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26/11/2002 | FRANCE | N°01-88900

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 novembre 2002, 01-88900


REJET du pourvoi formé par X... Zoé, épouse Y..., Z... Christian, A... Marie-Chantal, épouse Z..., Z... Pierre-Emmanuel, A... Maurice, B... Ginette, C... Kemal, D... Martine, épouse C..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur fils mineur Maxime, C... Boualem, C... Abdenaur, E... Odette, épouse D..., D... Marie-Christine, F... Elodie, G... Gilles, G... Delphine, G... Marie-Anne, H... Michel, I... Corinne, épouse H..., agissant tant en leur nom en leur nom personnel qu'au nom de leur fils mineur Rodolphe, J... Jean-Jacques, K... Sylvie, épouse J..., agissant tant en leur

nom personnel qu'au nom de leur fille mineure Lucie, L....

REJET du pourvoi formé par X... Zoé, épouse Y..., Z... Christian, A... Marie-Chantal, épouse Z..., Z... Pierre-Emmanuel, A... Maurice, B... Ginette, C... Kemal, D... Martine, épouse C..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur fils mineur Maxime, C... Boualem, C... Abdenaur, E... Odette, épouse D..., D... Marie-Christine, F... Elodie, G... Gilles, G... Delphine, G... Marie-Anne, H... Michel, I... Corinne, épouse H..., agissant tant en leur nom en leur nom personnel qu'au nom de leur fils mineur Rodolphe, J... Jean-Jacques, K... Sylvie, épouse J..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur fille mineure Lucie, L... Christine, M... Sophie, N... Noëlle, agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille mineure O... Marie-Lucrèce, parties civiles, contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 1er juin 2001, qui, dans la procédure suivie des chefs d'homicides et de blessures involontaires contre Daniel P..., Hervé Q..., Yves R... et Serge S..., les a déboutés de leurs demandes après relaxe des trois derniers, et a statué sur les intérêts civils à l'égard de Daniel P...

LA COUR,

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'ordonner l'audition devant elle des témoins Gérard T..., Gérard U... et Emile V... ;

" aux motifs que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ne se réfère qu'au droit de la partie accusée d'être confrontée à son accusateur, ce que la réforme du 15 juin 2000 a réalisé ; que depuis cette loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2001, seul le prévenu a le droit de faire citer des témoins devant la cour d'appel, sauf au ministère public à s'opposer à leur audition s'ils ont déjà été entendus par le premier juge (article 513 du Code de procédure pénale) ; que les parties civiles, qui ne sont pas des "parties accusées" au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, ne disposent apparemment plus de ce droit, non plus que le ministère public ; qu'en tout état de cause, les témoins dont l'audition est demandée ont tous été entendus par le premier juge et les notes d'audience développées relatant en détail leur déposition figurent au dossier, en sorte qu'une nouvelle audition est inutile dès lors que cette demande d'audition ne vise pas à compléter un point de fait mal traité devant le tribunal, mais seulement à recommencer les débats en leur intégralité ;

" alors, d'une part, que la préservation de l'équilibre des droits des parties consacrée à l'article préliminaire du Code de procédure pénale implique que les parties civiles aient les mêmes droits que les prévenus et que par conséquent elles obtiennent l'audition en cause d'appel de témoins qui n'ont à aucun moment été confrontés avec elles au cours de la procédure ;

" alors, d'autre part, qu'il résulte des énonciations des premiers juges que les témoins susvisés n'ont pas, contrairement à ce qu'a affirmé la cour d'appel, été entendus en première instance ; "

Attendu que les parties civiles ne sauraient faire grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs conclusions sollicitant l'audition de témoins dès lors que la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à nouveau à l'audition des six témoins qu'elles avaient fait citer en première instance et que les conclusions ne contenaient aucune indication sur l'objet et l'intérêt de l'audition des trois témoins supplémentaires ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 221-6, 222-19, alinéa 1er, du Code pénal, 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les délits d'homicides involontaires et blessures involontaires non établis à l'encontre d'Hervé Q... et débouté les parties civiles de leurs demandes de dommages-intérêts à son encontre ;

