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13/03/2001 | FRANCE | N°00-82581

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 mars 2001, 00-82581


CASSATION PARTIELLE sans renvoi sur les pourvois formés par :
- X... Alain,
- Y... Alain,
- la société Seges Frigecreme, civilement responsable,
- la société ARP, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 10 mars 2000, qui, dans la procédure suivie contre les deux premiers pour infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires ampliatifs, le mémoire personnel en défe

nse et le mémoire en réplique produits ;
I. Sur la recevabilité du mémoire en défense cont...

CASSATION PARTIELLE sans renvoi sur les pourvois formés par :
- X... Alain,
- Y... Alain,
- la société Seges Frigecreme, civilement responsable,
- la société ARP, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 10 mars 2000, qui, dans la procédure suivie contre les deux premiers pour infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires ampliatifs, le mémoire personnel en défense et le mémoire en réplique produits ;
I. Sur la recevabilité du mémoire en défense contestée par le mémoire en réplique ;
Attendu que ce mémoire, produit sans le ministère d'un avocat à la Cour de Cassation, est irrecevable ;
II. Sur les pourvois :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que des locaux appartenant à la société Seges Frigécrème ont été détruits par un incendie, après que le feu eut pris dans une pièce où deux salariés de la société ARP avaient découpé des plaques métalliques à l'aide d'un chalumeau ; qu'à la suite de ces faits, Alain Y..., directeur de production au sein de la société Seges Frigécrème et Alain X..., gérant de la société ARP, ont été poursuivis du chef d'infractions aux dispositions des articles R. 237-7 et R. 237-8 du Code du travail, pour n'avoir pas procédé en commun à une analyse des risques et pour n'avoir pas établi un plan de prévention ; que 179 salariés de la société Seges Frigécrème ainsi que l'établissement public départemental des services d'incendie et de secours de Loire-Atlantique se sont constitués parties civiles ; que, par jugement définitif sur l'action publique, le tribunal a déclaré les prévenus coupables des chefs précités ;
En cet état ;
Sur le second moyen de cassation proposé pour Alain X... et la société ARP et pris de la violation des articles 26-1 de la loi du 19 juillet 1976, 2 et 591 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Alain X... à verser solidairement 713 606,03 francs à l'EPD des services d'incendie et de secours de Loire-Atlantique ;
" aux motifs adoptés que "l'article 26-1 de la loi précitée disposant lorsque les personnes morales de droit public interviennent matériellement et financièrement pour atténuer les dommages résultant d'un incident ou d'un accident causé par une installation mentionnée à l'article 2 (installation classée) ou pour éviter l'aggravation de ces dommages, elles ont droit au remboursement, par les personnes responsables de l'incident ou de l'accident, des frais qu'elles ont engagés sans préjudice de l'indemnisation des autres dommages subis ; à ce titre, elles peuvent se constituer partie civile devant les juridictions pénales saisies de poursuites consécutives à l'incident ou à l'accident, l'intervention des services départementaux de lutte contre l'incendie s'étant faite sur le site d'un établissement classé, et ayant eu pour but d'éviter l'aggravation des dommages que le sinistre n'aurait pas manqué d'entraîner tant pour l'entreprise que pour l'environnement extérieur, il convient de déclarer recevable la constitution de partie civile de l'établissement public départemental des services d'incendie de Loire-Atlantique par application des dispositions de l'article 26-1 de la loi du 19 juillet 1976" ;
" alors que l'article 26-1 de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées prévoit que les personnes morales de droit public ont droit au remboursement des dépenses qu'elles ont exposées "pour atténuer les dommages résultant d'un incident ou d'un accident causé par une installation classée" ; que selon ses termes, ce texte ne s'applique pas lorsque l'incident ou l'accident n'a pas été causé "par" l'installation classée, mais par des ouvriers extérieurs et étrangers à celle-ci y ayant mis le feu dans le cadre des travaux de droit commun auxquels ils procédaient (mise à feu par chalumeau) " ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de l'établissement public départemental des services d'incendie et de secours de Loire-Atlantique, la cour d'appel retient que cet établissement était intervenu pour atténuer les dommages que l'incendie pouvait causer à des locaux constituant une installation classée et à leur environnement immédiat, ou pour éviter l'aggravation de ces dommages ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 26-1 de la loi du 19 juillet 1976, dont les dispositions sont reprises à l'article L. 154-16 du Code de l'environnement issu de l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Mais sur le moyen unique de cassation proposé pour Alain Y... et la société Frigécrème et pris de la violation des articles L 236-1 et suivants, R. 237-7 et R. 237-8 du Code du travail, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, violation de la loi :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré les 179 ex-salariés de la société Seges Frigécrème recevables en leurs constitutions de parties civiles fondées sur le délit d'infraction aux dispositions du Code du travail relatives à l'hygiène et à la sécurité des travailleurs, a condamné solidairement Alain Y... et Alain X... à payer à chacun d'eux la somme de 15 000 francs à titre de dommages et intérêts et a déclaré la société Seges Frigécrème civilement responsable d'Alain Y... ;
" aux motifs que sur les demandes des 179 salariés de la Seges appelants, qu'en application de l'article 2 du Code de procédure pénale, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; "(...) qu'en l'espèce l'infraction d'absence d'analyse des risques, dont Alain Y... et Alain X... ont été reconnus coupables et qui a consisté pour ces derniers à ne pas prendre de précautions suffisantes pour que les travaux de découpe au chalumeau n'enflamment pas le polystyrène se trouvant derrière les cloisons métalliques près desquelles travaillaient les ouvriers sur leurs instructions, a été directement la cause de l'incendie qui a détruit les locaux de la société Seges dans lesquels étaient employés les salariés appelants ; qu'ainsi le préjudice moral que ces derniers ont subi en raison de la disparition soudaine et dangereuse de leur outil et lieu de travail, de la rupture de leurs relations humaines et professionnelles, de la perte d'une partie de leur cadre habituel de vie, de la crainte du lendemain et du bouleversement de leur vie personnelle est en relation directe de causalité avec cette infraction ; qu'en conséquence, il convient de réformer de ce chef le jugement entrepris et de condamner solidairement Alain Y... et Alain X... à payer à chacun des 179 ex-salariés appelants la somme de 15 000 francs à laquelle la Cour évalue la réparation de leur préjudice (...)" ;
