarations verbales ou de lettre anonyme, le juge ne pouvant faire état d'un courrier anonyme dont la réception par l'Administration n'est pas attestée et en l'absence de production de cette pièce ou de sa copie ;
qu'en retenant, pour faire droit à la requête de l'Administration, que la société Adecafe Ecritures a pour activité le développement et la gestion d'une activité de prestation de service au bénéfice des gens du voyage, que son gérant est Jacques Henri A... et qu'il est susceptible de détenir des documents relatifs à la fraude présumée, qu'il est susceptible de détenir des documents illustrant la fraude présumée, le juge s'est ainsi fondé sur un document établi par les enquêteurs et signé par eux ne relatant pas l'origine de l'information ni précisément qui en a été destinataire, le service n'ayant aucune existence légale et, partant, ne permettant pas de constater que l'information a bien été reçue par le "service" et a violé l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
"alors, enfin, qu'en se contentant de procéder à une énumération, quasiment dans l'ordre des pièces annexées à la requête, pour retenir que les éléments précités, c'est-à-dire les pièces ainsi énumérées, constituent des présomptions permettant la mise en oeuvre de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, le juge qui n'a porté aucune analyse autre que l'énumération desdites pièces, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile" ;
Attendu, d'une part, que le juge peut faire état de plusieurs déclarations anonymes faites oralement aux agents de l'administration fiscale, dès lors que celles-ci lui sont soumises au moyen d'un document établi et signé par ces agents, permettant d'en apprécier la teneur, et qu'elles sont corroborées par d'autres éléments d'information que l'ordonnance décrit et analyse ;
Attendu, d'autre part, que l'administration fiscale peut mettre en oeuvre la procédure prévue par l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales pour rechercher la preuve d'une fraude fiscale en se fondant sur des éléments régulièrement constatés par elle, dans l'exercice de ses pouvoirs d'investigation et droit de communication, sans être tenue d'en préciser l'origine au moyen d'un document écrit ;
Attendu, enfin, que le juge, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Rognon conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;