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03/12/2002 | FRANCE | N°01-00641

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 03 décembre 2002, 01-00641


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° P 01-00.844 et T 01-00.641 qui attaquent le même arrêt ;

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société de bourse Meeschaert Rousselle (P 01-00.844) et par la société Deloitte Touche Tohmatsu, anciennement dénommée De Bois DieterleT et associés BDA (T 01-00.641) que sur les pourvois incidents relevés par la société Bourely répartition, aux droits de laquelle se trouve la société Comptoir commercial pha

rmaceutique (la société CCP) (P 01-00.844 et T 01-00.641) ;

Donne acte à M. Jean-P...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° P 01-00.844 et T 01-00.641 qui attaquent le même arrêt ;

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société de bourse Meeschaert Rousselle (P 01-00.844) et par la société Deloitte Touche Tohmatsu, anciennement dénommée De Bois DieterleT et associés BDA (T 01-00.641) que sur les pourvois incidents relevés par la société Bourely répartition, aux droits de laquelle se trouve la société Comptoir commercial pharmaceutique (la société CCP) (P 01-00.844 et T 01-00.641) ;

Donne acte à M. Jean-Pierre X... de ce qu'il s'est désisté partiellement de ses pourvois en tant que dirigés contre la société Bourely répartition et la société de bourse Meeschaert Rousselle ;

Donne acte à la société de bourse Meeschaert Rousselle de ce qu'elle s'est désistée partiellement de son pourvoi en tant que dirigé contre M. X... ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y..., directeur administratif et financier la société Bourely répartition, aux droits de laquelle se trouve la société Comptoir commercial pharmaceutique (la société CCP), a détourné, au moyen de chèques tirés sur les comptes bancaires de cette société, à son profit, courant 1986, 1987 et début 1988, une certaine somme, en alimentant un compte personnel ouvert à la société de bourse Meeschaert Rousselle (la société de bourse) ; que les fonds ainsi prélevés étaient comptabilisés dans un compte d'attente de la comptabilité de la société CCP, lequel n'enregistrait pas d'autres écritures ; que la société CCP a assigné, d'une part, la société de bourse et, d'autre part, la société De Bois Dieterle, actuellement dénommée Deloitte Touche Tohmatsu, son commissaire aux comptes (le commissaire aux comptes), en paiement de sommes correspondant aux détournements commis à son préjudice par M. Y... ; que la cour d'appel a imputé à faute le manque de vigilance de la société de bourse, à compter d'octobre 1987 seulement, pour avoir accepté trois chèques d'un montant global de 5 millions de francs, et a retenu la faute du commissaire aux comptes pour ne pas avoir décelé à partir de cette même date les dysfonctionnements de la nature de ceux qui avaient permis la perpétuation des malversations de M. Y... ; qu'elle a condamné la société de bourse et le commissaire aux comptes in solidum à payer à la société CCP la première la somme de deux millions cinq cent mille francs et le second la somme de cinq millions de francs ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi principal de la société de bourse :

Attendu que la société de bourse reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :

1 / qu'en retenant tour à tour que, bénéficiaire des chèques, elle n'était pas tenue de vérifier la provenance des fonds, que la discordance entre le titulaire du compte de bourse et le titulaire du compte de banque débité imposait des mesures de vérifications concrètes et simples, que jusqu'à un montant de 3 millions de francs, la société de bourse pouvait accepter les chèques que lui remettait M. Y... tirés sur le compte de la société CCP mais qu'au-delà elle aurait dû exiger les justificatifs du consentement de cette dernière, la cour d'appel a laissé incertain le fondement de la responsabilité de la société de bourse et partant de la condamnation prononcée et a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

2 / que le paiement de tous les chèques tirés sur le compte de la société CCP qui lui ont été remis par M. Y... était de nature à conforter la société de bourse dans l'idée selon laquelle la société CCP avait donné son accord au financement de ces opérations boursières et excluait que l'acceptation de ces chèques puisse être considérée comme fautive ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'en retenant, à partir d'octobre 1987 seulement, la responsabilité de la société de bourse laquelle aurait dû, compte tenu d'une conjoncture boursière préoccupante et du nombre de transactions, exiger des justificatifs quant au consentement de la société CCP aux opérations boursières ou aux droits de M. Y... sur les fonds ainsi placés, la cour d'appel a pu décider, en l'état de ces énonciations et constatations, que la société de bourse avait, à compter de cette date, manqué de vigilance caractéristique d'une faute de négligence ayant concouru au préjudice subi par la société CCP en acceptant, en pleine période de dépression boursière et en trois jours, trois chèques d'un montant total de 5 millions de francs qui ont servi à résorber le solde débiteur du compte personnel de M. Y... ; que le moyen unique, pris en ses deux branches du pourvoi principal, n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches, du pourvoi incident de la société CCP dirigé contre la société de bourse :