" alors, d'une part, que conformément aux dispositions de l'article 2 du Code de procédure pénale l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction, de sorte qu'en déclarant recevables les constitutions de partie civile de 179 ex-salariés de la société Seges Frigécrème relativement à l'omission par Alain Y... et Alain X... de procéder à une analyse des risques telle que requise par les articles R. 237-7 et R. 237-8 du Code du travail alors que lesdits salariés ne pouvaient se prévaloir d'un préjudice personnel et direct consécutif à la violation des dites règles de sécurité dont la protection est assurée par le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail conformément aux dispositions des articles L. 236-2 et suivants du Code du travail, la cour d'appel a violé les articles précités ;
" alors, d'autre part, que pour déclarer recevable la constitution de partie civile d'une personne qui prétend avoir subi un dommage matériel, corporel ou moral du fait d'une infraction, les juges du fond sont tenus de caractériser l'existence de ce préjudice relativement à son caractère personnel et direct conformément aux dispositions des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale, si bien, qu'en énonçant, pour déclarer recevable la constitution de partie civile des 179 ex-salariés de la société Seges Frigécrème, que ces derniers avaient subi un préjudice moral résultant de la disparition de leur outil et lieu de travail, de la rupture de leurs relations humaines et professionnelles, de la perte d'une partie de leur cadre habituel de vie, de la crainte du lendemain et du bouleversement de leur vie et donc en relevant l'existence d'un préjudice moral consécutif à la perte par les salariés de leur emploi sans caractériser l'existence d'un préjudice personnel et direct découlant de l'omission de procéder à une analyse des risques, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision " ;
Et sur le premier moyen de cassation proposé pour Alain X... et la société ARP et pris de la violation des articles 2 et 571 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Alain X... à payer solidairement à 179 anciens salariés de la société Seges Frigécrème la somme de 15 000 francs de dommages et intérêts, sous la responsabilité civile de la société ARP ;
" aux motifs que l'infraction d'absence d'analyse des risques, dont Alain Y... et Alain X... ont été reconnus coupables et qui a consisté pour ces derniers à ne pas prendre de précautions suffisantes pour que les travaux de découpe au chalumeau n'enflamment pas le polystyrène se trouvant derrière les cloisons métalliques près desquelles travaillaient les ouvriers sur leurs instructions, a été directement la cause de l'incendie qui a détruit les locaux de la société Seges Frigécrème dans lesquels étaient employés les salariés appelants ; qu'ainsi le préjudice moral que ces derniers ont subi en raison de la disparition soudaine et dangereuse de leur outil et lieu de travail, de la rupture de leurs relations humaines et professionnelles, de la perte d'une partie de leur cadre habituel de vie, de la crainte du lendemain et du bouleversement de leur vie personnelle est en relation directe de causalité avec cette infraction ; qu'en conséquence, il convient de réformer de ce chef le jugement entrepris et de condamner solidairement Alain Y... et Alain X... à payer à chacun des 179 ex-salariés appelants la somme de 15 000 francs à laquelle la Cour évalue la réparation de leur préjudice ;
" alors que l'action civile appartient à ceux qui ont subi un préjudice directement causé par l'infraction ; que l'infraction d'absence d'analyse des risques dont Alain X... a été jugé coupable n'a pas directement causé la disparition de l'outil de travail des anciens salariés, la rupture des relations humaines et professionnelles, la perte d'une partie de leur cadre de vie, la crainte du lendemain dont ils se plaignent " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ces textes, le droit d'exercer l'action civile devant la juridiction pénale n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ;
Attendu que, pour déclarer recevable la constitution de partie civile des 179 salariés de la société Seges Frigécrème et leur allouer des dommages et intérêts, la cour d'appel énonce que l'infraction d'absence d'analyse des risques retenue à l'encontre des prévenus a été directement la cause de l'incendie qui a détruit les locaux de la société précitée ; que les juges en déduisent que les salariés de cette société ont subi un préjudice moral directement causé par cette infraction " en raison de la disparition soudaine et dangereuse de leur outil de travail, de la rupture de leurs relations humaines et professionnelles, de la perte d'une partie de leur cadre habituel de vie, de la crainte du lendemain et du bouleversement de leur vie personnelle " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les infractions à la réglementation du travail, objet de la poursuite, n'étaient pas la cause directe du préjudice invoqué par les salariés, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer la règle de droit appropriée comme l'y autorise l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes en date du 10 mars 2000, mais uniquement en ses dispositions prononçant sur les demandes des salariés de la société Seges Frigécrème, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DECLARE irrecevables les constitutions de partie civile des salariés ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 00-82581
Date de la décision : 13/03/2001
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° ACTION CIVILE - Recevabilité - Personne morale - Personne morale de droit public - Etablissement public intervenant pour atténuer ou éviter l'aggravation des dommages causés à une installation classée - Article L - du Code de l'environnement - Application.

