AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que, selon l'arrêt attaqué rendu en référé (Versailles, 28 septembre 2000) Mlle X..., désignée en qualité de personne qui assiste le salarié lors de l'entretien préalable à son licenciement par arrêté préfectoral du 30 avril 1998, a été embauchée en qualité de vendeuse par la société Boulangerie de l'Europe, le 25 mai 1998 ; qu'elle a été licenciée le 6 novembre 1998 avec dispense d'effectuer son préavis, sans que son employeur n'ait sollicité une autorisation administrative de licenciement ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Boulangerie de l'Europe fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la réintégration de la salariée dans son emploi, alors, selon le moyen :
1 ) que le point de départ de la protection attachée à la qualité de conseiller du salarié est la connaissance, par l'employeur, de l'inscription de l'intéressé sur la liste établie par le Préfet ; que la seule publication de cette liste au recueil des actes administratifs du département ne suffit pas à établir la connaissance de l'employeur ; qu'en décidant au contraire que la publicité de la liste des conseillers établie par arrêté préfectoral du 30 avril 1998 avait eu pour effet de rendre opposable à la société la désignation de la salariée en qualité de conseiller du salarié, pour en déduire que cette dernière avait été irrégulièrement licenciée le 6 novembre 1998, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-14 et suivants et D. 122-3 du Code du travail ;
2 ) que le salarié ne peut bénéficier de la protection légale instituée par l'article L. 122-14-14 du Code du travail au profit du conseiller du salarié qu'à la condition d'exercer effectivement ses fonctions dans l'intérêt général ; qu'il appartient au juge du fond de le vérifier ; qu'en décidant dès lors que la circonstance que Mlle X... n'aurait jamais utilisé sa qualité de conseiller ne peut constituer un abus de droit permettant à l'employeur de s'affranchir des dispositions légales, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'intéressée n'avait pas détourné les règles du statut protecteur dans son seul intérêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-14-14 du Code du travail ;
Mais attendu, d'abord, qu'aux termes de l'article D. 122-3 du Code du travail, la liste des conseillers est établie par le préfet et qu'elle est publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture ; qu'elle peut être consultée tant en préfecture, qu'à l'inspection du travail et en mairie ; qu'il en résulte qu'en raison de cette publicité les inscriptions sur ladite liste, sont opposables à tous ;
Et attendu, ensuite, que la protection exorbitante du droit commun accordée au salarié chargé d'assister les salariés convoqués en vue d'un licenciement par l'article L. 122-14-16 du Code du travail est indépendante de l'accomplissement de missions dont la mise en oeuvre ne lui appartient pas ; d'où il suit que la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que l'employeur reproche à la cour d'appel de l'avoir condamné à verser à la salariée une somme de 180 000 francs au titre de l'indemnité sanctionnant la méconnaissance du statut protecteur, alors selon le moyen, que le salarié protégé sans autorisation peut prétendre à une indemnisation compensant la perte de rémunération entre le licenciement et la réintégration, que dans l'évaluation de ce préjudice, le juge doit tenir compte des allocations de chômage perçues par le salarié pendant cette période, ainsi que des salaires que celui-ci a pu percevoir au titre d'un nouvel emploi ; qu'en refusant de tenir compte de la rémunération perçue par Mlle X... de l'entreprise UP Date informatique, ainsi que de ses indemnités ASSEDIC, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-16 du Code du travail ;
Mais attendu que la salariée protégée dont le contrat de travail est rompu sans autorisation administrative, est en droit d'obtenir, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, une indemnité au moins égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction et l'expiration de la période de protection ; que l'existence de l'obligation n'étant pas sérieusement contestable, la cour d'appel a souverainement fixé le montant de la provision à valoir sur cette indemnité ;
Que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Boulangerie de l'Europe aux dépens ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille trois.