AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. X... Naveed Y..., demeurant 21, place Charras, 92400 Courbevoie,
en cassation d'un arrêt rendu le 11 février 1999 par la cour d'appel de Paris (22e chambre, section C), au profit :
1 / de la société Habib Bank Limited, société anonyme, dont le siège est Bunder Road, Karachi, (Pakistan),
2 / de la société Habib Bank Limited Paris, société anonyme, dont le siège est ...,
3 / de l'ASSEDIC de Courbevoie, dont le siège est ...,
défenderesses à la cassation ;
La société Habib bank limited a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 10 mai 2001, où étaient présents : M. Merlin, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Finance, conseiller rapporteur, M. Brissier, conseiller, M. Soury, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Molle de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Finance, conseiller, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. Y..., de Me Foussard, avocat de la société Habib Bank Limited, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y..., cadre bancaire de la société Habib bank limited, société de droit pakistanais, a été détaché d'abord au Royaume Uni puis à Paris ; qu'un contrat de travail a ainsi été conclu entre M. Y... et l'agence de Paris de la société Habib bank limited ; que faisant valoir qu'il avait été irrégulièrement licencié le 28 décembre 1995, il a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le salarié à l'encontre du pourvoi incident de l'employeur :
Vu l'article 621 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu, selon ce texte, qu'une même personne, agissant en la même qualité, ne peut former qu'un seul pourvoi en cassation contre la même décision ;
Attendu que la société Habib bank limited, qui a formé un pourvoi principal en cassation de la décision attaquée dont le désistement a été constaté par ordonnance du 19 juillet 1999, n'est pas recevable à présenter, en la même qualité, un nouveau recours en cassation par la voie d'un pourvoi incident sur le pourvoi principal du salarié contre la même décision ;
Sur le pourvoi principal de salarié :
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'avoir donné acte à la société Habib bank limited dont le siège est à Karachi de son intervention volontaire aux lieu et place de la société Habib bank limited à Paris, mis à sa charge des sommes allouées à titre de rappel de salaires et indemnités de congés payés, de primes, d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, considéré que le licenciement avait été notifié à M. Y... par lettre du 28 décembre 1995, fixé à cette date la rupture du contrat et débouté en conséquence le salarié de sa demande en résiliation du contrat à la date de l'arrêt à intervenir et en paiement des rémunérations jusqu'à cette date alors, selon le moyen,
1 / qu'en affirmant que la société Habib bank limited Paris n'était qu'une succursale de la société Habib bank limited Karachi et en ajoutant qu'elle n'avait aucune autonomie ni personnalité morale sans préciser les éléments sur lesquels elle s'était fondée pour procéder à ces affirmations, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que M. Y... affirmait n'avoir jamais été licencié par Habib bank limited Paris et demandait donc la résiliation du contrat de travail à la date de son prononcé c'est-à-dire de l'arrêt à intervenir ; que la cour d'appel qui a dit le contrat avec la société pakistanaise rompu par une lettre de l'agence française de la société Habib bank limited et que cette lettre émanait de l'employeur sans préciser à quel titre cette agence engageait la société pakistanaise, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 du Code civil et L. 121-10 du Code du travail ;
3 / que surtout, en affirmant que la rupture avait été prononcée par lettre du 28 décembre 1995 de l'agence française de la société Habib bank limited, la cour d'appel a dénaturé ladite lettre en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que c'est dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis et dont elle n'était pas tenue d'énoncer le contenu, que la cour d'appel a retenu que l'agence de Paris de la société Habib bank limited n'était qu'une succursale, ne disposant d'aucune autonomie ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a relevé que M. Y... qui était lié à la société Habib bank limited de Karachi et détaché à son agence de Paris, avait été licencié par lettre de l'employeur du 28 décembre 1995, n'encourt pas les griefs des deux dernières branches du moyen ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la société Habib bank limited à lui payer une somme à titre de rappel de salaires, sous déduction de 200 000 francs versés par provision alors, selon le moyen,
1 / que M. Y... soutenait dans ses conclusions d'appel que les attestations ASSEDIC et les feuilles de paie établies par la société Habib bank limited à la suite du jugement du conseil de prud'hommes étaient erronées dans la mesure où elles incluaient dans le salaire brut de 26 113,50 francs des indemnités de transport et "allowances" qui constituaient des primes complémentaires et qu'en outre il n'avait reçu que la somme de 235 021,50 francs dans le cadre seulement de l'exécution provisoire de droit ; que la cour d'appel qui sans prendre ces conclusions en considération, s'est fondée sur lesdits bulletins de paie pour retenir les sommes versées à titre de salaire et calculer ce qui restait dû, a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que la cour d'appel, qui, dans ses motifs, a dit qu'il serait alloué à M. Y... 700 626,10 francs déduction faite de la provision de 200 000 francs fixée par le juge des référés mais qui, dans son dispositif, a dit que la somme allouée de 700 626,10 francs serait versée sous déduction de la somme de 200 000 francs, a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, sous couvert du grief non fondé de défaut de base légale, la première branche du moyen ne tend qu'à remettre en discussion les éléments de preuve souverainement appréciés par les juges du fond ;
Et attendu que la contradiction dénoncée entre le dispositif et les motifs de l'arrêt résulte d'une erreur matérielle qui peut, selon l'article 462 du nouveau Code de procédure civile, être réparée par la Cour de Cassation à laquelle est déféré cet arrêt, dont la rectification sera ci-après ordonnée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article L. 122-9 du Code du travail et les articles 48 et 58 de la Convention collective nationale du travail du personnel des banques ;
Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des deux derniers textes que lorsque le salarié est licencié en raison d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle, ou en raison d'une suppression d'emploi, il a droit à l'indemnité de licenciement prévue par l'article 58 ;
Attendu que pour débouter M. Y... de sa demande en paiement d'une indemnité de licenciement calculée conformément à l'article 58 de la Convention collective, la cour d'appel retient que la lettre de licenciement du 28 décembre 1995 fait allusion à des charges existantes contre M. Y..., sans les expliciter ; que l'employeur n'a donc pas satisfait à l'obligation de l'article L. 122-14-2 du Code du travail ; que la Convention collective ne prévoit une indemnité conventionnelle de licenciement qu'en cas d'insuffisance de résultat ou de suppression d'emploi, ce qui ne correspond pas à la cause de licenciement de M. Y... ;
Attendu, cependant, que lorsque la lettre de licenciement n'est pas motivée, l'employeur ne peut, par sa carence, priver le salarié des droits qu'il tient de la Convention collective ; qu'il ne peut en particulier soutenir que le licenciement n'est pas fondé sur l'une des causes limitativement énumérées par l'article 48 ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
DECLARE le pourvoi incident de la société Habib bank limited IRRECEVABLE ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande fondée sur les articles 48 et 58 de la Convention collective des banques, l'arrêt rendu le 11 février 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Dit que le dispositif de l'arrêt attaqué sera ainsi rectifié :
"condamne la société Habib bank limited à payer à M. Y..., à titre de rappel de salaires, 700 626,10 francs déduction faite de la provision de 200 000 francs" ;
Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. Y... et la société Habib bank limited ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille un.