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22/01/2003 | FRANCE | N°01-88463

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 janvier 2003, 01-88463


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux janvier deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de Me COSSA, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Philippe,

- Y... Maurice,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correc

tionnelle, en date du 20 juin 2001, qui a condamné le premier, pour escroquerie, et le second...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux janvier deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de Me COSSA, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Philippe,

- Y... Maurice,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 20 juin 2001, qui a condamné le premier, pour escroquerie, et le second, pour complicité d'escroquerie, abus de biens sociaux, faux et usage, à 3 ans d'emprisonnement dont 30 mois avec sursis, 250 000 francs d'amende, 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, a rejeté la demande en confusion de peines formée par le premier, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 405 ancien du Code pénal, 121-6, 121-7 et 313-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Philippe X... et Maurice Y... d'escroquerie pour le premier, complicité d'escroquerie, faux, usage de faux et abus de biens sociaux pour le second ;

"aux motifs que la société COM 06 a été créée le 22 juillet 1998 pour les seuls besoins de l'opération Salles Multimédia par Maurice Y..., dirigeant d'une société commercialisant de la porcelaine blanche, ami proche de Jacques Z... et de M. A..., député, conseiller général et conseiller municipal de Nice ; il avait pour associée dans la société COM 06 Mme B..., déléguée régionale au RPR pour l'action féminine, également proche de Jacques Z... et de Pierre C... ; avant de créer cette société, Maurice Y... avait obtenu l'assurance formelle de se voir attribuer le marché qui portait sur 25 installations dans 25 communes différentes ; la marge réalisée par la société COM 06 était manifestement destinée à rémunérer sa complaisance à accepter la sous-dévolution de son marché à la société monégasque de Philippe X... Monaco Sponsoring ; le rôle de la société Monaco Sponsoring, en tant que "société taxi" destinée notamment à surfacturer ses prestations est établi par différentes déclarations ; Mme D..., administratrice de la société LTD déclarait que la société Monaco Sponsoring était une société intermédiaire "couverture de Jacques Z..." qu'il fallait rémunérer au passage (...) ; que Maurice Y... conteste vigoureusement la prévention de complicité d'escroquerie ; il fait valoir que le marché, qui avait été soumis au contrôle de légalité,

a été entièrement exécuté à la satisfaction de ses bénéficiaires et qu'en conséquence, il ne saurait sérieusement être allégué qu'une escroquerie a été commise par la société COM 06 au détriment de son cocontractant le Conseil général des Alpes-Maritimes ; sans son intervention, en acceptant, en qualité d'attributaire du marché des salles "multimédia" du Conseil général des Alpes-Maritimes, l'interposition purement fictive de la société facturière Monaco Sponsoring, gérée par Philippe X..., Maurice Y... s'est bien rendu complice de l'escroquerie reprochée à Philippe X... ;

"alors, d'une part, que, lorsque la victime d'une escroquerie est une personne morale, les manoeuvres frauduleuses doivent avoir été de nature à tromper les personnes physiques qui la représentent ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constate que la société COM 06 de Maurice Y..., qui aurait été une société fictive, aurait été créée à la demande de Jacques Z..., président du Conseil général, et de M. A..., député, et qu'elle comptait parmi ses associés Mme B..., "proche" de Jacques Z... ; qu'elle constate encore que "la société Monaco Sponsoring était une société intermédiaire couverture de Jacques Z..." ainsi que "la surfacturation par Monaco Sponsoring au bénéfice de la nébuleuse "Z..."" ; qu'il ressort ainsi des propres constatations de l'arrêt attaqué que les représentants du Conseil général des Alpes-Maritimes, au premier plan desquels le président de ce dernier, Jacques Z..., avaient connaissance, pour en être les initiateurs et principaux bénéficiaires, de l'interposition de sociétés dites fictives et de la facturation des services que celles-ci rendaient, de telle sorte que les manoeuvres frauduleuses imputées aux prévenus ne pouvaient être de nature à les tromper ni le Conseil général qu'ils représentaient ; que, dès lors, les constatations de fait excluent l'existence d'une escroquerie au préjudice du Conseil général de sorte que les condamnations prononcées ne sont pas légalement justifiées ;

"alors, d'autre part, que, dans un mémoire déposé devant la Cour, Maurice Y... a fait valoir qu'aucune tromperie des représentants du Conseil général n'avait eu lieu ; qu'en se bornant à établir la participation personnelle de Maurice Y... au dispositif de surfacturation, et en s'abstenant de toute constatation relative à l'existence d'une tromperie, la cour d'appel n'a pas répondu au moyen péremptoire qui lui était soumis et n'a ainsi pas motivé sa décision ;

