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26/03/2002 | FRANCE | N°01-82280

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 mars 2002, 01-82280


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six mars deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Y... Pierre,

contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 12 février 2001, qui, pour exercice illégal de l

a pharmacie, l'a condamné à 25 000 francs d'amende, a ordonné la fermeture temporaire d...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six mars deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Y... Pierre,

contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 12 février 2001, qui, pour exercice illégal de la pharmacie, l'a condamné à 25 000 francs d'amende, a ordonné la fermeture temporaire d'un établissement de parapharmacie et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les pièces de procédure, que Pierre Y..., président de la société Severdis, qui exploite un hypermarché à l'enseigne " E. Leclerc ", a été cité devant le tribunal correctionnel, à la requête de l'EURL Grande pharmacie Licht, pharmacie d'officine établie dans le même centre commercial, et de l'association Union des grandes pharmacies, sous la prévention d'avoir exercé illégalement la pharmacie ; que les premiers juges l'ont renvoyé des fins de la poursuite ; que, sur l'appel des parties civiles, la cour d'appel, a, par arrêt avant dire droit du 31 janvier 2000, confié à André B..., expert inscrit sur la liste nationale, une expertise ayant pour objet de déterminer si divers produits commercialisés par le prévenu au rayon " parapharmacie " de l'établissement qu'il dirige constituaient des médicaments par fonction, composition ou présentation ; que le dépôt du rapport d'expertise a été constaté le 5 mai 2000 ; que le prévenu a, le 30 octobre 2000, régulièrement déposé des conclusions tendant notamment à l'annulation de l'expertise ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, du principe fondamental d'impartialité des experts judiciaires, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté comme mal fondé le moyen de nullité tiré de l'absence d'impartialité de l'expert ;

" aux motifs que " le seul fait qu'André B..., professeur à la faculté de médecine de Tours et expert inscrit sur la liste nationale des experts, ait une formation de pharmacien, contrairement aux prétentions de Pierre Y... qui le soupçonne d'être attaché à la défense du monopole des pharmaciens, ne suffit pas pour présumer sa partialité et n'est pas contraire aux exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'il n'est pas établi ni d'ailleurs allégué que cet expert ait fait part d'une opinion personnelle sur le contentieux opposant les parties et que son rapport à l'audience a été soumis à l'appréciation souveraine et à l'intime conviction de la Cour " (arrêt attaqué, p. 25) ;

" alors qu'en écartant le moyen de nullité tiré de la partialité de l'expert judiciaire, aux prétextes que celui-ci n'avait pas émis d'opinions personnelles sur le contentieux opposant les parties et que son rapport avait pu être discuté à l'audience, sans rechercher, comme elle y était spécialement invitée, s'il pouvait être personnellement intéressé, dans l'exercice de sa profession, par une décision concernant l'étendue du monopole des pharmaciens, la chambre des appels correctionnels a violé les textes susvisés " ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des principes fondamentaux du contradictoire et de l'égalité des armes, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté comme mal fondé le moyen de nullité tiré de l'absence du caractère contradictoire de l'expertise ;

" aux motifs que " Pierre Y..., rappelant que la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt du 18 mars 1997 a étendu toutes les exigences du contradictoire à la phase de l'expertise technique, soutient que le rapport d'expertise est nul au motif que l'expert a procédé seul à sa mission sans convoquer les parties, ni les interroger ni solliciter leurs observations ;

" ceci étant, il convient de relever, d'une part, que contrairement aux affirmations de Pierre Y..., la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt du 18 mars 1997, traitant d'un contentieux civil, n'a pas étendu expressément les exigences du contradictoire à la matière pénale, et d'autre part, que si en droit français aucun texte légal n'impose à l'expertise en matière pénale un caractère contradictoire, le principe est néanmoins en vigueur dès lors que les parties ont toujours et avaient en l'espèce la possibilité de demander au magistrat désigné par la juridiction, en l'occurrence le président de la chambre, à être entendues par l'expert dans les conditions prévues à l'article 164, al. 3 du Code de procédure pénale, ce qu'aucune des parties, et en particulier Pierre Y..., n'a estimé utile de faire " ;

" par ailleurs, les résultats de l'expertise ont été débattus contradictoirement à l'audience par Pierre Y..., ainsi qu'en attestent les conclusions déposées par son avocat pour en discuter la régularité et le contenu, de sorte qu'aucune atteinte n'a été portée aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme " (arrêt attaqué, p. 25 et 26) ;

