AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-huit septembre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller THIN et les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, de Me ODENT et de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, avocats en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 5 décembre 2000, qui, après condamnation de Gilbert Y..., notamment pour escroquerie, a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5, 6, 591, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a constaté l'extinction de l'action civile de la société X... par l'effet de la chose jugée et a déclaré celle-ci irrecevable en sa constitution de partie civile ;
"aux motifs que, pour s'opposer à la recevabilité de la constitution de partie civile de la société X... et des époux Z..., le prévenu excepte de la règle "Electa una via" et de la chose jugée, moyens expressément repris en cause d'appel aux termes de ses conclusions ; qu'il convient de rappeler ici que l'action publique ayant été mise en mouvement sur réquisitoire introductif du 10 novembre 1992, la société X... et les époux Z... se sont alors constitués parties civiles à l'information par lettre du 3 février 1993 puis ont renouvelé leur constitution de partie civile par intervention à l'audience du 11 janvier 1999 du tribunal correctionnel saisi sur renvoi du juge d'instruction, alors que précédemment à leur intervention avait été prononcée entre les mêmes parties, le 28 juillet 1992, une décision arbitrale suivie d'un arrêt en date du 14 janvier 1993 rejetant le recours en annulation formé par les époux Z..., lesquels se sont ensuite désistés de leur pourvoi contre cette dernière décision, le 30 avril 1993 ; que doit ensuite être relevé que l'instance civile terminée ainsi par une décision sur le fond devenue irrévocable, se fondait expressément sur des manoeuvres dolosives imputées à Gilbert Y..., lesquelles recouvrent très exactement les faits invoqués comme manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie poursuivie et plus spécialement l'usage de la fausse caution de la Banque d'Aquitaine retenue au soutien de la déclaration de culpabilité ;
qu'à cette identité de cause s'ajoute une complète identité d'objet dès lors qu'il était en effet demandé à la juridiction civile au bénéficie de la société X... la condamnation de Gilbert Y... au remboursement du prix des actions et au paiement des dommages-intérêts ;
"alors que l'action engagée par la société X... devant la juridiction arbitrale était dirigée contre Gilbert Y... et Alain A... à l'encontre desquels étaient formulées les mêmes demandes, cependant que la constitution de partie civile de ladite société devant la juridiction répressive est dirigée uniquement contre Gilbert Y... en sorte qu'il n'y a pas identité absolue des parties entre les deux actions engagées successivement devant la juridiction arbitrale et devant la juridiction répressive ;
"alors que l'objet de la saisine de la juridiction arbitrale était la diminution du prix des actions cédées et le remboursement de leur prix à la SARL X... et subsidiairement l'allocation de dommages-intérêts de nature contractuelle à hauteur de 100 000 francs, cependant que l'objet de la demande de la SARL X... devant le juge répressif était l'allocation de dommages-intérêts pour un montant de 9 517 343 francs en réparation du délit d'escroquerie et qu'ainsi, il n'y a pas identité d'objet entre les deux actions ;
"alors que l'action engagée par la société X... devant la juridiction arbitrale avait un fondement purement contractuel au contraire de l'action engagée par elle devant la juridiction répressive, laquelle a un fondement délictuel ; qu'en effet, l'action engagée devant la juridiction arbitrale se fondait sur la communication par les vendeurs des actions de la société Multiphot au moment de la conclusion du contrat, d'un ensemble d'informations inexactes sans pour autant que soit invoquée la circonstance que ces inexactitudes résultent de la commission de faux et qu'ainsi la cause des deux actions engagées successivement devant les deux juridictions n'est pas identique ;
"alors, en tout état de cause, qu'en se bornant à affirmer que l'instance civile devant la juridiction arbitrale "se fondait expressément sur des manoeuvres dolosives imputées à Gilbert Y..., lesquelles recouvrent très exactement les faits invoqués comme manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie poursuivie et plus spécialement l'usage de la fausse caution de la Banque d'Aquitaine retenue au soutien de la déclaration de culpabilité" sans s'expliquer sur le contenu exact des manoeuvres successivement invoquées devant les deux juridictions par la SARL X..., la cour d'appel a mis la Cour de Cassation dans l'impossibilité de s'assurer de la légalité de sa décision, au regard des dispositions des articles 5 et 6 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, pour déclarer Gilbert Y... coupable d'escroquerie à l'égard des époux Z... et de la société X..., pour le compte de laquelle ils ont agi, la cour d'appel retient qu'il a produit de faux documents bancaires, à l'effet de les persuader qu'il disposait, à la veille de la date convenue pour la perception du prix des actions, de la caution de la banque d'Aquitaine en garantie de l'obligation du passif mise à sa charge, et à défaut de laquelle il savait que n'interviendrait pas le versement du prix ;
Attendu que, pour s'opposer à la recevabilité de la constitution de partie civile de la société X..., la cour d'appel relève que celle-ci a engagé une instance arbitrale, qui s'est conclue par une décision désormais irrévocable, fondée sur des manoeuvres dolosives imputées à Gilbert Y..., lesquelles recouvrent les faits invoqués comme manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie poursuivie, et que son objet a été d'obtenir au bénéfice de la société X..., la condamnation de Gilbert Y... au remboursement du prix des actions, et au paiement de dommages-intérêts ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, relevant de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et éléments de la cause, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des textes invoqués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Thin conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;