AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix octobre deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Isabelle, épouse Y...,
- LA SOCIETE ART INVESTISSEMENT,
- LA SOCIETE UNION MEDITERRANEENNE D'ART CONTEMPORAIN,
contre l'ordonnance du tribunal de grande instance de GRASSE, en date du 26 octobre 1999, qui a autorisé l'administration des Impôts, à effectuer des opérations de visite et saisie, en vue de rechercher la preuve d'une fraude fiscale ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé les perquisitions et saisies sollicitées, dans les locaux occupés par la société Union Méditerranéenne d'Art Contemporain et ceux occupés par Marie-José Z... ou Jean-Guy Y... ;
"alors que l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales fait obligation à l'Administration de fournir tous les éléments d'information en sa possession, susceptibles d'influer sur l'appréciation du bien fondé de la demande, au président du tribunal de grande instance ; que, notamment, l'Administration qui sollicite l'autorisation d'effectuer plusieurs perquisitions simultanément, pour établir les mêmes infractions à l'encontre des mêmes personnes, dans le cadre de la même enquête, auprès de plusieurs présidents de tribunaux de grande instance, ne saurait dissimuler à l'un d'entre eux l'existence des autres requêtes et décisions, ces éléments d'information étant de nature à influer sur l'appréciation que chacun des présidents de tribunaux de grande instance saisis doit porter sur le bien-fondé des infractions présumées et sur l'opportunité de visiter les locaux visés par la requête qui lui est présentée ; qu'en l'espèce, l'administration fiscale avait sollicité, auprès de trois présidents de tribunaux de grande instance différents, trois ordonnances autorisant des perquisitions dans de nombreux locaux, pour la preuve des mêmes infractions, prétendument commises par les mêmes personnes ; qu'il ne résulte pas de l'ordonnance attaquée, qui doit faire par elle-même la preuve de sa régularité, que le président du tribunal de grande instance avait été informé de ce que les perquisitions sollicitées s'inscrivaient dans le cadre d'une enquête unique et que d'autres juridictions étaient saisies d'une requête identique, l'ensemble de ces requêtes tendant à l'exercice d'un droit de visite simultané dans six locaux différents ; qu'ainsi, l'autorisation a été délivrée sur une demande qui ne répond pas aux prescriptions légales et ne satisfait pas aux exigences du texte susvisé" ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé les perquisitions et saisies sollicitées, dans les locaux occupés par la société Union Méditerranéenne d'Art Contemporain et ceux occupés par Marie-José Z... ou Jean-Guy Y... ;
"aux motifs que les pièces produites à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées pour la motivation de la présente ordonnance, (...) Attendu que les comptes-rendus de conversations téléphoniques entre Robert Y... et Jean-Guy Y..., et Isabelle X..., en date du 16 avril 1998 et 10 mai 1998, font état, de chèques et d'espèces "mal" détournés, prélèvements et utilisation de chèques à des fins personnelles, paiement partiel d'une vente en espèce, non comptabilisée (pièce n° 15-5) ; Attendu qu'un contrat de bail, en date du 24 avril 1996, entre Jean A..., Robert Y..., et le Royal Hôtel, Winter et Gstaad Palace SA à Gstaad (Suisse) mentionne une location de la galerie du palace du 20 décembre 1996 à fin mars 1997, moyennant un loyer fixé à 25 000 francs plus une commission de 10 % sur les ventes réalisées (pièce n° 14-5) ; Attendu que sur ce document Jean Y... intervient pour le compte de la galerie du Dauphin ... (14), et que cette galerie est exploitée par la SARL Umac (pièces n° 14-5 et 1) ; Attendu que dans le cadre des opérations de contrôle de la comptabilité de la SARL Umac, le vérificateur n'a retrouvé aucune trace du contrat de location entre Robert Y... et le Royal Hôtel de Gstaad, ni aucune vente afférente à des expositions en Suisse, sur la période concernée (pièce n° 1-3 bis) ; Attendu que le compte rendu de conversation téléphonique du 29 avril 1998, révèle qu'à cette date, Robert Y... et Jean-Guy Y..., se trouvaient en Suisse pour une exposition-vente de tableaux ;
