AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze décembre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Alain, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, en date du 15 juin 2001, qui, dans l'information suivie sur sa plainte contre personne non dénommée, des chefs de délit d'initié, abus de pouvoirs et escroquerie, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré irrecevable sa constitution de partie civile ;
Vu l'article 575, alinéa 2, 2 , du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire personnel produit ;
Le demandeur au pourvoi présent à l'audience ayant été invité à répliquer après audition du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions de l'avocat général ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 31 décembre 1999, Alain X..., actionnaire de la société Immobail, a déposé plainte avec constitution de partie civile contre personne non dénommée, des chefs de délit d'initié, abus de pouvoirs et escroquerie, en exposant que la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMA BTP) et la société mutuelle d'assurance vie du bâtiment et des travaux publics (SMA Vie BTP), actionnaires minoritaires de la société Immobail et par ailleurs dirigeants sociaux, désireuses de céder leur participation au capital de cette dernière, ont, par lettre du 11 janvier 1999, mandaté la banque Lazard Frères et Cie afin de trouver un acquéreur ; qu'elles ont proposé, par l'intermédiaire de cette banque, de communiquer aux candidats éventuels des informations confidentielles et privilégiées sur la société Immobail, en exigeant de ceux-ci la signature d'une "lettre de confidentialité" par laquelle ils s'engageaient, si leur offre était écartée, à ne pas effectuer de transaction sur le titre Immobail pendant deux ans ; que, le 15 avril 1999, la société Sovabail a formulé une offre d'achat des actions Immobail détenues par les sociétés SMA BTP et SMA Vie BTP, au prix de 35,06 euros, alors que le titre avait été coté jusqu'à 42,68 euros au cours du premier semestre 1999 ; que la signature des actes de cession est intervenue le 29 juin 1999 et que, par la suite, la société Sovabail a déposé une offre publique d'achat des actions au même prix, laquelle a fait l'objet d'une décision favorable du Conseil des marchés financiers, en date du 16 septembre 1999, et d'une note d'information visée le même jour par la Commission des opérations de bourse ;
Attendu que, par ordonnance du 16 juin 2000, le juge d'instruction a déclaré irrecevable la constitution de partie civile d'Alain X... ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
Attendu qu'Alain X... a invoqué devant la chambre de l'instruction la violation du principe de contradiction en faisant notamment valoir que le juge d'instruction avait rendu son ordonnance sans l'avoir entendu ni invité à présenter ses observations ;
Attendu que, pour écarter ce grief, l'arrêt attaqué énonce que le juge d'instruction s'est prononcé sur la recevabilité de la constitution de partie civile conformément aux dispositions de l'article 87 du Code de procédure pénale et que l'obligation de motiver l'ordonnance et l'ouverture de la voie de l'appel mettent la partie civile en mesure de débattre des motivations retenues au soutien de la décision ;
Attendu qu'en cet état, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur les deuxième, cinquième, sixième, septième et huitième moyens de cassation, pris de la violation des articles L. 242-6, 4 , du Code de commerce, L. 465-1 du Code monétaire et financier, 313-1 du code pénal, 2, 85 et 592 du Code de procédure pénale ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction a déclaré, à bon droit, irrecevable la constitution de partie civile d'Alain X... des chefs d'escroquerie et d'abus de pouvoirs, dès lors que, d'une part, les faits dénoncés ne constituent pas l'infraction prévue par l'article 313-1 du Code pénal et que, d'autre part, le délit d'abus de pouvoirs commis par un dirigeant de société cause, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;
Mais sur les troisième et quatrième moyens de cassation, pris de la violation des articles L. 465-1 et L. 465-3 du Code monétaire et financier, 2, 85 et 593 du Code de procédure pénale ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 2, 3, 85 et 87 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'instruction d'admettre comme possible l'existence du préjudice en relation directe avec une infraction à la loi pénale ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile d'Alain X..., notamment, du chef de délit d'initié, les juges du second degré énoncent que le juge d'instruction a relevé à juste titre que "la cession d'actions par des administrateurs disposant d'informations privilégiées, si elle peut porter atteinte au fonctionnement normal du marché, ne cause par elle-même aucun préjudice personnel et direct aux autres actionnaires de la société ni à la société elle-même" ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'à le supposer établi le délit d'initié est susceptible de causer un préjudice personnel direct aux actionnaires, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 15 juin 2001, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Challe conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Roger, Dulin, Mme Thin, MM. Rognon, Chanut conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM. Soulard, Samuel conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;