AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six juin deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PELLETIER et les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de BORDEAUX, en date du 11 avril 2002, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises de la VIENNE sous l'accusation de viols aggravés ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 121-3, 222-22, 222-23, 222-24 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit qu'il y a lieu à accusation contre X... d'avoir commis des actes de pénétration sexuelle avec contrainte sur mineure de quinze ans, pour la période du 1er janvier 1989 au 9 mai 1991 et sur personne âgée de plus de quinze ans, pour la période du 10 mai 1991 au mois de janvier 1998, avec cette circonstance que la victime est sa fille adoptive, et l'a renvoyé devant la cour d'assises de la Vienne ;
"aux motifs qu'au cours de l'enquête, Jean- Baptiste X... a reconnu avoir commis des actes de pénétration sexuelle sur Y... avant le 14 mars 1990, soit alors que celle-ci n'était âgée que de treize ans et qu'il a confirmé ses aveux devant le juge d'instruction en se montrant néanmoins plus évasif sur la date de ces rapports ; qu'il ne s'est rétracté qu'en cours d'instruction lorsqu'il a connu les résultats de l'expertise excluant sa paternité de l'enfant que portait sa fille ; que X... a expliqué aux enquêteurs avoir obtenu le silence de sa fille adoptive sur les relations sexuelles qu'il avait avec elle, en lui faisant observer qu'elle risquerait d'être confiée à une institution si son comportement était révélé ; que les enquêteurs ont indiqué que X..., gendarme à la retraite, avait rapidement formulé des aveux et qu'il s'était montré particulièrement pointilleux à la lecture des procès- verbaux qui avaient été dressés sollicitant des modifications avant d'y apposer sa signature ; qu'Y... X... a fait des déclarations précises et circonstanciées devant les enquêteurs et au début de l'instruction ; que X... et Y... X..., en fin d'information, ont fourni des explications contradictoires ; que l'examen psychologique d'Y... X... a révélé que cette jeune fille qui avait connu une enfance traumatisante auprès d'une mère et d'un beau-père violents et maltraitants, présentait une problématique abandonnique, une immaturité affective et un retard mental ; que, compte tenu du jeune âge de la victime au moment du début des faits, de la fragilité et de la vulnérabilité d'Y... X... face à son père adoptif et de la crainte de celle-ci de déplaire à un homme plus âgé qu'elle qui l'avait, par adoption, tirée d'un milieu particulièrement néfaste pour elle, il ne peut être soutenu qu'Y... X... a pu librement et valablement consentir aux actes auxquels elle a été soumise ;
"alors, d'une part, que le crime de viol exige que les actes de pénétration sexuelle aient été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise ; qu'en se bornant à affirmer qu'Y... X... n'avait pu librement et valablement consentir aux actes auxquels elle a été soumise, sans préciser si l'absence de consentement de la victime résultait d'une surprise, d'une menace ou d'une contrainte exercée par l'accusé, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ;
"alors, d'autre part, que le crime de viol suppose l'usage, par son auteur, de violence, contrainte ou surprise, étant précisé que cet élément constitutif ne saurait être déduit de l'âge de la victime ou de l'autorité de l'auteur, qui sont des circonstances aggravantes, et non des éléments constitutifs de l'infraction ; qu'en déduisant, néanmoins, la contrainte nécessaire à la réalisation de l'infraction, du jeune âge d'Y... X... et de l'autorité de son père adoptif, lequel l'avait par adoption tirée d'un milieu particulièrement défavorisé, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ;
"alors, encore, que la contrainte, élément constitutif du crime de viol, doit s'apprécier au moment des faits ; qu'en déduisant la contrainte de la fragilité et de la vulnérabilité d'Y... X... relevées lors de l'expertise psychologique effectuée au cours de la procédure, soit postérieurement à la commission des faits, la chambre de l'instruction n'a pas caractérisé la circonstance de contrainte morale ;
"alors, de même, qu'en se fondant, pour retenir la contrainte morale nécessaire à la réalisation du crime de viol aggravé sur personne âgée de plus de quinze ans, sur le jeune âge de la victime au moment du début des faits, la chambre de l'instruction n'a de nouveau pas caractérisé la circonstance de contrainte morale ;
"alors, en outre, que la contrainte morale exercée par l'auteur de l'infraction requiert l'exercice, par ce dernier, d'une forme de violence morale à l'égard de la victime ; que, dès lors, la qualification de viol par contrainte morale, ne saurait être légalement justifiée lorsque l'autorité attribuée à l'accusé repose non sur l'exercice d'une quelconque violence morale, mais sur la seule crainte nourrie par la victime de lui déplaire ; qu'en se bornant à faire état de cette circonstance dépourvue de toute portée légale, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ;
"alors, encore, que le viol suppose l'intention criminelle de l'auteur, c'est-à-dire la conscience d'accomplir un acte impudique ou immoral, sans le consentement de la victime ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans caractériser, ni le défaut de consentement de la victime, ni l'intention de l'accusé, la chambre de l'instruction a entaché sa décision attaquée d'un défaut de base légale ;
"alors, enfin, que la chambre de l'instruction était d'autant plus tenue d'établir précisément le défaut de consentement de la victime qu'il ressort des propres énonciations de l'arrêt que les relations entretenues par Y... X... et son père adoptif se seraient étalées du mois de janvier 1989 au mois de janvier 1998, soit sur une période de dix ans ; qu'en s'en abstenant, la chambre de l'instruction a donc entaché sa décision attaquée d'un défaut de base légale" ;
Attendu que les motifs de l'arrêt attaqué, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction, après avoir exposé les faits et répondu comme elle le devait, aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a relevé l'existence de charges qu'elle a estimé suffisantes contre X..., pour ordonner son renvoi devant la cour d'assises sous l'accusation de viols aggravés ;
Qu'en effet, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de Cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisie de la juridiction de jugement ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que la procédure est régulière et que les faits, objet de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pelletier conseiller rapporteur, M. Le Gall conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.