Attendu que la société CCP fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1 / que le professionnel de la finance est tenu d'un devoir de prudence et de vigilance sur l'ouverture et le fonctionnement d'un compte ouvert en ses livres ; qu'il résulte de ces constatations de l'arrêt attaqué que M. Y... a ouvert dans les livres de la société de bourse Meeschaert Rousselle un compte personnel dans son intérêt exclusif alimenté uniquement par des chèques qu'il tirait sur des comptes ouverts au nom de la SA CCP et ce sans justifier du moindre mandat ; qu'en estimant néanmoins que la société de bourse n'était responsable que des conséquences des placements effectuées à partir du mois d'octobre 1987 par M. Y... et non de toutes les opérations ostensiblement irrégulières depuis l'ouverture même du compte, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant l'article 1382 du Code civil ;

2 / que la faute de la société de bourse Meeschaert Rousselle qui a ouvert et laissé fonctionner un compte personnel de M. Y... dans l'intérêt exclusif de ce dernier avec des chèques CCP et donc alimenté uniquement avec des abus de biens sociaux ostensibles, est à l'origine de l'entier préjudice résultant de ces détournements qui n'auraient pu être réalisés sans la faute grossière de la société de bourse ; qu'en décidant le contraire, au regard du dysfonctionnement interne de la société CCP et de la faute commise par le commissaire aux comptes de cette dernière, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'en retenant et en limitant dans le temps la responsabilité de la société de bourse, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait dès lors que les opérations précédemment effectuées par M. Y... n'étaient pas de nature à attirer son attention ; que le moyen unique, pris en ses deux premières branches, du pourvoi incident n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal du commissaire aux comptes :

Attendu que le commissaire aux comptes fait aussi le même reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que le commissaire aux comptes a pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la société ; que le contrôle des pièces comptables en cours d'exercice, avant l'établissement des comptes annuels ne s'impose que dans les cas où des contrôles précédents ont montré des carences de la société dans la tenue de sa comptabilité ou dans les procédures de contrôle interne ; que l'arrêt attaqué, qui relève que la société CCP disposait d'une trésorerie pléthorique et réalisait chaque année de très importants bénéfices, a constaté que le commissaire aux comptes n'était pas tenu de procéder à un examen des comptes bancaires au cours de l'exercice 1986 ; qu'en énonçant néanmoins qu'il aurait dû demander dès le mois de juillet 1987, soit plusieurs mois avant la clôture de l'exercice, une situation intermédiaire laquelle aurait permis de déceler les détournements opérés par M. Y... sans relever l'existence de circonstances particulières justifiant la mise en oeuvre de ce pouvoir de contrôle du commissaire aux comptes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 228 de la loi du 24 juillet 1966 ;

Mais attendu que l'arrêt retient que le compte d'attente ouvert dans les livres de la société CCP, compte exceptionnel destiné à être soldé rapidement qui enregistrait les sommes détournées par M. Y..., aurait dû, en raison de l'ancienneté des écritures et de l'importance des sommes comptabilisées, attirer l'attention du commissaire aux comptes, lequel a pour mission de contrôler à toute époque de l'année les comptes sociaux et est investi d'une mission permanente de vérifier les valeurs et les documents comptables de la société ; qu'il ajoute qu'une vérification normalement effectuée et notamment la demande de production d'une situation intermédiaire en cours d'exercice aurait permis de découvrir les malversations ; que la cour d'appel, qui en a déduit que le commissaire aux comptes avait manqué à ses obligations de diligence à compter d'octobre 1987, date à laquelle les prélèvements se sont multipliés, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi principal du commissaire aux comptes, pris en sa première branche :

Attendu que le commissaire aux comptes fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à la société Bourely répartition une somme de cinq millions de francs, alors, selon le moyen, que la cour d'appel a constaté que la perpétuation des placements boursiers a pour cause un dysfonctionnement interne objectif de la société CCP découlant de la carence des services comptables sous la direction de M. Y... ;

qu'en refusant néanmoins de tenir compte de cette faute de la société et d'en déduire une exonération au moins partielle de la responsabilité du commissaire aux comptes, la cour d'appel a violé l'article 228 de la loi du 24 juillet 1966 ;

Mais attendu qu'en retenant que le commissaire aux comptes, lequel a pour mission de déceler les dysfonctionnements de la nature de ceux qui ont permis la perpétuation des malversations, ne peut s'en prévaloir pour s'exonérer partiellement de sa responsabilité, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen, pris en sa première branche, n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi principal du commissaire aux comptes, pris en sa seconde branche :

Attendu que le commissaire aux comptes fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à la société Bourely répartition une somme de cinq millions de francs avec intérêts au taux légal à compter du 13 juin 1988, alors, selon le moyen, qu'il a été assigné devant les premiers juges à la demande de la société CCP, pas acte du 25 juillet 1997 ; que seule la société de bourse a été visée dans l'assignation du 13 juin 1988 ; qu'en faisant courir les intérêts de la condamnation prononcée contre la société Deloitte Touche Tohmatsu à compter du 13 juin 1988, la cour d'appel a violé l'article 1153 du Code civil

