AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
II-Sur le pourvoi n° Y 01-02. 923 formé par :
1 / Mme Hermina C...- A...,
2 / Mlle Patricia de C...- A...,
en cassation du même arrêt concernant :
1 / la compagnie Fidelidade,
2 / M. Antonio A...,
3 / Mme Gracinda D...
E...,
4 / Mme Maria D...
A...,
5 / Mme Valentim D...
A...,
6 / M. Eduardo D...
A...,
7 / Mme Anna Maria D...
A...,
8 / M. Narwam X...,
9 / la société Fraikin,
10 / la compagnie Lilloise d'assurances, aux droits de laquelle vient la société AGF-La Lilloise,
11 / la société Blindage de France,
12 / M. Marcel Z...,
13 / la compagnie AXA Assurances, venant aux droits de la compagnie UAP,
défendeurs à la cassation ;
Sur le pourvoi n° X 00-22. 445 :
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Sur le pourvoi n° Y 01-02. 923 :
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 20 juin 2002, où étaient présents : M. Ancel, président, M. Bizot, conseiller rapporteur, M. Guerder, conseiller doyen, M. Pierre, Mme Solange Gautier, MM. de Givry, Mazars, Gomez, conseillers, MM. Trassoudaine, Grignon Dumoulin, conseillers référendaires, Mlle Laumône, greffier de chambre ;
Joint les pourvois n° X 00-22. 445 et n° Y 01-02. 923 ;
Sur les moyens uniques des deux pourvois réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 octobre 2000), qu'à la suite d'un ralentissement provoqué sur la voie de droite d'une autoroute par un camion appartenant à la société Blindage de France conduit par M. Narwam X..., ayant contraint successivement deux autres camions à freiner, le premier conduit par M. Y..., le second conduit par M. Z..., lequel s'est légèrement déporté sur la voie centrale, un ensemble routier appartenant à la société portugaise Transferro Transportes LDA, assuré auprès de la compagnie Fidelidade, conduit par M. Carlos A..., qui circulait sur la voie centrale, a dérapé, heurtant au passage le côté gauche du camion de M. Z... et s'est renversé sur la chaussée, sa cabine achevant sa glissade contre les glissières de sécurité et le dispositif de protection d'un pont ; que Carlos A... étant décédé des suites de cet accident, ses ayants-droit ont assigné en réparation de leurs préjudices M. X..., la société Fraikin, la société Blindage de France, M. B..., M. Z... et les assureurs compagnies Lilloise d'assurances, aux droits de laquelle vient la société AGF-La Lilloise, et UAP, devenue AXA Assurances IARD ; que M. Y... et la société Rhône Méditerranée ont été appelés ; que la compagnie Fidelidade est intervenue pour réclamer le remboursement des indemnités versées tant à la société Transferro Transportes LDA qu'aux ayants-droit du conducteur décédé ;
Attendu qu'il est fait grief tant par la compagnie Fidelidade que par les ayants-droit de la victime à l'arrêt confirmatif de les avoir déboutés de leurs demandes, alors, selon le moyen :
1 / que, lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ; qu'il appartient alors aux juges du fond d'apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l'indemnisation ou de l'exclure ; que ce pouvoir d'appréciation ne disparaît pas lors même que la faute d'un conducteur apparaîtrait comme étant la seule à l'origine de l'accident dont il a été victime ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont donc méconnu l'étendue de leur pouvoir et violé, par voie de conséquence, l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
2 / que, seul doit être apprécié le comportement du conducteur victime, abstraction faite du comportement des conducteurs des autres véhicules impliqués, pour déterminer s'il y a lieu d'exclure ou limiter le droit à indemnisation ; qu'en fondant l'exclusion de tout droit à indemnisation sur l'absence de rôle causal, dans la survenance de l'accident, des fautes commises par les conducteurs des autres véhicules impliqués, les juges du fond ont de nouveau violé l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
3 / que, subsidiairement, dès lors que, pour déterminer s'il y avait lieu à limitation ou exclusion du droit à indemnisation, les juges du fond ont cru devoir se fonder sur l'existence d'une faute pouvant être regardée comme étant la cause exclusive de l'accident, ils ne pouvaient statuer comme ils l'ont fait sans rechercher si, abstraction faite de la faute commise par M. X... et des manoeuvres d'évitement qu'elle a suscitées de la part des conducteurs des véhicules suiveurs, l'accident se serait de toute façon produit, sauf à priver leur décision de base légale au regard de l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble au regard des principes régissant le lien de cause à effet entre la faute et le dommage ;
4 / que l'arrêt, qui constate que le conducteur du véhicule n° 1, M. X..., avait commis la faute indiscutable de s'engager à vitesse réduite sur l'autoroute A3- faute doublée, selon les données objectives du procès-verbal de gendarmerie visé aux conclusions-d'un changement de direction au-delà des zébrures séparant la bretelle de l'autoroute A89 d'où il venait de l'autoroute A3 sans s'assurer de l'absence de danger et sans avertir les autres usagers et ce en pratiquant un dépannage de fortune sans permis régulier, ne pouvait légalement dénier tout rapport de cause à effet entre le comportement fautif de ce conducteur et l'accident dont Carlos A... a été la seule victime ; qu'en effet-comme le relève par ailleurs l'arrêt-la brusque irruption du véhicule n° 1 dans le couloir de droite de l'autoroute A3 a provoqué " un fort et soudain ralentissement " des véhicules circulant sur cette voie de droite, au point que seul le véhicule de tête, conduit par M. Y... est parvenu de justesse à éviter la collision alors que le véhicule qui suivait, piloté par M. Z... qui n'avait pu voir l'obstacle, n'a pu limiter les effets de la collision que par un déport sur la voie centrale où circulait à l'arrière l'ensemble routier de Carlos A... n'ayant pu réagir que par un freinage accompagné d'un déport à gauche dans le but exclusif d'éviter toute collision grave avec un ou plusieurs de ces véhicules ; qu'en effet il est évident que si M. X... avait laissé passer les véhicules du couloir de droite avant de s'engager sur ce couloir, Carlos A...
