AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les pourvois n° B 00-43.034, C 00-43.035, D 00-43.036 formés par la société Caisse d'épargne et de prévoyance Côte d'Azur (CEP), ayant pour nom commercial Caisse d'épargne Côte d'Azur, dont le siège est ...,
en cassation de trois ordonnances de référé rendues le 8 mars 2000 par le conseil de prud'hommes de Toulon, au profit :
1 / de M. Marc Y..., demeurant ...,
2 / de M. X... Taieb, demeurant Villa Les Restanques, Lot. ...,
3 / de M. Louis Z..., demeurant Clos les Lilas, ...,
defendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 28 février 2001, où étaient présents : M. Merlin, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président et rapporteur, M. Brissier, Mme Lemoine Jeanjean, conseillers, M. Soury, conseiller référendaire, M. Duplat, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Merlin, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la Caisse d'épargne et de prévoyance Côte d'Azur, les conclusions de M. Duplat, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois nos B 00-43034, C 00-43.035 et D 00-43.036 ;
Attendu que la Caisse d'épargne Côte-d'Azur, par décision du 12 juin 1992, a défini les modalités de remboursement des frais de déplacement de son personnel ; qu'elle a dénoncé cet engagement le 17 décembre 1998 et que par décision du 29 juin 1999 elle a mis en place, avec effet au 1er juillet 1999, un nouveau régime d'indemnisation ;
que le juge des référés du tribunal de grande instance, par ordonnance du 17 septembre 1999, a suspendu l'application de la décision de la Caisse d'épargne du 29 juin 1999 en se fondant sur l'article 77 du statut du personnel stipulant que les frais de déplacement lorsqu'ils sont remboursés sur des bases forfaitaires doivent être établis en accord avec le personnel ; que le 4 mars 2000 un accord collectif a été conclu avec un seul syndicat déterminant de nouvelles modalités d'indemnisation et prévoyant qu'il serait applicable rétroactivement à compter du 1er juillet 1999 en ce qui concerne l'indemnisation des frais kilométriques en cas d'utilisation d'un véhicule personnel ; que MM. Y..., Taïeb et Z..., employés à la Caisse d'épargne Côte-d'Azur, en invoquant les modalités d'indemnisation des frais de déplacement prévues par l'engagement unilatéral de l'employeur du 12 juin 1992, ont saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale en réclamant, pour la période du 1er juillet 1999 au 31 janvier 2000, le paiement d'une provision au titre de l'indemnisation kilométrique de leurs frais de déplacement résultant de l'utilisation de leur véhicule personnel ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la Caisse d'épargne fait grief aux ordonnances attaquées (conseil de prud'hommes de Toulon, 8 mars 2000) de l'avoir condamnée à payer aux salariés des indemnités au titre des frais de déplacement, alors, selon le moyen :
1 ) que prive leur décision de toute base légale au regard des articles L. 132-8 du Code du travail et 1134 du Code civil, les décisions attaquées qui, pour apprécier la validité de la dénonciation par la Caisse d'épargne de l'engagement unilatéral du 12 juin 1992, retiennent que cette dénonciation serait intervenue au cours de la réunion du comité d'entreprise du 17 décembre 1998, bien que le procès-verbal de cette réunion ait constaté que le représentant de la direction avait seulement déclaré que "la direction...souhaite revenir sur ce dispositif", dénaturant ainsi les termes clairs et précis du procès-verbal ;
2 ) que prive leur décision de toute base légale au regard des articles L. 132-8 du Code du travail et 1134 du Code civil, les décisions attaquées qui retiennent que la dénonciation de l'engagement unilatéral litigieux du 12 juin 1992 n'avait pas été réalisée auprès du personnel que par voie d'une information collective, faute d'avoir tenu compte du fait que par des courriers adressés à chacun des membres du personnel concerné, en date des 9 et 11 février 1999, et notamment aux adversaires, (pièces régulièrement produites aux débats), la Caisse d'épargne avait écrit "le directoire a décidé de dénoncer le dispositif actuel et l'usage qui en a découlé" ;
Mais attendu, d'abord, que la Caisse d'épargne, ainsi que cela résulte de ses écritures et des énonciations des ordonnances s'est prévalue de la dénonciation qu'elle avait faite, le 17 décembre 1998, de l'engagement unilatéral du 12 juin 1992 ;
Attendu, ensuite, qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure ni des mentions des ordonnances que les courriers en date des 9 et 11 février 1999 aient été produits lors des débats devant la formation de référé ; que dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la formation de référé a constaté que la Caisse d'épargne n'avait pas justifié devant elle d'une dénonciation régulière aux salariés pris individuellement de l'engagement unilatéral du 12 juin 1992 ;