Mais attendu qu'en fixant à une date autre que celle de sa décision le point de départ des intérêts, la cour d'appel n'a fait qu'user de la faculté remise à sa discrétion par l'article 1153-1 du Code civil ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les quatrième et cinquième branches du pourvoi incident de la société CCP dirigé contre la société de bourse et sur les trois branches du moyen unique du pourvoi incident de la société CCP dirigé contre le commissaire aux comptes, les moyens étant réunis :

Attendu que la CCP reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon les moyens :

1 / que les termes du litige sont fixés par les prétentions respectives des parties ; qu'il résulte tant des conclusions de CCP que de celles de la société de bourse Meeschaert Rousselle et encore de celles du commissaire aux comptes que M. Y... a perdu une somme de 12 894 000 francs provenant des fonds de la société CCP, le solde créditeur d'un montant de 5 640 101,80 francs du compte de M. Y... ayant déjà été déduit du montant total des détournements de M. Y... s'étant élevé à 18 300 000 francs ; qu 'en déduisant une deuxième fois du préjudice subi par la société CCP le solde créditeur du compte de M. Y... à la société Buisson, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, violant l'article 4 du nouveau Code de procédure civile et 1134 du Code civil ;

2 / que celui que se prétend libéré d'une obligation doit justifier le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; qu'en déduisant arbitrairement de l'obligation de la société de bourse Meeschaert Rousselle à réparer le préjudice de la société CCP une somme de 638 295,50 francs au motif que l'issue d'une procédure de saisie arrêt sur salaires de M. Y... n'était pas justifié, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, violant l'article 1315, alinéa 2, du Code civil ;

3 / que les termes du litige sont fixés par les prétentions respectives des parties ; qu'il résulte tant des conclusions de la société que des conclusions concordantes de la société De Bois Dieterle devenue Deloitte Touche Tohmatsu que le montant des détournements de M. Y... au préjudice de la société CCP, après récupération auprès de la société Buisson de la somme de 5 000 000 francs, s'élevait encore à 13 300 000 francs ; qu'en déduisant le montant de la somme récupérée auprès de la société Buisson, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, violant l'article 4 du nouveau Code de procédure civile et 1134 du Code civil ;

4 / que celui que se prétend libéré d'une obligation doit justifier le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; qu'il résulte des constatations et appréciations de l'arrêt attaqué que le commissaire aux comptes est responsable des détournements commis au préjudice de la société CCP ; qu'en déduisant arbitrairement de l'obligation du commissaire aux comptes à réparer ce préjudice une somme de 638 295,50 francs au motif que l'issue d'une procédure de saisie-arrêt sur salaires de M. Y... n'était pas justifié, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, violant l'article 1315, alinéa 2, du Code civil ;

5 / qu'en toute hypothèse, en déduisant arbitrairement cette somme du préjudice subi par la société CCP sans constater qu'elle avait effectivement pu être recouvrer par M. Y..., la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant, dans l'exercice de son pouvoir souverain, sans dénaturation des écritures des parties et sans inversion de la charge de la preuve, estimé que le préjudice de la société CCP engendré par la négligence de la société de bourse correspondait aux placements faits à partir du mois d'octobre 1987 minorés du solde transféré à une autre société de bourse Buisson, des montants récupérés auprès de M. Y... ainsi que des sommes saisies par saisie-arrêt, la cour d'appel, qui a fixé le préjudice global de la société CCP à la somme de cinq millions de francs, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches du pourvoi incident dirigé contre la société de bourse, et le moyen unique, pris en ses trois branches, du pourvoi incident dirigé contre le commissaire aux comptes ne sont fondés ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident de la société CCP dirigé contre la société de bourse :

Vu les articles 1382 et 1202 du Code civil ;

Attendu que pour condamner la société de bourse à payer la somme de deux millions cinq cent mille francs, l'arrêt, qui fixe le préjudice global de la société CCP résultant des fautes conjuguées des deux coauteurs à cinq millions de francs, minore de moitié la responsabilité de la société de bourse qui lui incombe au regard de celle du commissaire aux comptes ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux et qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, qui permet à la Cour de Cassation de casser sans renvoi en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a limité la condamnation de la société de bourse à la somme de deux millions cinq cent mille francs, l'arrêt rendu le 17 octobre 2000, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société de bourse Meeschaert Rousselle in solidum avec la société Deloitte Touche Tohmatsu, le commissaire aux comptes, à payer à la société CCP la somme de cinq millions de francs avec intérêts au taux légal à compter du 13 juin 1988 ;

Condamne la société de bourse Meeschaert Rousselle et la société Deloitte Touche Tohmatsu aux dépens ;

Dit que ceux afférents aux instances devant les juges du fond seront supportés par la société de bourse Meeschaert Rousselle et la société Deloitte Touche Tohmatsu ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en son audience publique du trois décembre deux mille deux.


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