1 ) "alors que les transcriptions de conversations téléphoniques interceptées, dont la régularité n'a pas donné lieu à un contrôle au cours de l'information pénale dont elles sont issues, ne peuvent être utilisées dans le cadre d'une autre procédure que dans la mesure où cette dernière offre les garanties d'une procédure contradictoire ; qu'en se fondant, pour autoriser les perquisitions et saisies sollicitées, sur des transcriptions de communications téléphoniques interceptées dans le cadre d'une instruction pénale clôturée par un non-lieu, sans constater que la régularité de ces écoutes téléphoniques avait été contrôlée au cours de l'instruction pénale dont elles sont issues, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, ensemble l'article 100 du Code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2 ) "alors que le président du tribunal de grande instance doit vérifier que les éléments d'information qui lui sont soumis par l'administration fiscale ont été obtenus et sont détenus de manière apparemment licite ; que, notamment, il doit être en mesure de s'assurer de la régularité d'interceptions de conversations téléphoniques ordonnées dans le cadre d'une instruction pénale clôturée par un non-lieu, qui n'a fait l'objet d'aucun contrôle dans le cadre de l'information pénale dont elles sont issues, par l'examen des commissions rogatoires en vertu desquelles les écoutes téléphoniques ont été pratiquées ; que l'Administration requérante s'étant bornée à produire des transcriptions d'écoutes téléphoniques (pièce n° 15-5), le président du tribunal de grande instance ne pouvait affirmer que les pièces qui lui étaient présentées avaient une origine apparemment licite, ce dont il n'a pu s'assurer, en violation de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, ensemble l'article 100 du Code de procédure pénale ;
3 ) "alors que s'il n'est pas interdit au juge de faire état de conversations téléphoniques interceptées, dont la régularité n'a pas été contrôlée dans le cadre de l'instruction pénale dont elles sont issues, les présomptions déduites de ces conversations doivent être corroborées par d'autres éléments d'information décrits et analysés par lui ; qu'en se fondant exclusivement, pour autoriser les perquisitions sollicitées, sur des transcriptions de conversations téléphoniques interceptées dans le cadre d'une information pénale conclue par un non-lieu, qui n'étaient pas corroborées par d'autres éléments d'information soumis à son analyse, le président du tribunal de grande instance n'a pas satisfait aux exigences de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé les perquisitions et saisies sollicitées, et a mandaté et ordonné à tous huissiers de justice, aux procureurs généraux, aux procureurs de la République, à tous commandants et officiers de la force publique de mettre cette ordonnance à exécution ou d'y concourir ;
1 ) "alors qu'en désignant les agents habilités à effectuer les visites et saisies autorisées, ainsi que les officiers de police judiciaire nommés afin d'y assister et tenir le magistrat informé de leur déroulement, tout en requérant, par l'apposition de la formule exécutoire, tous huissiers de justice, procureurs et officiers de la force publique pour exécuter l'ordonnance, le président du tribunal de grande instance de Lisieux s'est contredit, et a ainsi violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) "alors que seuls les fonctionnaires habilités désignés par l'ordonnance du président du tribunal de grande instance peuvent procéder aux visites et saisies, et seuls les officiers de police judiciaire nommément désignés par le juge peuvent y assister et tenir le magistrat informé de leur déroulement ;
qu'en requérant, par l'apposition de la formule exécutoire, tous huissiers de justice, procureurs et officiers de la force publique en vue d'exécuter ou de concourir à l'exécution de la décision, le président du tribunal de grande instance de Lisieux a violé l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, ensemble les articles 502 et 503 du nouveau Code de procédure civile" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'ordonnance attaquée mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer qu'elle n'encourt pas les griefs allégués ;
Que, d'une part, il n'est pas démontré que l'absence d'information du juge sur le dépôt, par l'Administration, de requêtes dans d'autres juridictions était de nature à remettre en cause l'appréciation du juge sur les éléments retenus à titre de présomptions de fraude fiscale ;
Que, d'autre part, l'ordonnance mentionne que toutes les pièces produites à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées pour sa motivation ; que toute contestation sur ce point relève du contentieux dont peuvent être saisies les juridictions éventuellement appelées à statuer sur les résultats de la mesure autorisée ;
Qu'enfin, il n'importe qu'ait été surabondamment apposée sur l'ordonnance, et signée du seul greffier en chef, la formule exécutoire prévue par les articles 502 et 503 du nouveau Code de procédure civile, lesquels ne sont pas applicables aux ordonnances rendues sur le fondement de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être admis ;
Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Samuel conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;