" alors que les juges correctionnels doivent statuer sur l'ensemble des faits dont ils sont saisis par l'ordonnance de renvoi ; qu'Hervé Q... était poursuivi devant le tribunal correctionnel pour homicides et blessures involontaires pour avoir organisé ou laissé se dérouler une randonnée en raquettes hors piste d'un groupe de trente-deux personnes dont vingt-six adolescents, novices en sport de haute montagne, dépourvus de tout matériel de sécurité, alors en particulier que le groupe était mené par un guide qui n'avait pas personnellement reconnu l'itinéraire ; qu'il résulte des énonciations des juges du fond que le groupe a été mené par Daniel P... qui n'avait pas personnellement reconnu l'itinéraire et que l'accident s'est précisément produit sur un passage dangereux, raide et déboisé de 40 ou 50 mètres de dénivelé à la suite d'un changement d'itinéraire décidé à la dernière minute par ce guide, passage dangereux "qui aurait pu être facilement évité en continuant à cheminer sous bois vers la gauche pour parvenir à l'arête en un autre point, en fonction de l'appréciation du responsable technique du groupe sur la nécessité de cet évitement lorsqu'il avait découvert ce passage depuis le bas au cours de la randonnée du vendredi" et qu'en ne s'expliquant, comme la prévention le lui imposait, si le fait pour Hervé Q..., directeur du centre UCPA, de n'avoir pas fait reconnaître l'itinéraire personnellement par Daniel P... était constitutif d'une faute caractérisée ayant exposé autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé ;

" alors que la prévention imputait à faute à Hervé Q... le fait que la randonnée en raquettes hors piste se soit déroulée alors que le groupe était dépourvu de tout matériel de sécurité cependant que le risque d'avalanche était de 4 sur une échelle de 5 suite à des chutes de neige ; que l'arrêt a constaté qu'effectivement le groupe ne disposait ni d'ARVA, ni de pelles, ni de sondes alors que ce matériel était disponible au centre et a reconnu que les pelles et les sondes allant avec les ARVA sont indispensables si l'on veut pouvoir dégager quelqu'un dans un délai lui donnant une chance réaliste de survie, la nécessité de l'utilisation de ce matériel revêtant la même évidence que l'obligation pour un automobiliste de s'arrêter à un stop et qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les textes susvisés, estimer que l'absence d'ARVA en janvier 1998 ne peut être considérée comme une faute pénale ;

" alors qu'il entre dans les obligations d'un directeur de centre UCPA de s'assurer que la taille d'un groupe de randonneurs en raquettes composé d'adolescents permet d'assurer la sécurité des membres de ce groupe et de donner des consignes pour que les animateurs à qui il est confié ne l'engagent pas en zone avalancheuse ; qu'il résulte, soit expressément soit implicitement, des constatations de l'arrêt que le groupe, trop nombreux, se trouvait en état d'insécurité accrue à partir du moment où il était amené à évoluer en zone avalancheuse et qu'Hervé Q... n'avait donné aucune consigne aux personnes qui encadraient la randonnée pour qu'ils n'engagent pas, comme ils l'ont fait, le groupe en zone avalancheuse et que dès lors, en ne recherchant pas si ces circonstances ne constituaient pas à son encontre des fautes d'imprudence caractérisées exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 221-6, 222-19, alinéa 1er, du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les délits d'homicides et blessures involontaires non établis à l'encontre d'Yves R... et a débouté les parties civiles de leurs demandes de dommages-intérêts à son encontre ;

" alors que les juges doivent répondre aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant eux ; que les premiers juges, qui étaient entrés en voie de condamnation à l'encontre de Daniel P... des chefs d'homicides et blessures involontaires, avaient constaté que la cause certaine de l'accident résidait dans une manoeuvre imprudente de ce guide, après avoir noté que celui-ci n'avait jamais encadré en sortie des adolescents ; que dans leurs conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel, les parties civiles faisaient valoir qu'Yves R... n'aurait jamais dû accepter que Daniel P..., qui n'avait pas reconnu préalablement l'itinéraire, poursuive la randonnée avec une partie des enfants, allant devoir improviser au risque de rencontrer des difficultés et qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire de conclusions, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale " ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 221-6 et 222-19, alinéa 1er, du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les délits d'homicides et blessures involontaires non établis à l'encontre de Serge S... ;

" alors que les juges doivent répondre aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant eux ; que de multiples fautes d'imprudence grave ont été relevées par l'arrêt dans l'organisation et le déroulement de la randonnée et notamment l'absence de matériel de sécurité, un changement d'itinéraire avec choix d'un passage dangereux opéré à la dernière minute par un guide dépourvu d'expérience en matière de sortie avec des adolescents quand ce passage aurait pu être facilement évité et alors que les risques d'avalanche étaient de 4 sur une échelle de 5 et la taille excessive du groupe ne lui donnant aucune chance d'évoluer correctement sur le terrain en cas d'avalanche ; que, dans leurs conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel, les parties civiles faisaient valoir que Serge S..., en sa qualité de professeur d'éducation physique et d'interlocuteur du directeur du centre UCPA, avait l'obligation de vérifier que les conditions de sécurité étaient réunies tout au long de la randonnée et de veiller à son bon déroulement et qu'en ne recherchant pas si le manquement manifeste à ces obligations ne constituait pas à l'encontre de cet enseignant une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que, le 23 janvier 1998, sur la commune de Crots (Hautes-Alpes), une avalanche a enseveli vingt-six élèves et deux professeurs d'une classe de 4e du collège Saint-François-d'Assise de Montigny-le-Bretonneux (Yvelines), ainsi que deux des moniteurs qui les accompagnaient, causant la mort de neuf adolescents, d'une enseignante et d'une monitrice, et des blessures à dix-sept adolescents, un enseignant et un moniteur ; que l'enquête a établi que les services météorologiques avaient annoncé la veille un risque élevé d'avalanche sur la zone, évalué au niveau 4 (" danger important ") sur une échelle de 1 à 5 ;

