La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/04/2002 | FRANCE | N°00-86519

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 avril 2002, 00-86519


CASSATION sur les pourvois formés par :
- X... Marcel,
- Y... Bernard,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 7 septembre 2000, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre eux pour infraction à la réglementation sur la rédaction d'actes sous seing privé, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 21 et 22 de l'ordonnance du 19 septembr

e 1945, 54, 59 et 66-2 de la loi du 31 décembre 1971, 6.1 de la Convention europée...

CASSATION sur les pourvois formés par :
- X... Marcel,
- Y... Bernard,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 7 septembre 2000, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre eux pour infraction à la réglementation sur la rédaction d'actes sous seing privé, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 21 et 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, 54, 59 et 66-2 de la loi du 31 décembre 1971, 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt a dit que MM. X... et Y... avaient commis une faute ouvrant droit à réparations pour l'ordre des avocats au barreau de Lille et la Confédération nationale des avocats ;
" aux motifs que, devant le tribunal correctionnel de Lille et la cour d'appel de Douai, Marcel X... avait fait plaider que la société Orgeco qu'il dirigeait avait environ 800 clients, employait quarante personnes et exerçait une activité accessoire dans le cadre d'un service juridique à la tête duquel se trouvait un salarié spécialement compétent ayant une qualification comparable à celle d'un conseil juridique ; que Marcel X... avait indiqué que le "juridique" ne constituait pas l'activité principale de sa société, que tous les clients concernés par les publications incriminées étaient des clients Orgeco et que le nombre d'actes dressés et critiqués en tant que tels était tout à fait minime, par rapport au nombre des clients du cabinet Orgeco ; que Bernard Y..., pour sa part, avait expliqué que tous les clients pour lesquels des actes de société avaient été dressés étaient des clients de la société d'expertise comptable qui assurait la tenue ou la surveillance de la comptabilité, que le nombre d'actes dressés était infime par rapport à l'effectif de la clientèle et que les honoraires réclamés pour ces opérations correspondaient à environ 2,55 % des honoraires comptables annuels, ce qui établissait le caractère totalement accessoire de l'activité incriminée ; qu'il se déduit de ces explications que la réalité des actes dressés, sous la responsabilité de MM. X... et Y..., est avérée, en dépit des explications finales de la défense faisant état sur ce point d'un défaut de preuve de la réalité de la rédaction des actes en cause et en se retranchant derrière le fait qu'il aurait seulement été procédé de la part des mis en cause à des publications ; qu'il convient de tenir pour acquise l'existence de la rédaction des actes incriminés, sous la responsabilité de MM. X... et Z... ; que la condition d'accessoire direct ne saurait être analysée qu'au regard de la mission générale de l'expert-comptable, dans le cadre de laquelle l'acte juridique a été rédigé ; que le seul critère de proportionnalité quantitative de cette activité par rapport à la mission générale de l'expert-comptable aboutirait à une dénaturation des textes applicables ; que l'accessoire direct évoqué par l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée constitue une notion induisant que l'acte accompli soit, par nature, susceptible de relever du cadre des travaux dont l'expert-comptable est chargé ; que l'expert-comptable ou le réviseur comptable révise, apprécie et organise les comptabilités d'entreprises ou d'organismes qui lui sont extérieurs et que, s'il peut analyser la situation et le fonctionnement des entreprises sous leurs différents aspects économiques, juridique ou financier, c'est uniquement, selon l'ordonnance du 9 septembre 1945, par les procédés de la technique comptable, la rédaction d'actes sous seing privé autorisée ne pouvant s'effectuer que dans ce cadre ; qu'il est reproché à MM. X... et Y... d'avoir procédé à des rédactions d'actes relatifs à des constitutions de sociétés, à des dissolutions anticipées, des augmentations ou réductions de capital, des changements de dirigeants sociaux, des transferts de siège social, des décisions de cessions de parts ou de continuations d'activité, de modifications de l'objet social de sociétés et de clôture de liquidation ;
que ni Marcel X..., ni Bernard Z... n'ont expliqué en quoi ces actes seraient susceptibles de constituer l'accessoire direct des prestations fournies en la circonstance et d'entrer ainsi dans les limites autorisées par l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée ; que MM. X... et Y... concluent seulement au caractère accessoire : des actes de constitution de société, aux motifs que les travaux d'ordre comptable permettant d'analyser la situation économique de l'entreprise constitueraient la prestation principale, dont l'accessoire est la rédaction de l'acte proprement dit, et qu'il en serait de même lorsque la société est purement et simplement créée, du fait que cet acte résulte d'un projet économique dont l'évaluation est confiée à l'expert-comptable, des actes de transformation de société, dès lors qu'une telle transformation ne peut intervenir sans analyse économique préalable, des fusions de sociétés puisque de tels projets ne peuvent que reposer sur une analyse comptable, des actes d'augmentation et de réduction de capital, de cessions, de changements de dirigeants sociaux, de modification d'objet social ou de transfert de siège social, ou encore de continuation, de dissolution ou de clôture de liquidation et ce, pour des motifs identiques ; que, cependant, si, pour les fusions, les augmentations ou diminutions de capital, les continuations d'activité, les cessions de parts et les clôtures de liquidation, la rédaction d'actes sous seing privé pour autrui est susceptible de ne constituer que l'accessoire direct des prestations comptables fournies ce que n'ont explicité en la circonstance, bien qu'ils s'en prévalent, ni Marcel X..., ni Bernard Y... au regard des cas d'espèces traités et expressément visés dans les poursuites de la partie civile il y a lieu de retenir en revanche, s'agissant d'actes de constitution, de transformation de sociétés, de changements de dirigeants, de modification d'objet social, de transfert de siège social ou de dissolution de sociétés, que de tels actes créateurs de droit ne peuvent dériver de seuls travaux comptables et s'analyser comme des accessoires directs des prestations fournies par l'expert-comptable ;
