Sur le premier moyen :
Vu les articles 65 de la loi du 29 juillet 1881 et 1382 du Code civil ;
Attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la loi susvisée se prescrivent après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que, le 14 novembre 1994, le secrétaire national de l'association X... (l'association) a adressé au président de la société Y... (la société) une lettre contenant notamment les énonciations suivantes :
" Comme vous le savez sans doute, une campagne internationale contre la production et la commercialisation des mines antipersonnel et plus généralement des moyens antipersonnel se déroule actuellement dans de nombreux pays, dont la France... Notre association vient de lancer une campagne d'opinion pour obtenir que les entreprises françaises productrices de mines, et plus généralement de "moyens antipersonnel", s'engagent à ne plus produire ces matériels. Votre entreprise est très présente dans le secteur de l'armement, notamment dans le domaine des moyens antipersonnel (système A...). Nous tenons à vous informer dès à présent que nous demandons à nos sympathisants d'interpeller leur maire pour s'assurer que le fournisseur de feux d'artifices de leur ville ne produit pas également des moyens antipersonnel. Les mairies qui se fournissent auprès de votre entreprise vont donc probablement vous demander des engagements et des garanties pour arrêter immédiatement la production des moyens antipersonnel, quels qu'ils soient. Cette campagne vient de commencer et se déroulera pendant trois mois. Au cours de cette campagne, nous sommes disposés à prendre en compte toutes les propositions que vous pourriez faire et qui modifieraient votre position actuelle sur cette question. " ;
Que de manière concomitante à l'envoi de la lettre précitée, l'association a invité chacun de ses adhérents ou sympathisants à faire parvenir, soit au maire de sa commune, soit au conseiller général de son canton, une lettre circulaire ainsi rédigée :
" Chaque année dans le monde, des milliers de civils sont grièvement blessés ou tués par l'explosion de mines antipersonnel. De nombreux reportages ont montré le caractère particulièrement atroce de ces armes. Plusieurs pays, dont la France depuis 1993, ont décidé un moratoire sur les exportations de mines antipersonnel. Mais il ne s'agit que d'une demi-mesure. Je pense qu'il est nécessaire d'interdire la fabrication des mines et de leurs composants par les entreprises françaises, comme cela a déjà été fait pour les armes chimiques et bactériologiques. Une telle décision servira d'exemple aux autres pays producteurs. En France, deux grandes entreprises fabriquant des feux d'artifice produisent des mines antipersonnel :
Z... et Y... Nous vous demandons de vérifier que votre prestataire de feux d'artifice n'est ni un producteur de mines, ni même en relation avec ces entreprises. Si tel est le cas, je vous demande de poser comme condition au renouvellement du contrat pour 1995, un engagement de votre prestataire à ne plus produire ou à ne plus avoir de lien avec les entreprises qui produisent des mines antipersonnel. S'il refuse d'accéder à votre demande, je tiens à votre disposition des noms d'entreprises de feux d'artifice non compromises dans la production de mines antipersonnel " ;
Attendu que l'association a encore diffusé un document intitulé " Campagne n° 26, Novembre 1994 Janvier 1995 pour l'interdiction des mines antipersonnel " reprenant les termes de la lettre circulaire et mettant en cause la société à propos de la commercialisation de son système A... ;
Qu'estimant que la diffusion de tels documents constituait un acte de dénigrement fautif, la société a fait assigner devant le tribunal de grande instance, par acte d'huissier de justice du 8 février 1995, l'association en réparation de son préjudice ; que, par arrêt du 14 mai 1996, la cour d'appel a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'association sur le fondement de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, et, avant dire droit sur le fond du litige, ordonné une expertise ; que, par arrêt du 23 juin 1998, la cour d'appel a refusé de donner acte à l'association de la réitération de sa fin de non-recevoir et l'a condamnée à des réparations civiles ;
Attendu que pour écarter la fin de non-recevoir prise par l'association de l'absence d'acte interruptif de la prescription entre le 11 septembre 1995 et le 12 février 1996, l'arrêt du 14 mai 1996 énonce que la société reproche à l'association de lui avoir faussement imputé la fabrication de mines à effet antipersonnel mais ne fonde pas son action sur ce seul grief, et fait aussi valoir que l'association aurait incité des élus municipaux à mettre fin aux relations commerciales établies entre elle-même et les communes par eux administrées, relativement à la fourniture de feux d'artifice et d'acheter ces produits pyrotechniques à certains de ses concurrents qu'elle a nommément désignés ; que ces faits, distincts de l'imputation précitée que l'association qualifie de diffamatoire, ne sont constitutifs d'aucune des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 ; que, dès lors, l'association ne peut se prévaloir de l'article 65 de cette loi pour prétendre que cette action serait prescrite ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'appel au boycottage était indissociable de la diffamation envers la société constituée par l'imputation faite à celle-ci de fabriquer et commercialiser des mines antipersonnel, de sorte qu'aucune faute distincte ne pouvait être relevée, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
Et sur le deuxième moyen :
Attendu que la cassation de l'arrêt du 14 mai 1996 entraîne, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt du 23 juin 1998 ;
Et vu l'article 627 du nouveau Code de procédure civile, attendu qu'il y a lieu de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes leurs dispositions, les arrêts rendus les 14 mai 1996 et 23 juin 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Constate l'extinction de l'action civile de la société Y... par la prescription ;
Rejette ses demandes.