AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un novembre deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, et de la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Ahmed,
- X... Jamal,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NANCY, chambre correctionnelle, en date du 23 novembre 2000, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants et importations sans déclaration de marchandises prohibées, les a condamnés respectivement à 5 et 4 ans d'emprisonnement, à l'interdiction définitive du territoire français et à des amendes douanières ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen présenté pour Ahmed X..., pris de la violation des articles 222-36 et 222-37 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'importation, acquisition, transport, détention, offre et cession illicite de produits stupéfiants ;
"alors que le caractère illicite des faits d'importation, acquisition, transport, détention, offre et cession de stupéfiants est un élément essentiel des infractions visées aux articles 222-36 et 222-37 du Code pénal et qu'en se bornant à relever la matérialité des faits d'importation, transport, détention, offre et cession de stupéfiants sans constater leur caractère illicite, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale" ;
Sur le premier moyen présenté pour Jamal X..., pris de la violation des articles 222-36 et 222-37 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'importation, acquisition, transport, détention, offre et cession illicite de produits stupéfiants ;
"alors que le caractère illicite des faits d'importation, acquisition, transport, détention, offre et cession de stupéfiants est un élément essentiel des infractions visées aux articles 222-36 et 222-37 du Code pénal et qu'en se bornant à relever la matérialité des faits d'importation, transport, détention, offre et cession de stupéfiants sans constater leur caractère illicite, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale" ;
Sur le troisième moyen présenté pour Ahmed X..., pris de la violation des articles 215, 414 et 419 du Code des douanes, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable du délit douanier d'importation en contrebande de marchandises prohibées et l'a condamné à payer à l'administration des Douanes une amende de 175 000 francs ;
"alors que ce délit n'est constitué, en application des dispositions combinées des articles 215 et 419 du Code des douanes, qu'autant qu'il est constaté que les marchandises ont été importées sans justification d'origine ou que les documents présentés sont faux, inexacts, incomplets ou inapplicables et que l'arrêt, qui n'a pas constaté cet élément essentiel de l'infraction, n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
"alors que si le délit d'importation en contrebande de marchandises prohibées peut se déduire de la déclaration de culpabilité portant sur les infractions de droit commun, c'est à la condition bien évidemment que ces infractions aient été régulièrement constatées et que l'arrêt, n'ayant pas constaté le caractère illicite du trafic de stupéfiants poursuivis, n'a pas, fût-ce de manière indirecte, justifié sa décision relativement à la constatation de l'existence du délit douanier" ;
Sur le troisième moyen présenté pour Jamal X..., pris de la violation des articles 215, 414 et 419 du Code des douanes, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable du délit douanier d'importation en contrebande de marchandises prohibées et l'a condamné à payer à l'administration des Douanes une amende de 70 000 francs ;
"alors que ce délit n'est constitué, en application des dispositions combinées des articles 215 et 419 du Code des douanes, qu'autant qu'il est constaté que les marchandises ont été importées sans justification d'origine ou que les documents présentés sont faux, inexacts, incomplets ou inapplicables et que l'arrêt, qui n'a pas constaté cet élément essentiel de l'infraction, n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
"alors que si le délit d'importation en contrebande de marchandises prohibées peut se déduire de la déclaration de culpabilité portant sur les infractions de droit commun, c'est à la condition bien évidemment que ces infractions aient été régulièrement constatées et que l'arrêt, n'ayant pas constaté le caractère illicite du trafic de stupéfiants poursuivis, n'a pas, fût-ce de manière indirecte, justifié sa décision relativement à la constatation de l'existence du délit douanier" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Sur le deuxième moyen présenté pour Ahmed X..., pris de la violation des articles 131-30 et 222-48 du Code pénal, 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé l'interdiction définitive du territoire français à l'encontre du demandeur ;
"aux motifs repris des premiers juges que le trafic de stupéfiants pour lequel Ahmed X... a été déclaré coupable s'est déroulé de 1997 à 2000 et a été d'une certaine ampleur sur la petite ville de Mirecourt ; qu'Ahmed X... est de nationalité marocaine ;
qu'il a toujours de la famille au Maroc, qu'il y est d'ailleurs marié avec une jeune femme de cette nationalité qui réside toujours dans ce pays ;
