AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze novembre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de la société civile professionnelle LAUGIER et CASTON, et de la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, avocats en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 4ème chambre, en date du 27 novembre 2001, qui, pour abus de confiance, l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 et 314-10 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre X... coupable du délit d'abus de confiance ;
"aux motifs qu'au vu des éléments du dossier, la Cour, s'appropriant l'exposé des faits tels que relatés par le premier juge, estime que celui-ci a, par des motifs pertinents qu'elle adopte, fait une exacte appréciation des circonstances de la cause et de la règle de droit pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de Jean-Pierre X... qui, dans son activité de courtier, a conservé des sommes qui auraient dû être reversées immédiatement à la SA Mutuelles du Mans assurances, étant ajouté que Jean-Pierre X... a exposé à plusieurs reprises et en particulier à l'audience d'appel par la voix de son conseil, avoir eu des difficultés financières et avoir utilisé ces fonds pour payer les factures courantes de son cabinet de courtage ; qu'il démontrait ainsi son intention de s'approprier les fonds remis au préjudice de cette compagnie à laquelle il savait ne pouvoir transmettre ensuite les sommes versées ; que le jugement sera confirmé sur la culpabilité (arrêt p. 5) ;
"alors que, d'une part, le défaut de restitution des fonds n'implique pas nécessairement le détournement, élément matériel essentiel du délit d'abus de confiance ;
"que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait se borner à constater, pour caractériser un détournement constitutif d'un abus de confiance, que Jean-Pierre X... avait conservé des sommes qui auraient dû être directement et immédiatement reversées à la SA Mutuelles du Mans Assurances ;
"alors que, d'autre part, l'absence de volonté de s'approprier définitivement les fonds remis, est exclusive de toute intention frauduleuse ;
"qu'en l'espèce, le défaut de versement des sommes remises par les clients se justifiait par les difficultés financières rencontrées par le cabinet de courtage et non par une volonté de s'approprier définitivement lesdites sommes ;
"qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait, pour établir l'intention frauduleuse du prévenu, se fonder sur le fait que ce dernier reconnaissait lui-même avoir utilisé les fonds litigieux pour pallier les difficultés financières de son cabinet de courtage, ni davantage sur la pure hypothèse selon laquelle l'intéressé aurait su ne pouvoir les reverser ultérieurement aux compagnies d'assurances, hypothèse d'ailleurs démentie par le fait que Jean-Pierre X... avait accepté par la suite d'affecter une partie du prix de cession de son cabinet de courtage au remboursement de sa dette" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme sur la culpabilité mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19, 132-24, 131-26, 131-27, 131-31 et 131-35 du Code pénal, 427, 485, 512, 515, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, réformatif sur ce point, a condamné l'exposant à deux ans d'emprisonnement, peine assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans ;
"aux motifs que, compte tenu de la personnalité du prévenu et des circonstances des agissements dont il est coupable, les dispositions du jugement relatives aux pénalités seront modifiées ;
"alors que, si la cour d'appel peut, sur l'appel du ministère public, aggraver le sort du prévenu et lui infliger une peine supérieure à celle retenue par les premiers juges, elle doit motiver sa décision sur ce point ; que la cour d'appel, qui s'est bornée à retenir sans aucune autre précision que "la personnalité du prévenu et les circonstances des agissements dont il est coupable" justifiaient que la peine, fixée par le tribunal correctionnel à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 18 mois, soit portée à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant trois ans, a méconnu cette exigence" ;
Attendu que le demandeur ne saurait faire grief à la cour d'appel d'avoir insuffisamment motivé le prononcé à son égard d'une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, supérieure à celle retenue par les premiers juges, dès lors que la détermination de la peine par les juges dans les limites prévues par la loi, relève d'une faculté dont ils ne doivent aucun compte, et à laquelle l'article 132-24 du Code pénal n'apporte aucune restriction ; que l'obligation de motiver spécialement le choix d'une peine d'emprisonnement ne leur est imposée par l'article 132-19 du même Code qu'au cas d'emprisonnement sans sursis ;
Qu'ainsi, le moyen ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 621-43 du Code de commerce, 1382 du Code civil, 474-1, 491 et 493 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la condamnation de Jean-Pierre X... à verser des dommages et intérêts à la société Mutuelles du Mans Assurances, outre la condamnation au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
"aux motifs que le jugement sera confirmé par adoption de motifs dans ses dispositions touchant à l'action civile de la société Mutuelles du Mans Assurances, étant observé que l'action engagée par cette société devant une juridiction pénale à l'encontre de Jean-Pierre X... est indépendante de celle que la société aurait éventuellement pu engager lors de la liquidation de la SARL Ariana Courtage ;
"alors que la victime d'une infraction doit se soumettre à la procédure de vérification des créances lorsque le préjudice financier dont elle demande réparation est né d'une infraction commise dans le cadre de l'activité d'une société qui, postérieurement à la commission de cette infraction, a fait l'objet d'une procédure collective, peu important à cet égard que l'action soit portée devant une juridiction pénale ou devant une juridiction civile ;
"que la cour d'appel ne pouvait donc, pour répondre pertinemment au moyen que Jean-Pierre X... articulait sur le fondement de cette règle (arrêt, p. 4, et 7 et 8), se borner à retenir que l'action engagée par la compagnie des Mutuelles du Mans "devant une juridiction pénale à l'encontre de Jean-Pierre X... (était) indépendante de celle que la société aurait éventuellement pu engager lors de la liquidation de la SARL Ariana Courtage" ;
Attendu que, pour écarter le moyen du prévenu qui soutenait que la constitution de partie civile de la société Mutuelles du Mans Assurances était irrecevable en l'absence de déclaration de créance, et accorder à celle-ci des dommages et intérêts, les juges du second degré énoncent que l'action engagée par cette partie civile devant une juridiction pénale à l'encontre de Jean-Pierre X... est indépendante de celle qu'elle aurait pu engager lors de la liquidation de la société Ariana Courtage, dont le prévenu était le gérant ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la liquidation judiciaire de la société ne constitue pas un obstacle à l'exercice par la victime, devant la juridiction répressive, de l'action civile en réparation du dommage résultant de l'infraction commise par le gérant, auquel n'a pas été étendue la procédure collective, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
CONDAMNE Jean-Pierre X... à payer à la société Les Mutuelles du Mans Assurances la somme de 2 000 euros au titre de l'article 618-1 du Code de pocédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme de la Lance conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;