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05/03/2002 | FRANCE | N°01-82785

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 05 mars 2002, 01-82785


CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Marie, Z... Philippe, la société " Le Monde ", civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 29 mars 2001, qui, sur plainte de l'association " Avocats sans Frontières " pour diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, a condamné les deux premiers à des dommages et intérêts.
LA COUR,
Vu les mémoires pro

duits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris ...

CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Marie, Z... Philippe, la société " Le Monde ", civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 29 mars 2001, qui, sur plainte de l'association " Avocats sans Frontières " pour diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, a condamné les deux premiers à des dommages et intérêts.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la citation à comparaître ;
" aux motifs que, l'erreur ayant consisté à viser le "Code pénal" au lieu de la loi du 29 juillet 1881, s'agissant des articles 29, 32, alinéa 2, 42, 43, 44, n'apparaît cependant pas suffisante pour entacher la citation de nullité, dès lors que la citation comporte expressément l'analyse des propos incriminés comme étant constitutifs du "délit de diffamation raciale" et que les parties citées à comparaître n'ont pu se méprendre sur les faits dont elles auraient à répondre, l'objet de la poursuite étant clairement déterminé ; que l'inexistence des articles 29, alinéa 1, 32, alinéas 2 et 3, 42, 43 et 44 du Code pénal incriminant et réprimant le délit de diffamation révélait à l'évidence l'erreur de plume dans la citation ; que tout destinataire d'une telle citation pouvait aisément, à partir des indications qui y figuraient et en dépit de l'erreur matérielle dont il s'agit, identifier les textes applicables et en connaître la teneur, toute table alphabétique des éditions du Code pénal comportant sous la rubrique "diffamation", la référence à la loi du 29 juillet 1881 ;
" alors que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que la citation doit préciser et qualifier les faits incriminés et le texte de loi applicable à la poursuite et ceci à peine de nullité ; que la citation qui vise des articles inexistants du Code pénal doit donc être annulée sans qu'il soit nécessaire de déterminer si la partie citée à comparaître pouvait connaître la loi applicable ; que, par conséquent, la cour d'appel de Paris a violé l'article précité " ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité de la citation, les juges relèvent que les parties citées n'ont pu se méprendre sur les faits dont elles auraient à répondre, l'objet de la poursuite, en l'espèce la diffamation raciale, étant clairement déterminé et que l'inexistence dans le Code pénal d'articles 29, alinéa 1, 32, alinéa 2, 42, 43 et 44 incriminant le délit de diffamation révélait à l'évidence une erreur de plume dans la citation ; que les juges ajoutent que tout destinataire d'une telle citation qui comprenait l'analyse des faits incriminés pouvait aisément à partir des indications qui y figuraient et en dépit de l'erreur matérielle, identifier les textes applicables ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 29, 32, alinéas 2 et 3, 42, 43 et 44 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Jean-Marie X..., Philippe Z... et la société "Le Monde" pour diffamation raciale en qualité respectivement d'auteur, de complice et de civilement responsable ;
" aux motifs, "qu'en écrivant qu'un groupe ethnique, la nation serbe, a pu commettre pendant 10 ans une politique de discrimination, puis d'expulsion assortie d'élimination physique, sans être jugée", le rédacteur du texte incriminé vise non pas les seuls responsables politiques dont il préconise, dans la suite de l'article, la mise en jugement, mais la communauté nationale, à laquelle il est fait indistinctement grief d'avoir pratiqué cette politique ; que, s'agissant d'un groupe de personnes visées à raison de son ethnie, le texte incriminé entre dans le champ d'application de l'article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'imputer globalement au groupe ethnique que constitue la communauté nationale serbe un comportement raciste allant jusqu'à la pratique de l'élimination physique constitue une atteinte à l'honneur et à la considération ; qu'en l'espèce, la thèse développée par le rédacteur de l'article de presse, selon laquelle on ne saurait déplorer les paroles de haine et d'intolérance et les actes de vengeance visant les Serbes avant d'avoir fait comparaître en justice les représentants de l'Etat serbe qui ont couvert des crimes ou incité à en commettre, relève de la liberté d'opinion ; que la liberté d'opinion ne saurait cependant s'étendre à la mise en cause globale d'une nation comme pratiquant une politique raciste allant jusqu'à l'élimination physique ; qu'une telle formulation, qui tend à répandre l'opprobre sur l'ensemble d'une communauté nationale, ne peut pas être tolérée ;
" qu'il convient d'observer en effet que l'expression incriminée ne procède pas d'une simple commodité ou facilité d'écriture, communément usitée, consistant, sous la désignation d'un peuple par son nom, à ne viser en fait que les titulaires d'un pouvoir décisionnel ; qu'il s'agit en l'espèce d'une volonté manifeste de stigmatiser l'ensemble de la communauté nationale, l'imputation faite à la nation serbe étant étayée par les mots qui précèdent, à savoir "un groupe ethnique" ;