D... aurait pu rester sur le couloir central et dépasser sans encombre et sans dommage les véhicules de la file de droite ; que l'arrêt a donc violé les articles 4 de la loi du 5 juillet 1985, au besoin 1382 du Code civil, ainsi que les articles R. 6, R. 11, R. 232-1, R. 233 du Code de la route ;
5 / que l'arrêt qui constate également que le conducteur du véhicule n° 4, M. Z..., avait commis la faute de défaut de maîtrise et qui aurait dû y ajouter, du seul fait que son véhicule s'était déporté sur le couloir central de l'autoroute-fût-ce légèrement-son omission de s'assurer de l'absence de danger et d'avertir les usagers du couloir central, ne pouvait non plus légalement dénier tout rapport de causalité entre le comportement fautif de ce conducteur et l'accident dont Carlos A... a été la seule victime ; qu'en effet M. Z... ne pouvait ignorer que survenait de l'arrière dans ce couloir central, réservé aux dépassements de la file de droite, un ensemble routier roulant nécessairement plus vite que lui et dont le conducteur ne pouvait se borner à un simple freinage, car il serait incité à croire à une amorce de changement de file ; qu'il est évident que si le véhicule n° 4 était resté exclusivement à l'intérieur du couloir de droite, Carlos A... n'aurait pas accompagné un freinage énergique par un déport dans le couloir de gauche, en sorte que le dépassement des véhicules arrêtés sur la file de droite aurait eu lieu sans encombre et sans dommage ; que l'arrêt a donc violé les articles 4 de la loi du 5 juillet 1985, au besoin 1382 du Code civil, ainsi que les articles R. 11-1 et R. 232-1 du Code de la Route ;
6 / que l'arrêt a prétendu caractériser la vitesse excessive de l'ensemble routier conduit par Carlos A..., par les données inopérantes, que sont les traces de freinage et de ripage et les dégâts subis par le véhicule et la voirie ; qu'en effet l'arrêt n'a tenu aucun compte de ce que cet ensemble routier, circulant sur la voie centrale de l'autoroute, était en droit d'opérer le dépassement des véhicules roulant sur la file de droite, dépassement qui pouvait se faire dans les limites de la vitesse autorisée (sinon 110 km / h du moins 90 km / h), la circulation étant fluide ; que le conducteur qui connaissait la situation des lieux savait qu'aucun véhicule ne pouvait arriver en sens inverse ni obliquer depuis la bretelle de l'autoroute A89 vers l'autoroute A3, ces deux voies différentes devant être empruntées dans le même sens ; qu'en outre l'arrêt a méconnu les effets d'un tangage de la remorque sur l'équilibre d'un ensemble routier qui, une fois renversé, de par sa masse est nécessairement projeté sur une longue distance ; que l'arrêt a donc violé l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;
7 / que cette prétendue vitesse excessive de Carlos A... ne pouvait que limiter les indemnisations des dommages de ses ayants-droit, comme ne constituant pas la seule cause de l'accident généré par les fautes de M. X... et de M. Z... ; que l'arrêt a donc violé l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;
Mais attendu que par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que Carlos A... circulait à très vive allure, en limite d'une zone urbaine d'Ile-de-France à forte concentration, à proximité de la jonction de deux autoroutes qu'il connaissait bien, pour avoir, aux dires de son employeur, souvent emprunté ce parcours, avec un ensemble routier totalisant plus de 70 tonnes, sur le couloir central d'une autoroute déjà emcombrée d'au minimum quatre poids lourds devant lui ; que cette vitesse excessive est à l'origine de la perte totale de maitrise de ce poids lourd et du décès de son conducteur ; que ce dernier a ainsi commis une faute d'une extrême gravité ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, et abstraction faite de motifs surabondants tirés du comportement des autres conducteurs dont les véhicules étaient également impliqués dans l'accident, la cour d'appel a pu retenir que Carlos A... avait commis une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage, peu important que cette faute ait été ou non la cause exclusive de l'accident, et n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'appréciation en décidant que cette faute était de nature à exclure tout droit à indemnisation des ayants-droit ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la compagnie Fidelidade, Mme C...
A... et Mlle A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes respectives de la compagnie Fidelidade, de la société Blindage de France, de M. X..., la société Fraikin et la société AGF-La Lilloise et de la compagnie AXA assurances et M. Z... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille deux.