Attendu que Daniel P..., guide de haute montagne responsable de la course, et Hervé Q..., directeur du centre local de l'Union nationale des centres de plein air (UCPA), chargé d'organiser le séjour et les activités sportives de la classe, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'homicides et de blessures involontaires ; que les parties civiles ont cité Yves R..., accompagnateur en moyenne montagne, et Serge S..., professeur d'éducation physique au collège Saint-François-d'Assise, à l'audience du tribunal correctionnel pour y répondre des mêmes délits ; qu'après avoir déclaré Daniel P... coupable d'homicides et de blessures involontaires et seul responsable, avec l'UCPA, des conséquences dommageables des infractions, les premiers juges ont renvoyé les autres prévenus des fins de la poursuite et débouté les parties civiles des demandes formées contre ceux-ci ;

Attendu que, pour confirmer cette décision, les juges du second degré, après avoir relevé qu'à la date des faits, aucune disposition particulière de la loi ou du règlement ne s'appliquait à la pratique des activités de raquettes à neige dans les séjours de vacances déclarés, retiennent que la seule cause directe des dommages est la rupture d'une plaque à vent constituée d'une couche de neige déstabilisée par le passage imprudent de Daniel P... et des randonneurs qui le suivaient ;

Qu'ils relèvent que ni le professeur d'éducation physique, qui a accompli des diligences normales dans la préparation et la surveillance du séjour à la montagne de la classe dont il était responsable, ni le directeur du centre de plein air, qui a fourni au groupe un encadrement professionnel et des moyens matériels suffisants au regard des usages alors en vigueur lors des randonnées en raquettes à neige, et qui a demandé à l'accompagnateur de montagne, spécialiste de cette activité, de reconnaître préalablement le parcours, n'ont violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'ils ne pouvaient ignorer ;

Qu'ils ajoutent qu'il ne peut être reproché à Yves R... d'avoir, pour encadrer le retour d'un groupe de randonneurs moins aguerris, laissé Daniel P..., sous l'autorité duquel il se trouvait, conduire seul le reste du groupe sur la dernière partie de l'itinéraire qu'il lui avait indiqué ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 01-88900
Date de la décision : 26/11/2002
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

RESPONSABILITE PENALE - Homicide et blessures involontaires - Faute - Faute qualifiée - Personne physique n'ayant pas causé directement le dommage - Applications diverses.

HOMICIDE ET BLESSURES INVOLONTAIRES - Faute - Faute qualifiée - Personne physique n'ayant pas causé directement le dommage - Applications diverses

Justifie sa décision la cour d'appel qui, après avoir constaté que la seule cause directe du déclenchement de l'avalanche est la rupture d'une plaque de neige déstabilisée par le passage imprudent du guide de haute montagne responsable de la course et des randonneurs qui le suivaient, énonce, après avoir analysé leurs comportements respectifs, que le professeur d'éducation physique, le directeur du centre sportif de plein air et l'accompagnateur en moyenne montagne chargés d'organiser le séjour du groupe d'élèves et d'enseignants dont les victimes faisaient partie et d'encadrer leur randonnée en raquettes à neige, n'ont ni violé de façon manifestement délibérée une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ni commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'ils ne pouvaient ignorer. (1)(1).


Références :

Code pénal 121-3, 221-6, 222-19 (rédaction loi 2000-647 du 10 juillet 2000)

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, (chambre correctionnelle), 01 juin 2001

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 2002-06-18, Bulletin criminel 2002, n° 139, p. 509 (rejet), et les arrêts cités. CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Chambre criminelle, 1979-09-29, Bulletin criminel 1979, n° 259 (1), p. 697 (rejet) ; Chambre criminelle, 1980-11-13, Bulletin criminel 1980, n° 298, p. 762 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 nov. 2002, pourvoi n°01-88900, Bull. crim. criminel 2002 N° 211 p. 781
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2002 N° 211 p. 781

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Cotte
Avocat général : Avocat général : M. Chemithe.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Blondet.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Piwnica et Molinié, M. Le Prado.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2002:01.88900
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