AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société SEAC Guiraud, société d'études et d'applications de composants SEAC Guiraud frères, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 19 janvier 1999 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre civile, section AO), au profit de la société Bedaricienne Doras industrie, dite BDI, ayant absorbé la société Bedaricienne Feder béton, dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 20 novembre 2001, où étaient présents : M. Weber, président, Mme Lardet, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Chemin, Villien, Cachelot, Martin, conseillers, Mmes Fossaert-Sabatier, Boulanger, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Lardet, conseiller, les observations de Me de Nervo, avocat de la société SEAC Guiraud, de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la société Bedaricienne Doras industrie, les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 19 janvier 1999), que par contrat du 3 novembre 1994, la société Bourdarios, intervenant comme entrepreneur principal dans la construction d'un centre commercial, a sous-traité pour un prix global et forfaitaire à la société Guiraud frères, société d'études et d'application de composants Guiraud frères (SEAC) et à la société Bedaricienne Doras industrie (BDI), aux droits de la société Bedaricienne Feder béton, les travaux de fourniture et de pose de poteaux, poutres, planches et gros oeuvre ; que la BDI, agissant en qualité de mandataire commun du groupement d'entreprise constitué avec la SEAC pour l'exécution de ces travaux, a sous-traité la pose des éléments précontraints dont le coût avait été fixé à un certain montant ; qu'invoquant le refus de la SEAC de lui rembourser le solde de sa part dans les dépenses communes relatives aux travaux de pose, la BDI a assigné la SEAC en paiement ; qu'une expertise a été ordonnée ;
Attendu que la SEAC fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen :
1 / que le juge doit répondre aux conclusions qui lui sont soumises ; que, comme l'a constaté la cour d'appel, dans ses conclusions d'appel déposées le 14 août 1997, la SEAC reprochait à l'expert d'avoir déposé son rapport le 30 octobre 1996 après avoir reçu un dire de la société Feder le 7 octobre 1996 sans solliciter ou aménager la possibilité à la SEAC d'y répondre ; que, dès lors, en ne répondant pas à ce moyen tiré du non-respect de la contradiction, pourtant particulièrement opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que le juge doit se prononcer lui-même, sans pouvoir se retrancher derrière l'expertise, de sorte que l'absence de critique du compte établi entre les parties par l'expert judiciaire n'interdit pas à l'une d'entre elles de le contester devant les juges du fond ; qu'en considérant, à trois reprises, que l'absence de contestation de la SEAC interdisait de critiquer l'expert sur ces questions, la cour d'appel, qui n'a pas examiné elle-même la contestation, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que le manque de prévision d'un entrepreneur n'est pas de nature à modifier le caractère forfaitaire du contrat ; qu'en relevant que les causes du dépassement étaient relatives à la remise commerciale trop importante consentie par les sociétés sous-traitantes et la non-prise en compte de prestations et ce, pour emporter le marché, et plus loin, que les causes n'étaient pas imputables à la Bedaricienne mais aux deux membres du groupement, la cour d'appel a caractérisé que l'imprévision des entrepreneurs avait modifié le caractère forfaitaire du marché à l'égard de l'entreprise Bourdarios ; qu'en retenant un tel motif inopérant, la cour d'appel a violé les articles 1793 et 1134 du Code civil ;
4 / que les conventions légalement formées font la loi des parties ; que, comme l'a soutenu la SEAC, l'article 2 des conditions particulières la liant à la société Feder, prévoit, en son annexe 1, que la rédaction et le passage des marchés de sous-traitance doit se faire avec l'accord écrit systématique de l'autre membre du groupement" ; qu'en constatant l'absence de tout accord écrit et en y passant outre, pour écarter la faute de la société Feder, la cour d'appel a violé la loi du contrat en méconnaissance de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que l'expert auquel la BDI avait adressé, le 7 octobre 1996, un dire en réponse aux observations de la SEAC du 5 août 1996 et qui avait déposé son rapport le 30 octobre 1996 n'avait pas violé le principe de la contradiction, n'étant pas obligé de rédiger un pré-rapport ou d'organiser une réunion de synthèse, dont il n'est pas soutenu qu'elle lui avait été demandée, s'il ne l'estimait pas nécessaire puisque sa mission ne le lui imposait pas, et souverainement relevé, par des motifs non critiqués, que le litige ne portant que sur la réalité et les causes du dépassement du coût du marché, intégralement supporté par la BDI, la nouvelle expertise sollicitée par la SEAC pour rechercher si les factures étaient justifiées par rapport aux travaux réalisés par leurs auteurs n'avait pas lieu d'être ordonnée, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Attendu, d'autre part, que n'étant pas saisie d'un litige relatif aux conditions de sortie du forfait dans les rapports entre la société Bourdarios et ses sous-traitants et ayant relevé, par des motifs non critiqués, que la SEAC avait négocié les prix des marchés de pose conclus avec les sous-traitants dont elle avait toujours eu connaissance, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une modification du forfait à l'égard de la société Bourdarios imputable à celle-ci et qui a pu retenir que l'absence d'accord écrit donné par la SEAC à ces marchés, étant sans conséquence, ne constituait pas un manquement de la BDI à son obligation d'information engageant sa responsabilité envers l'autre membre du groupement, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SEAC Guiraud aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société SEAC Guiraud à payer à la société Bedaricienne Doras industrie la somme de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf janvier deux mille deux.