" 1o alors que la preuve d'un fait imputé à une personne et expressément contesté par elle, ne saurait résulter de seules explications exposées par elle pour les stricts besoins de sa défense et revêtant un caractère subsidiaire ; qu'en se bornant à retenir que la réalité de la rédaction des actes en cause par MM. X... et Y... se déduisait des explications données par ces derniers devant les premiers juges et la première cour d'appel saisie du litige, lesquelles ne tendaient qu'à démontrer, pour les seuls besoins de leur défense, que les actes litigieux, quand bien même ils en auraient été les rédacteurs ce qu'ils contestaient expressément n'étaient pas répréhensibles, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2o alors que la charge de la preuve des éléments constitutifs d'une infraction appartient à la partie poursuivante ; qu'en retenant que MM. X... et Y... n'expliquaient pas en quoi les actes litigieux constituaient l'accessoire direct des prestations fournies par eux dans l'exercice de leur profession, quand il appartenait aux parties civiles poursuivantes de faire la preuve que les actes sous seing privé en cause ne constituaient pas l'accessoire direct des prestations fournies, dès lors que l'absence d'un tel lien d'accessoire constitue une des composantes de l'élément matériel du délit incriminé, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve ;
" 3o alors que MM. X... et Y... soutenaient dans leurs conclusions d'appel que, tenus au secret professionnel, ils n'en étaient déliés que dans les cas limitatifs envisagés par l'article 21 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, à savoir en cas d'information ouverte contre eux ou de poursuites engagées à leur encontre par les pouvoirs publics ou dans les actions intentées devant les chambres de discipline de l'ordre des experts-comptables ; qu'ils en déduisaient qu'ayant été poursuivis, en l'espèce, par des parties privées et par la voie d'une citation directe, il leur était impossible, sauf à violer le secret professionnel, de fournir la preuve que les actes sous seing privé en cause constituaient l'accessoire direct de prestations fournies à leurs clients ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire soulevé par la défense, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;
" 4o alors que la rédaction d'actes de constitution, de transformation ou de dissolution de sociétés, ainsi que de changement de dirigeants, de modification d'objet social ou de transfert de siège social peut constituer l'accessoire direct des prestations fournies par un expert-comptable, dans la mesure où ces prestations peuvent être le préalable à de tels actes ; qu'en excluant que de tels actes puissent être l'accessoire direct des prestations fournies par l'expert-comptable, la cour d'appel a violé les articles visés au moyen " ;
Vu les articles 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que le premier de ces textes permet aux experts-comptables, dans les limites autorisées par l'ordonnance du 19 septembre 1945, de rédiger pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique, lorsque ces actes constituent l'accessoire direct de la prestation fournie ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que deux sociétés d'expertise comptable ont fait insérer, sous leur raison sociale, dans des journaux d'annonces légales, divers avis concernant la constitution, la fusion ou la dissolution de sociétés, le transfert de siège social, le changement de dirigeants, la modification d'objet social, la cession de parts, les diminution ou augmentation de capitaux ;
Que, soutenant que les actes, objet des publications, avaient été établis par des sociétés d'expertise comptable, l'Ordre des avocats au barreau de Lille a cité devant le tribunal correctionnel leurs dirigeants, Marcel X... et Bernard Y..., experts-comptables, notamment pour avoir rédigé des actes sous seing privé en matière juridique, en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi du 31 décembre 1990, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, délit prévu et réprimé par les articles 66-2 et 72 de cette loi ; que les premiers juges ont relaxé les prévenus et débouté les parties civiles de leurs demandes ;
Attendu que la cour d'appel de Douai a confirmé ce jugement ; que cet arrêt a été cassé, en ses seules dispositions civiles, aux motifs que les juges, qui n'ont pas recherché si les actes qu'auraient rédigés les prévenus étaient directement liés aux travaux comptables dont ils étaient chargés, n'ont pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision ;
Attendu que la cour d'appel de Paris, désignée comme cour de renvoi, a confirmé le rejet des demandes des parties civiles ; que cet arrêt a été cassé aux motifs que les juges, en décidant notamment que la rédaction d'un acte de constitution de société entrait dans les limites de l'activité professionnelle permise aux experts-comptables, ont violé l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et condamner solidairement Marcel X... et Bernard Y... à payer la somme d'un franc à chacune des parties civiles, à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel de Versailles, désignée comme seconde cour de renvoi, après avoir retenu que " l'accessoire direct " évoqué par l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée constitue une notion induisant que l'acte accompli soit, par sa nature, susceptible de relever des travaux dont l'expert-comptable est chargé, énonce que, si, pour les fusions, les augmentations ou diminutions de capital, les continuations d'activité, les cessions de parts et les clôtures de liquidation, la rédaction d'actes sous seing privé est susceptible de ne constituer que l'accessoire direct des prestations fournies, en revanche, s'agissant d'actes de constitution, transformation ou dissolution de sociétés, de changement de dirigeant, de modification d'objet social et de transfert de siège social, il convient de retenir que de tels actes ne peuvent dériver des seuls travaux comptables et s'analyser comme l'accessoire direct des prestations fournies par l'expert-comptable ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, de manière abstraite, sans mieux s'expliquer sur les éléments de fait lui permettant d'énoncer que les actes sous seing privé en cause ne pouvaient constituer l'accessoire direct de la prestation fournie, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 7 septembre 2000, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 00-86519
Date de la décision : 11/04/2002
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

