AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six juin deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller FARGE et les observations de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocat en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Joël,
- Y... Régis,
contre l'arrêt de la cour d'assises de l'EURE, en date du 21 septembre 2001, qui, pour empoisonnement avec préméditation, les a condamnés, chacun, à vingt ans de réclusion criminelle et à dix ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la Cour a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour Joël X... et pris de la violation des articles 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 316, 325, 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
"en ce qu'il résulte du procès-verbal des débats que l'avocat de l'un des coaccusés a demandé au président de faire venir à la barre, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, le détective Réginald Z..., présent dans la salle ; que le président a refusé de faire entendre cette personne ; que l'avocat a alors déposé des conclusions sollicitant de la Cour qu'il soit statué dans les termes du dispositif ci-après : ordonner le supplément d'information dans les termes exposés ci-dessus à savoir interroger la capitainerie du port du Havre afin que soient apportées toutes précisions sur l'affleurement d'eau à la base de la digue et sur le recouvrement éventuel ou non des roches qui se trouvent au pied de ladite digue et le long de cette dernière et toute autre autorité officielle susceptible, à raison de leur compétence, de répondre à ce supplément d'information, ordonner également un transport sur les lieux, savoir la ville du Havre et plus précisément la digue Nord, la plage entre cette digue et la maison du docteur A... ainsi que la falaise au-delà de cette maison ; que le ministère public, les parties et leurs conseils ont présenté leurs observations ; qu'en ce qui concerne l'audition de Réginald Z... en qualité de témoin, le président a ordonné la jonction au dossier des pièces produites, que ces pièces n'ont pas besoin d'être commentées par le détective privé, qu'elles se suffisent à elles-mêmes ; qu'en outre, les articles 324 et suivants du Code de procédure pénale n'ont pas été respectés dans la mesure où la Cour n'a pu isoler le témoin non régulièrement cité qui a donc pu assister à l'audience jusqu'à ce jour ; que, sur la demande de transport, la Cour est saisie d'un crime d'empoisonnement ; qu'elle dispose d'éléments suffisants pour statuer sur ce crime ; qu'un transport sur les lieux n'est pas susceptible d'apporter d'éléments nouveaux, les accusés niant leur participation aux faits visés ainsi que leur présence sur les lieux de commission des faits, les sites ayant pu être modifiés depuis la date de commission des faits le 18 juin 1990 ;
"alors que, d'une part, les arrêts incidents ne peuvent préjuger du fond et ne doivent donc contenir aucune constatation ou appréciation de nature à exercer une influence sur les délibérations ultérieures de la Cour et du jury ; qu'en rejetant la demande d'audition du détective privé au motif que les pièces dont le président a ordonné la jonction au dossier se suffisent à elles-mêmes et n'ont pas besoin d'être commentée par le détective privé commis par l'un des accusés, la Cour a méconnu l'article 316 du Code de procédure pénale ;
"alors que, de plus, la Cour a encore préjugé du fond en rejetant la demande de transport sur les lieux au motif que cette mesure n'est pas susceptible d'apporter d'éléments nouveaux, les accusés niant leur participation aux faits visés ainsi que leur présence sur les lieux de commission des faits, les sites ayant pu être modifiés depuis Ia date de commission des faits le 18 juin 1990 ;
"alors que, d'autre part, les dispositions de l'article 325 du Code de procédure pénale, selon lesquelles le président de la cour d'assises doit ordonner aux témoins de se retirer dans la chambre qui leur est destinée, ne sont pas prescrites à peine de nullité ; qu'en opposant à la demande d'audition du détective privé que la Cour n'a pas pu isoler le témoin non régulièrement cité qui a donc pu assister à l'audience, la Cour a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé dans les mêmes termes pour Régis Y... ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour rejeter les demandes des accusés tendant à l'audition d'un témoin et à un transport sur les lieux, l'arrêt critiqué prononce par les motifs reproduits aux moyens ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine et qui ne préjugent pas de la culpabilité des accusés, la Cour a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Joël X... et pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 310, 316, 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, manque de base légale ;
"en ce qu'il résulte du procès-verbal des débats qu'à la reprise de l'audience, le 21 septembre 2001 à 9 heures 20, le conseil de l'un des coaccusés a indiqué qu'il avait un nouvel élément à faire valoir devant la Cour et souhaitait que le président entende un témoin en vertu de son pouvoir discrétionnaire ; que, sur interpellation du président, toutes les parties ainsi que les accusés, qui ont eu la parole en dernier, ont présenté leurs observations ; que le président indique que l'instruction est terminée et qu'il n'entendra pas, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, ce témoin ; qu'à cet instant le conseil de l'accusé demande qu'il lui en soit donné acte ;
que le président indique qu'il ne rouvre pas les débats et donc n'entend pas faire droit à cette demande ;
"alors que, d'une part, si le président ne peut user de son pouvoir discrétionnaire avant les débats, en revanche il peut l'exercer jusqu'à la délibération de la Cour et du jury ; qu'ainsi, le président a méconnu l'exigence de procès équitable que garantit l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que le sens et la portée de l'article 310 du Code de procédure pénale ;
"alors que, d'autre part, il résulte du procès-verbal des débats que ceux-ci avaient continué à la reprise de l'audience, le 21 septembre 2001, et que le président ne les a déclarés terminés qu'après le refus de donné acte ; qu'ainsi le président a excédé ses pouvoirs et a méconnu les textes susvisés ;
"alors qu'en l'état de ce refus de donné acte fondé sur une affirmation inexacte en fait et en droit, il appartenait à la Cour de statuer sur cet incident ; qu'ainsi le président, qui s'est d'ailleurs prononcé après avoir entendu le ministère public, les parties et leurs avocats, comme s'il agissait aux lieux et place de la Cour, a excédé ses pouvoirs et a méconnu les textes susvisés" ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé dans les mêmes termes pour Régis Y... ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal des débats qu'avant que la parole soit donnée aux avocats des parties civiles pour leurs plaidoiries, le président a refusé, en indiquant que l'instruction à l'audience était terminée, d'entendre, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, un témoin dont l'avocat d'un des accusés lui demandait l'audition ; qu'ensuite, il a déclaré ne pas faire droit à la demande de donné acte qui lui était soumise ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'aucune des parties n'a déposé de conclusions saisissant la Cour d'un incident contentieux, le président a fait un usage régulier de son pouvoir discrétionnaire ;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour Joël X... et pris de la violation des articles 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 221-5 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
"en ce que la question principale soumise à la Cour et au jury est ainsi libellée : "L'accusé est-il coupable d'avoir volontairement attenté à la vie de James B..., par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort ? " ;
"alors que la question ainsi posée, qui marque une incertitude et ne spécifie pas les faits et circonstances du crime, est imprécise et qu'en se limitant à y répondre par "oui", la cour d'assises n'a pas motivé sa décision" ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé dans les mêmes termes pour Régis Y... ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour chacun des accusés, la Cour et le jury ont répondu affirmativement, à la majorité de dix voix au moins, à une question ainsi libellée : "L'accusé est-il coupable d'avoir, au Havre, dans la nuit du 18 au 19 juin 1990, volontairement attenté à la vie de James B... par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort" ;
Attendu que, posée en ces termes, la question, qui interroge la cour d'assises sur chacun des éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, du crime d'empoisonnement prévu par l'article 221-5 du Code pénal, n'encourt pas le grief allégué ;
Que, dès lors, les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu qu'aucun moyen n'est produit contre l'arrêt civil, que la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la Cour et le jury ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Farge conseiller rapporteur, M. Le Gall conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;