" alors que la diffamation raciale doit être analysée non seulement à partir des propos visés dans la citation à comparaître mais également à la lumière des autres passages de l'article dans lesquels sont exprimés les propos incriminés ; qu'il résulte de cet article que si son auteur écrit qu'"une ethnie, la nation serbe, a pu commettre pendant 10 ans une politique de discrimination, puis d'expulsion assortie d'élimination physique, sans être jugée", il ne vise pas les Serbes dans leur globalité, mais les représentants de l'Etat serbe et les milices spéciales qui n'ont pas été jugés, comme le révèlent les autres passages de l'article contenant les propos incriminés ; qu'il ne s'agit donc pas de diffamation à raison de l'appartenance ethnique mais de l'expression d'une opinion sur l'absence de jugement des responsables du conflit au Kosovo ; que, par conséquent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" et alors que la liberté de la presse comprenant le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire même de provocation dans un contexte de polémique portant sur un sujet d'intérêt général, dont les sujets de politique internationale, dès lors que les propos s'appuient sur une base factuelle certaine et ne révèlent aucune intention de nuire, la bonne foi doit dans ces conditions être admise ; que cette liberté dans la forme de l'expression des idées doit être assurée non seulement lorsque l'article incriminé émane d'un journaliste mais également lorsqu'il émane d'un particulier ; qu'en l'espèce, les propos de Philippe Z... sont justifiés par la volonté de réagir aux déclarations de M. Y... sur le manque de bonne volonté des albanophones dans la reconstruction de la société multiculturelle au Kosovo ; que, si les propos sont exagérés et même agressifs, ils s'inscrivent dans un contexte de polémique portant sur la politique internationale, la façon dont la communauté internationale a traité la situation au Kosovo, de nature à les justifier, dès lors que ces propos volontairement provocateurs sont ensuite explicités et atténués dans d'autres passages de l'article exclusifs de toute intention de nuire, soit de toute intention de répandre l'opprobre sur une nation ; que la cour d'appel qui a refusé de prendre en compte ces éléments a, de plus ample, privé sa décision de base légale ;
" et alors que la liberté de la presse implique le droit de diffuser des informations et des idées qui peuvent choquer en choisissant le mode de diffusion de ces informations ou de ces idées, dès lors qu'elles ne révèlent aucune intention de nuire ; que la bonne foi du directeur de publication résulte de la diffusion d'une information sur les opinions mêmes exagérées exprimées dans le cadre d'une polémique politique dès lors qu'elle ne révèle aucune intention de nuire ; qu'en l'espèce, la décision de diffuser les propos incriminés était destinée à donner une information sur l'opinion de Philippe Z... s'agissant de la situation au Kosovo et n'impliquait aucune intention de s'associer aux idées exprimées, puisque l'article avait été publié dans la rubrique "Point de vue", et donc n'était motivée par aucune intention raciste de la part du directeur de publication ; que, par conséquent, Jean-Marie X... ne pouvait être sanctionné pour avoir publié l'article de Philippe Z... et ce dernier ne pouvait être déclaré complice d'un délit qui n'était pas constitué ; que la cour d'appel a donc privé sa décision de base légale " ;
Vu les articles 29 et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu qu'il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le point de savoir si dans les écrits retenus à la prévention se retrouvent les éléments constitutifs de la diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes, à raison de leur origine, de l'appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée tels qu'ils sont définis par ces textes ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le 9 novembre 1999, l'association " Avocats sans Frontières " a fait citer Jean-Marie X..., directeur de publication, et Philippe Z..., des chefs de diffamation raciale et complicité de ce délit, à la suite de la publication dans le journal " Le Monde " du 12 août 1999 d'une chronique intitulée " Rendre justice au peuple kosovar " ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer que Jean-Marie X... et Philippe Z... ont commis une faute sur le fondement de l'article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, les juges du second degré retiennent que l'auteur de l'article a eu en l'espèce la volonté de stigmatiser l'ensemble de la communauté nationale serbe ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi alors que l'article incriminé visait en réalité l'action des représentants politiques d'un Etat et non chaque individu en tant que membre d'une nation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 29 mars 2001 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 01-82785
Date de la décision : 05/03/2002
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Contrôle de la Cour de cassation.

Il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le point de savoir si, dans les propos ou écrits retenus à la prévention, se retrouvent les éléments constitutifs de la diffamation publique tels qu'ils sont définis par les articles 29, alinéa 1, et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881. Ainsi ne constitue pas une diffamation dirigée contre une nation un article de presse qui vise, non chaque individu en tant que membre de cette nation, mais qui vise en réalité l'action des représentants politiques d'un Etat. (1).


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 29, art. 32, al. 2

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 29 mars 2001

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 2001-10-16, Bulletin criminel 2001, n° 210, p. 674 (cassation sans renvoi).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 05 mar. 2002, pourvoi n°01-82785, Bull. crim. criminel 2002 N° 54 p. 161
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2002 N° 54 p. 161

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Cotte
Avocat général : Avocat général : Mme Fromont.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Chanet.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2002:01.82785
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