D'où il suit que le moyen qui, dans sa première branche, est irrecevable car il contredit l'argumentation soutenue devant la formation de référé, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la Caisse fait encore grief aux ordonnances d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen que :
1 ) contrairement aux énonciations de la décision attaquée, il résultait des pièces régulièrement produites aux débats que l'accord collectif conclu le 4 mars 2000 avait fait l'objet d'une notification auprès de toutes les organisations syndicales par courriers recommandés avec accusé de réception du 8 mars 2000, et d'un dépôt auprès du greffe du conseil de prud'hommes de Nice par courrier recommandé avec accusé de réception du 8 mars 2000 et auprès de la direction départementale du travail et de l'emploi et de la formation professionnelle par courrier recommandé du 7 mars 2000, de sorte que, en décidant que ces formalités n'avaient pas été remplies, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 132-10 du Code du travail ;
2 ) l'article L. 132-10 du Code du travail ne prévoyant pas que le personnel de l'entreprise doive être informé de la signature d'un accord collectif autrement que par son dépôt auprès des services du ministère chargé du travail et du secrétariat greffe du conseil de prud'hommes, et l'employeur ayant établi par des pièces régulièrement produites aux débats que ledit accord avait non seulement fait l'objet d'une dénonciation auprès de toutes les organisations syndicales par courriers recommandés avec accusé de réception du 8 mars 2000 et auprès de la direction départementale du travail et de l'emploi et de la formation professionnelle par courrier recommandé du 7 mars 2000, ne justifie pas légalement sa décision au regard du texte susvisé la décision attaquée qui refuse de donner effet à l'accord collectif du 4 mars 2000 au motif inopérant qu'il n'aurait pas fait l'objet de publicité auprès du personnel ;
3 ) l'accord collectif du 4 mars 2000 ne dérogeant pas à des dispositions légales, réglementaires ou salariales au sens de l'article L. 132-26 du Code du travail, viole ce texte et l'article L. 132-10 du même Code la décision attaquée qui considère que cet accord ne pouvait être déposé (auprès des services du ministère du travail et du secrétariat greffe du conseil de prud'hommes) qu'après un délai de huit jours à dater de sa conclusion ;
4 ) l'accord collectif du 4 mars 2000 ayant expressément prévu son application rétroactive à compter du 1er juillet 1999, viole les articles L. 131-1 et suivants et notamment les articles L. 132-10 du Code du
travail et 1134 du Code civil la décision attaquée qui considère que le dépôt de cet accord auprès des services du ministère chargé du travail et du secrétariat greffe du conseil de prud'hommes était un préalable à son application et refuse de donner effet à cet accord collectif avant le dépôt intervenu ;
Mais attendu qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure et des mentions des ordonnances que les pièces justifiant de l'accomplissement des formalités de dépôt prévues à l'article L. 132-10 du Code du travail aient été produites lors des débats devant la formation de référé ; que dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la formation de référé qui a constaté qu'il n'était pas justifié du dépôt auprès des services du Ministère chargé du travail et du greffe du conseil de prud'hommes de l'accord du 4 mars 2000 a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la Caisse d'épargne fait enfin grief aux ordonnances d'avoir statué comme elles l'ont fait alors, selon le moyen, que viole l'article R. 516-31 du code du travail les ordonnances attaquées qui prononcent à l'encontre de la caisse d'épargne une condamnation définitive et non pas provisoire sur la considération de surcroît de l'existence d'un trouble simplement illicite et non manifestement illicite ;
Mais attendu que les ordonnances de référé ne peuvent avoir qu'un caractère provisoire et que la formation de référé peut accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que la créance des salariés sur le fondement de l'engagement unilatéral de l'employeur du 12 juin 1992 n'étant pas contestée, la formation de référé en retenant que les salariés pouvaient se prévaloir de cet engagement a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la Caisse d'épargne et de prévoyance Côte d'Azur aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille un.