"alors, enfin, que les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme impliquent que la personne accusée d'une infraction puisse discuter du bien fondé et de la nécessité de la peine susceptible de lui être appliquée en fonction des accusations qui sont retenues à son encontre ; que l'annulation de l'un des chefs de condamnation modifie nécessairement la teneur de l'accusation de sorte que la peine prononcée ne saurait être appliquée sans que la personne accusée soit en mesure d'en rediscuter la nécessité et le bien fondé ; qu'en l'espèce, la peine à l'égard de Maurice Y... a été prononcée sur le fondement de la complicité d'escroquerie, de l'infraction de faux et d'usage de faux et d'abus de biens sociaux, punie chacune de 5 ans d'emprisonnement ; que la condamnation du chef de complicité d'escroquerie ayant déterminé les juges dans l'évaluation de la peine nécessaire, son illégalité doit entraîner la cassation de l'arrêt en son ensemble" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 1382 du Code civil, 405 de l'ancien Code pénal, 313-1 du Code pénal, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Philippe X... et Maurice Y... solidairement à verser au département des Alpes-Maritimes la somme de 8 274 925 francs à titre de dommages et intérêts ;

"aux motifs que des éléments de la procédure, il ressort que le coût réel d'une salle multimédia s'élevait à la somme de 367 201 francs ; il est incontestable que le Conseil général des Alpes-Maritimes a déboursé pour chacun des sites une somme de 698 198 francs, de sorte qu'il a dû supporter un surcoût par salle de 330 997 francs ; 25 salles ayant été payées, son préjudice global s'élève donc à la somme de 8 274 925 francs ;

"alors que si la victime des faits susceptibles d'être qualifiés d'escroquerie est une personne morale, cette personne morale ne saurait être déclarée bien fondée en son action civile qu'autant que les agissements délictueux dont elle prétend demander réparation ont été de nature à tromper la personne physique qui la représentait ; qu'en s'abstenant de constater que les agissements imputés aux prévenus étaient de nature à tromper les représentants du département Alpes-Maritimes, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le conseil général des Alpes-Maritimes, a, sans appel d'offres préalable, confié à la société COM 06, créée pour la circonstance par Maurice Y..., un marché public portant sur l'équipement audiovisuel de 25 communes du département ;

Que ce marché a été sous-traité à la société Monaco Sponsoring, dirigée par Philippe X..., qui, étant elle aussi dépourvue de toute compétence pour réaliser les travaux, en a confié l'exécution à la société LG Communication ;

Attendu que, pour déclarer Philippe X... et Maurice Y... coupables d'escroquerie et complicité de ce délit, et les condamner à des réparations civiles, les juges énoncent que la société Monaco Sponsoring s'est bornée, en tant que "société taxi", à refacturer au franc près les matériels et à majorer le coût de la sous-traitance par un coefficient multiplicateur supérieur à deux et que le montant de la surfacturation mis à la charge du département des Alpes-Maritimes, qui s'est élevé à 8 274 926 francs, a été partagé entre les sociétés COM 06 et Monaco Sponsoring et rétrocédé pour partie à des tiers évoluant dans l'entourage du président du conseil général ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que le paiement des sommes indues, par la collectivité publique, a été déterminé par la présentation des factures surévaluées corroborées par un montage faisant intervenir des sociétés fictives, et dès lors que l'assentiment allégué du président du conseil général à ces manoeuvres ne pourrait le faire considérer que comme un tiers complice des escrocs, et non comme représentant la personne morale dont il aurait été le mandataire infidèle, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 de l'ancien Code pénal, 132-2 et 132-4 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande formée par Philippe X... tendant à la confusion de la peine prononcée avec une peine antérieurement prononcée ;

"aux motifs qu'il n'y a pas lieu de prononcer la confusion de peine au bénéfice de Philippe X... ;

"alors que les juges du fond, qui se prononcent sur la confusion en l'écartant, doivent motiver leur décision ; que l'arrêt attaqué qui n'a pas précisé la nature des condamnations antérieures, ni les faits qui les ont motivées, ni davantage la date de leur prononcé, n'a pas mis à même la Cour de Cassation de contrôler si, par l'effet de précédentes condamnations devenues définitives, la peine prononcée excédait le maximum légal le plus élevé et a privé sa décision de base légale au regard des textes précités" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que la cour d'appel, après avoir condamné Philippe X... à 3 ans d'emprisonnement dont 30 mois avec sursis, 250 000 francs d'amende et 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, se borne à énoncer qu'il y a lieu de rejeter la demande en confusion de peines qu'il a présentée ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans préciser ni la peine avec laquelle la confusion était demandée, ni pour quels faits et dans quelles conditions elle a été prononcée, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle, notamment, de vérifier si la confusion est juridiquement possible et, dans l'affirmative, si le maximum des peines n'a pas été dépassé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 20 juin 2001, en ses seules dispositions ayant statué sur la confusion, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Samuel conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Challe, Roger, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut conseillers de la chambre, Mme de la Lance, M. Soulard conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Frechede ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 01-88463
Date de la décision : 22/01/2003
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, 20 juin 2001


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 22 jan. 2003, pourvoi n°01-88463


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2003:01.88463
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