"alors que le juge national ne peut prononcer l'interdiction définitive du territoire français à l'encontre d'un condamné qu'autant que cette mesure n'est pas disproportionnée aux buts légitimes poursuivis et que la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur le curriculum vitae d'Ahmed X... sur ses attaches en France, ne permet pas à la Cour de Cassation de s'assurer que la peine d'interdiction définitive du territoire français qui a été prononcée à son encontre répond aux objectifs de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales" ;
Sur le deuxième moyen présenté pour Jamal X... de la violation des articles 131-30 et 222-48 du Code pénal, 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé l'interdiction définitive du territoire français à l'encontre du demandeur ;
"aux motifs repris des premiers juges que la participation de Jamal X... au trafic de stupéfiants est quasi égale à celle de son frère dont il était le suppléant ; que, dans la petite ville de Mirecourt, ce trafic a gravement troublé l'ordre public ;
que Jamal X... est de nationalité marocaine ; qu'il en parle la langue, qu'il a de la famille au Maroc, notamment un oncle et l'épouse de son frère ;
"alors que le juge national ne peut prononcer l'interdiction définitive du territoire français à l'encontre d'un condamné qu'autant que cette mesure n'est pas disproportionnée aux buts légitimes poursuivis et que la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur le curriculum vitae de Jamal X... sur ses attaches en France, ne permet pas à la Cour de Cassation de s'assurer que la peine d'interdiction définitive du territoire français qui a été prononcée à son encontre répond aux objectifs de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que Ahmed et Jamal X... ayant été déclarés coupables notamment d'importation illicite de produits stupéfiants, la cour d'appel pouvait, par application de l'article 222-48 du Code pénal, non contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, prononcer, à leur encontre, l'interdiction définitive du territoire français sans motiver spécialement sa décision sur ce point ;
Qu'il s'ensuit que les moyens doivent être écartés ;
Sur le quatrième moyen présenté pour Ahmed X..., pris de la violation de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 du Protocole n° 7 additionnel à ladite Convention ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé à l'encontre du demandeur la contrainte par corps pour garantir le paiement des pénalités douanières et a ordonné son maintien en détention jusqu'à ce qu'il eût acquitté le montant de sa dette douanière ;
"alors que les dispositions des articles 382 et 388 du Code des douanes, qui autorisent l'incarcération et le maintien en détention d'une personne en vue de garantir le paiement de pénalités douanières, sont incompatibles avec les dispositions de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui fixent limitativement les cas dans lesquels le juge national est autorité à priver une personne de sa liberté ;
"alors que, selon les dispositions de l'article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il est fait interdiction au juge national de prononcer une double condamnation à raison des mêmes faits ; que cette règle s'oppose, nonobstant les réserves faites par la France, à ce que le juge répressif puisse prononcer simultanément à l'encontre d'une même personne une peine d'emprisonnement et une mesure de contrainte par corps sur le fondement des textes susvisés du Code des douanes, ces deux mesures constituant l'une et l'autre des mesures à caractère pénal" ;
Sur le quatrième moyen présenté pour Jamal X..., pris de la violation de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 du Protocole n° 7 additionnel à ladite Convention ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé à l'encontre du demandeur la contrainte par corps pour garantir le paiement des pénalités douanières et a ordonné son maintien en détention jusqu'à ce qu'il eût acquitté le montant de sa dette douanière ;
"alors que les dispositions des articles 382 et 388 du Code des douanes, qui autorisent l'incarcération et le maintien en détention d'une personne en vue de garantir le paiement de pénalités douanières, sont incompatibles avec les dispositions de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui fixent limitativement les cas dans lesquels le juge national est autorité à priver une personne de sa liberté ;
"alors que, selon les dispositions de l'article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il est fait interdiction au juge national de prononcer une double condamnation à raison des mêmes faits ; que cette règle s'oppose, nonobstant les réserves faites par la France, à ce que le juge répressif puisse prononcer simultanément à l'encontre d'une même personne une peine d'emprisonnement et une mesure de contrainte par corps sur le fondement des textes susvisés du Code des douanes, ces deux mesures constituant l'une et l'autre des mesures à caractère pénal" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les demandeurs ne sauraient faire grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la contrainte par corps s'exercerait à leur encontre, dès lors que celle-ci, qui présente les caractères légaux, non d'une peine mais d'une mesure d'exécution, n'est contraire ni à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme ni à l'article 4 du Protocole n° 7 additionnel à ladite Convention ;
Qu'il s'ensuit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;