EXPERT-COMPTABLE ET COMPTABLE AGREE - Pouvoirs - Rédaction pour autrui d'actes sous seing privé en matière juridique - Condition - Accessoire direct de la prestation fournie.

L'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par les lois des 31 décembre 1990 et 7 avril 1997 permet aux experts-comptables, dans les limites autorisées par l'ordonnance du 19 septembre 1945, de rédiger pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique, lorsque ces actes constituent l'accessoire direct de la prestation fournie. Encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui, pour déclarer des experts-comptables coupables d'infraction à la législation sur la rédaction d'actes sous seing privé et les condamner à des réparations civiles, statue de manière abstraite sans s'expliquer sur les éléments de fait lui permettant d'énoncer que les actes sous seing privé en cause ne pouvaient constituer l'accessoire direct des prestations fournies par les prévenus. (1).


Références :

Loi 71-1130 du 31 décembre 1971 art. 59 (rédaction lois 90-1259 1990-12-31 et 97-308 1997-04-7)
Ordonnance du 19 septembre 1945 art. 21, art. 22

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 07 septembre 2000

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1996-03-13, Bulletin criminel 1996, n° 111, p. 324 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 avr. 2002, pourvoi n°00-86519, Bull. crim. criminel 2002 N° 88 p. 315
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2002 N° 88 p. 315

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Cotte
Avocat général : Avocat général : M. Marin.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Challe.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Gatineau, M. Pradon, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2002:00.86519
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award