AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par le Directeur général des Impôts, domicilié ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, dont le siège est ...,
en cassation d'un jugement rendu le 18 février 1997 par le tribunal de grande instance de Paris (2e chambre, 1re section), au profit de la société Coates Lorilleux, dont le siège est 16, place de la République, 92800 Puteaux,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 25 avril 2001, où étaient présents : M. Leclercq, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Huglo, conseiller référendaire rapporteur, M. Métivet, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Huglo, conseiller référendaire, les observations de Me Thouin-Palat, avocat du Directeur général des Impôts, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon le jugement déféré, que la société Coates Lorilleux (la société) a procédé à la fusion par absorption de la société Coates France par acte du 26 décembre 1988 ; qu'elle a acquitté à ce titre des droits d'enregistrement au taux de 1,20 % sur le fondement de l'article 816-I-2 du Code général des impôts, alors en vigueur ; que, le 13 février 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a déclaré l'article 816-1-2 du Code général des impôts incompatible avec la directive n° 69/335/CE du Conseil, du 17 juillet 1969, modifiée, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (arrêt société Bautiaa) ; que, par réclamation du 14 octobre 1994, la société avait sollicité la restitution des droits d'enregistrement acquittés pour la fusion du 26 décembre 1988 ; qu'après le rejet de sa réclamation, elle a assigné le directeur des services fiscaux de Paris-Ouest devant le tribunal de grande instance ; que l'administration fiscale a opposé l'expiration du délai de réclamation institué à l'article R. 196-1 b) du Livre des procédures fiscales ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 249 du Traité instituant la Communauté européenne, les articles L. 190, alinéa 1er, et R. 196-1 b) du Livre des procédures fiscales ;
Attendu que, pour rejeter l'exception soulevée par l'administration fiscale, le tribunal retient que, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (Emmott, 25 juillet 1991), le droit communautaire s'oppose à ce que les autorités d'un Etat membre invoquent les règles de procédure nationales relatives aux délais de recours dans le cadre d'une action engagée à leur encontre devant les juridictions nationales tant que la directive communautaire n'est pas correctement transposée en droit national et qu'en l'espèce, la directive du 17 juillet 1969 modifiée du Conseil des Communautés européennes n'a été transposée que par la loi du 30 décembre 1993, le délai de réclamation ne court qu'à compter de l'entrée en vigueur de cette loi ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, dans son arrêt du 2 décembre 1997 (Fantask), la Cour de justice des Communautés européennes a décidé que le droit communautaire n'interdit pas à un Etat membre, qui n'a pas transposé correctement la directive 69/335 modifiée, d'opposer aux actions en remboursement de droits perçus en violation de cette directive un délai de prescription national qui court à compter de la date d'exigibilité des droits en cause, dès lors qu'un tel délai n'est pas moins favorable pour les recours fondés sur le droit communautaire que pour les recours fondés sur le droit interne et qu'il ne rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire et a jugé dans la même décision que des délais raisonnables de recours à peine de forclusion ne sauraient être considérés comme étant de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire même si, par définition, l'écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l'action intentée ; qu'il en résulte que l'article R. 196-1 b) du Livre des procédures fiscales, d'application générale, est compatible avec les exigences de ce droit et pouvait être opposé par l'administration fiscale à la demande de restitution de la société ; qu'ayant constaté que la réclamation avait été présentée le 10 avril 1994, soit postérieurement au 31 décembre de la deuxième année suivant celle du versement de l'impôt contesté, le Tribunal a méconnu la portée des textes susvisés ;
Et sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu l'article R. 196-1 c) du Livre des procédures fiscales ;
Attendu que, pour rejeter l'exception soulevée par l'administration fiscale, le jugement retient encore que la transposition de la directive du Conseil des Communautés européennes précitée par la loi du 30 décembre 1994 ayant abrogé les droits d'enregistrement litigieux constitue un événement qui motive la réclamation au sens de l'article R. 196-1 c) du Livre des procédures fiscales ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'abrogation par le législateur d'impôts dont la compatibilité avec le droit communautaire était, lors de cette abrogation, contestée ne constitue pas un événement au sens de l'article R. 196-1 c) du Livre des procédures fiscales ouvrant un nouveau délai de réclamation, le Tribunal a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'en application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, la Cour de Cassation peut mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 18 février 1997, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DECLARE la réclamation de la société Coates Lorilleux irrecevable ;
La condamne aux entiers dépens y compris ceux exposés devant les juges du fond ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en son audience publique du six juin deux mille un.