1° PROTECTION DE LA NATURE ET DE L'ENVIRONNEMENT - Installations classées - Loi du 19 juillet 1976 - Personne morale de droit public intervenant pour atténuer ou éviter l'aggravation des dommages causés à une installation classée - Action civile - Recevabilité.

1° Selon l'article L. 514-16 du Code de l'environnement, les personnes morales de droit public intervenant pour atténuer les dommages causés par une installation classée ou pour éviter l'aggravation de ces dommages peuvent se constituer partie civile devant les juridictions pénales saisies de poursuites consécutives à l'incident ou à l'accident à l'origine du dommage. Fait l'exacte application de ce texte, la cour d'appel qui, dans des poursuites pour infraction à la réglementation du travail, admet la recevabilité de l'action civile d'un établissement public départemental des services d'incendie et de secours qui était intervenu pour atténuer ou éviter l'aggravation des dommages que l'incendie consécutif à l'infraction précitée avait causé à une installation classée et était susceptible de causer à son environnement immédiat.

2° ACTION CIVILE - Recevabilité - Salarié de l'entreprise - Infraction à la réglementation relative à l'hygiène et à la sécurité du travail - Préjudice personnel et direct - Nécessité.

2° TRAVAIL - Hygiène et sécurité des travailleurs - Réglementation - Infraction - Action civile - Salarié de l'entreprise - Préjudice personnel et direct - Nécessité.

2° Selon les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale, le droit d'exercer l'action civile devant la juridiction pénale n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. Méconnaît ces dispositions, la cour d'appel qui, dans des poursuites engagées sur le fondement des articles R. 237-7 et R. 237-8 du Code du travail du chef d'absence d'analyse des risques, admet la recevabilité de l'action civile des salariés au motif que cette infraction a été directement la cause de l'incendie ayant détruit les locaux où ils étaient employés, alors qu'elle n'était pas la cause directe du préjudice invoqué par eux, lié à la perte de leur emploi(1).


Références :

1° :
2° :
Code de l'environnement L514-16
Code de procédure pénale 2, 3
Code du travail R237-7, R237-8

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 10 mars 2000

CONFER : (2°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1981-12-03, Bulletin criminel 1981, n° 323, p. 849 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1982-11-23, Bulletin criminel 1982, n° 264, p. 710 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 mar. 2001, pourvoi n°00-82581, Bull. crim. criminel 2001 N° 62 p. 211
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2001 N° 62 p. 211

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Cotte
Avocat général : Avocat général : M. Di Guardia.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Desportes.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Coutard et Mayer, la SCP Tiffreau, la SCP Peignot et Garreau.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2001:00.82581
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