" alors que le déroulement d'une expertise judiciaire doit respecter les principes fondamentaux du contradictoire et d'égalité des armes, tant en matière pénale qu'en matière civile ; que l'expert judiciaire ne peut déposer son rapport sans avoir au préalable invité les parties à participer aux opérations d'expertise ou à en discuter les orientations ou les résultats ; qu'en l'espèce, en écartant le moyen de nullité tiré du caractère non contradictoire du rapport d'expertise judiciaire, sans rechercher si les parties avaient été invitées à participe aux opérations d'expertise, ou à en discuter les orientations ou les résultats avant le dépôt dudit rapport, la chambre des appels correctionnels a violé les articles susvisés " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour refuser d'annuler le rapport d'expertise, la cour d'appel, après avoir relevé qu'André B..., professeur de pharmacie à la faculté de médecine de Tours, est inscrit sur la liste nationale des experts, énonce que sa formation et sa qualité de pharmacien ne permettent aucunement de présumer une partialité dont son rapport ne révèle aucune manifestation ;

Que les juges ajoutent que le prévenu, qui pouvait demander à être entendu par l'expert dans les conditions prévues par l'article 164 du Code de procédure pénale, ne l'a pas fait, et que les résultats de l'expertise ont été soumis à la discussion contradictoire des parties à l'audience des débats ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'était saisie d'aucune demande de contre-expertise et qui a souverainement déduit de ses constatations qu'elle disposait d'éléments d'appréciation suffisants pour statuer sur la culpabilité, a justifié sa décision, sans méconnaître l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec laquelle la procédure de l'expertise pénale n'est pas incompatible ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 511, L. 512, L. 517 et L. 519 du Code de la santé publique, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Pierre Y... coupable du délit d'exercice illégal de la pharmacie ;

" aux motifs que Pierre Y..., qui est poursuivi en sa qualité de président directeur général de la SA Severdis exploitante de l'hypermarché à l'enseigne Leclerc, ne conteste pas que ces produits aient été rendus au cours de l'année 1996 dans la parapharmacie du centre Leclerc mais il estime que ces faits ne lui sont pas imputables au motif qu'il avait délégué la responsabilité générale de la gestion du centre commercial à un directeur de magasin, Amar C..., et expose à ce sujet que ce dernier avait lui-même subdélégué partie de ces responsabilités concernant le rayon parapharmacie à Nathalie X..., puis ultérieurement à Frédérique Z... qui ont exercé les fonctions de " responsable du secteur parapharmacie " (...) ;

" à l'appui de ses prétentions, Pierre Y... a fait produire aux débats le contrat d'embauche d'Amar C... en date du 18 juillet 1994 et entré en vigueur le 1er août 1994 dans lequel il est notamment indiqué à la rubrique " fonctions et attributions " : " vous exercerez, compte tenu des directions générales ou particulières qui vous seront données par la direction générale, les fonctions de directeur de magasin... à ce titre, vous aurez la responsabilité pleine et entière de notre magasin... " et à la rubrique " délégation de pouvoirs " : " vous devrez faire respecter la législation applicable en ce qui concerne notamment la conformité de tout texte publicitaire, la conformité des produits mis en vente, la conformité des prix de vente... ", ainsi qu'une délégation de pouvoir consentie à Nathalie X... le 20 octobre 1995 et un contrat de travail signé avec Frédérique Z... le 15 juillet 1996 par un certain Alain A..., directeur, dans lesquels il est notamment indiqué : " vous exercerez, compte tenu des directives générales ou particulières qui vous seront données par la direction générale, les fonctions de responsable du secteur parapharmacie... à ce titre, vous aurez la responsabilité pleine et entière de notre magasin ; vos attributions seront les suivantes : référencement et achat des produits, gestion, organisation et approvisionnement de la parapharmacie... " ;

" ceci étant, le chef d'entreprise, pour s'exonérer de sa responsabilité pénale, ne doit pas avoir pris une part personnelle à la réalisation de l'infraction et rapporter la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ;

" la Cour relève d'abord que l'ouverture du rayon parapharmacie au centre Leclerc à Saint-Sever est intervenue le 15 septembre 1995, postérieurement à la délégation de pouvoirs consentie le 18 juillet 1994 à Amar C... en qualité de directeur du magasin, que cette délégation n'a donc pas pu avoir pour effet de déléguer à Amar C... des pouvoirs et des attributions dans un département d'activité encore inexistant à la date de sa signature et qui n'allait être mis en place et ouvert que plusieurs mois plus tard, et de surcroît qu'il n'est même pas établi que ce dernier en 1996, année visée par la prévention, ait encore été le directeur du magasin, puisqu'il est constant au vu des pièces produites par Pierre Y... que dès le 20 octobre 1995 Alain A..., en sa qualité de directeur, a consenti à Nathalie X... une délégation de pouvoirs ;

" d'autre part, aucun élément du dossier et en particulier dans le contrat signé le 18 juillet 1994 il n'est démontré qu'Amar C... avait une compétence ou aurait reçu une formation lui conférant une compétence dans le domaine de la parapharmacie et en particulier au regard de la législation applicable en matière de médicaments ;

de surcroît Pierre Y... ne démontre pas qu'Alain A... ait été bénéficiaire d'une délégation de pouvoirs et que ce dernier en tout état de cause ait eu une compétence en ce domaine ; aucun document ne démontre ni même laisse penser que la personne chargée de l'approvisionnement du rayon de parapharmacie en sa qualité de responsable effectuait directement les commandes ou bien encore avait la liberté de choisir soit les fournisseurs soit les produits parmi ceux proposés à la vente par le fournisseur référencé par le Galec " (arrêt attaqué, 32 et 33) ;

" alors que 1), le demandeur versait aux débats les contrats de travail des responsables successifs du département parapharmacie, qui stipulaient notamment, en termes aussi clairs que précis :
" délégation de pouvoirs : compte tenu du poste qui vous est confié et de l'entière autonomie dont vous disposez quant à l'organisation et la réalisation de vos tâches, tous moyens étant mis à votre disposition, vous vous engagez à prendre toutes mesures et toutes décisions sans aucune restrictions, en vue d'appliquer et de faire appliquer strictement les lois et règlements en vigueur en matière (...) de législation commerciale (...) ; vous devez veiller en outre (...) à ce que les marchandises mises en vente soient conformes à la réglementation (...) ; à cet effet, nous vous confirmons que vous bénéficiez du crédit nécessaire pour effectuer ou faire effectuer dans tous laboratoires, toutes analyses ou opérations chimiques que vous jugerez utiles, et pour recueillir toute documentation juridique ou tous renseignements ou consultations dont vous pourriez avoir besoin " ; qu'il s'en déduisait nécessairement que ces responsables avaient une liberté de contrôle et d'action, et disposant de moyens pour être avisés ; qu'en énonçant abruptement qu'aucun document n'aurait démontré ni même n'aurait laissé penser que la personne chargée de l'approvisionnement du rayon de parapharmacie en sa qualité de responsable effectuait directement les commandes ou bien encore avait la liberté de choisir soit les fournisseurs soit les produits parmi ceux proposés à la vente par le fournisseur référencé par le Galec, sans s'expliquer sur les stipulations précitées, la chambre des appels correctionnels a violé les textes susvisés ;

" alors que 2), au reste, il est constant, et résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué (p. 33, 1er), que les délégations de pouvoirs consenties aux responsables successifs du département parapharmacie avaient été stipulées dans des contrats de travail passés au nom et pour le compte de la SA Severdis, contrats dont la régularité n'était pas contestée ; que dès lors, ces délégations étaient parfaitement opposables par Pierre Y..., sa qualité de représentant légal de l'employeur ; qu'en énonçant toutefois que le demandeur n'aurait pas démontré que le directeur Alain A..., signataire des contrats de travail au nom et pour le compte de la SA Severdis, ait été bénéficiaire d'une délégation, et en déniant ainsi l'opposabilité des délégations de pouvoirs stipulées dans lesdits contrats de travail, la chambre des appels correctionnels a violé les textes susvisés " ;

Attendu que, pour écarter les délégations de pouvoirs consenties l'une par Pierre Y... au directeur du magasin à la date de son embauche, les autres par le directeur du magasin aux employées responsables du département de parapharmacie, la cour d'appel relève que l'ouverture de celui-ci est intervenue à une date postérieure à l'embauche du directeur et qu'il n'est pas démontré que les titulaires des délégations aient reçu une formation leur conférant une compétence dans le domaine de la législation relative au médicament, ni qu'ils aient été investis du pouvoir de passer directement les commandes auprès des fournisseurs et de la liberté de choisir d'autres produits que ceux des fournisseurs référencés du Groupement d'achat des centres Leclerc ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations relevant de son appréciation souveraine de la valeur et de l'étendue des délégations, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Blondet conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 01-82280
Date de la décision : 26/03/2002
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(Sur les 1er et 2ème moyens) INSTRUCTION - Expertise - Procédure - Convention européenne des droits de l'homme - Compatibilité.


Références :

Code de procédure pénale 164
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950, art. 6

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, 12 février 2001


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 mar. 2002, pourvoi n°01-82280


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2002:01.82280
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