AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt février deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller MISTRAL, les observations de Me BLONDEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Louis,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 26 avril 2000, qui, pour infractions au fonctionnement des ouvrages construits dans le lit des cours d'eau, l'a condamné à 20 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 232-5, L. 232-8, L. 238-7, L. 223-6, ensemble violation des articles L. 237-1, L. 237-2, L. 237-4, L. 237-5 du Code rural, méconnaissance des exigences des articles 429 et 593 du Code de procédure pénale, violation du décret n° 88-82 du 6 mai 1988 ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les exceptions de nullité soulevées et a déclaré Jean-Louis X... coupable, d'une part, d'exploitation d'ouvrage dans un cours d'eau douce sans maintien du débit minimal réglementaire et, d'autre part, d'alimentation insuffisante des dispositifs de dévalaison et de montaison d'une passe à poissons ;
"aux motifs propres que le prévenu, gérant de la société Hydroélectrique et Immobilière du Sud, soutient que le procès-verbal établi le 17 octobre 1997 est frappé de nullité pour deux motifs :
- n'avoir été signé que de trois des quatre gardes ayant procédé aux constatations et mesures le 10 avril 1997 ; que, précisément, le garde qui a utilisé le courantomètre qui a servi à l'établissement du procès-verbal, M. Z..., est celui qui n'a pas signé le procès-verbal ;
- manquement aux obligations résultant de l'article 26, alinéa 2, du décret du 6 mai 1988 relatif au contrôle des instruments de mesure, le courantomètre n'étant pas étalonné ;
"et aux motifs, cependant, s'agissant du premier motif, que c'est à juste titre que le tribunal a jugé que, même si M. Z... n'a pas signé le procès-verbal dont s'agit, celui-ci doit être considéré comme ayant concouru régulièrement à établir le procès-verbal en cause puisqu'il n'est contesté par personne qu'il a procédé au relevé des données fournies par le courantomètre, et alors que la preuve est libre en matière d'environnement, étant de plus observé qu'aucun texte n'impose à peine d'irrecevabilité la signature de tous les participants aux constatations matérielles cependant qu'au surplus, trois gardes ont signé le procès-verbal ;
"aux motifs encore, s'agissant du second motif de nullité invoqué, qu'il est constant que le courantomètre de marque FLO mate est certifié ISO 9001, que l'électronique ne possède aucun réglage qui puisse s'altérer suite à un choc, que chaque élément est calibré en usine sur banc hydraulique, qu'il s'agit d'un système de mesure par sonde électromagnétique, qu'il ne suscite aucun réétalonnage et ne fait l'objet d'aucune autorisation ni d'aucune réglementation préfectorale, si bien que le décret du 6 mai 1988 invoqué par le prévenu ne s'applique pas au courantomètre puisqu'il ne s'applique qu'aux instruments nécessitant une autorisation de mise en service préalable ;
"et aux motifs, à les supposer adoptés des premiers juges, que, parmi les quatre agents ayant effectué personnellement et conjointement les opérations ayant permis d'établir les infractions reprochées au prévenu, il n'est pas discuté que M. Z... a procédé au relevé des données fournies par le courantomètre ; qu'ainsi, même s'il ne l'a pas signé, il doit être considéré comme ayant concouru régulièrement à établir le procès-verbal en cause, en sorte que l'exception de nullité soulevée par le prévenu n'est pas fondée ;
"aux motifs encore, qu'aux termes de l'article L. 237-5 du Code rural, le procès-verbal rédigé par des gardes-pêche doit être adressé dans les trois jours au procureur de la République ainsi qu'au directeur départemental de l'agriculture, seule la date d'envoi de ce procès-verbal faisant foi ; qu'en l'espèce, ledit procès-verbal a été adressé aux autorités susvisées le 17 octobre 1997, soit dans le délai requis, en sorte que l'exception de nullité pour irrégularité soulevée par le prévenu est sans avenir et qu'enfin, aucun texte n'impose à des agents assermentés des modalités particulières pour procéder à leurs investigations ; qu'en l'espèce, les gardes ont utilisé un courantomètre qui est un appareil de haute précision fourni avec un certificat de calibration ne nécessitant aucun réétalonnage comme y serait soumis un cinémomètre par exemple, et qu'il se trouve particulièrement approprié aux opérations envisagées ; que celles-ci, à défaut de preuve du contraire, ont été menées correctement, le simple fait pour un garde de se trouver dans le courant mesuré n'impliquant nullement une modification dudit courant dont il est question de mesurer le volume réel et non la vitesse en surface, si bien que le dernier moyen de procédure n'est pas plus fondé que les précédents ;
"alors que, d'une part, lorsqu'il s'agit de contrôles extrêmement techniques, la personne habilitée qui procède auxdits contrôles - en l'occurrence M. Z..., qui était le seul à utiliser le courantomètre pour être lui-même dans l'eau et transmettre les résultats à ses collègues s'agissant des mesures effectuées - doit, à peine de nullité ou à tout le moins d'inopposabilité du procès-verbal, le signer personnellement ; qu'il est constant que M. Z... n'a pas signé le procès-verbal en cause servant d'assise aux poursuites, en sorte que n'a pu être attesté que les mesures ont été prises conformément aux directives prônées par le ministère de l'Environnement et le CEMAGREF telles qu'elles figurent au Guide pratique d'hydrométrie, comme le soulignait le prévenu devant la Cour (cf. p. 5 de ses conclusions) ; qu'en affirmant que M. Z... qui n'a pas signé le procès-verbal doit être considéré comme ayant concouru régulièrement à l'établir pour écarter le moyen de nullité et à tout le moins d'inopposabilité avancé, la Cour viole les textes et principes cités au moyen ;
"alors que, d'autre part, et en toute hypothèse, il était avancé dans les écritures d'appel (cf. p. 5) qu'il n'était pas anodin que M. Z... n'ait pas signé le procès-verbal qui devait cautionner la conformité des mesures par rapport aux directives prônées, cependant, qu'aucun document n'est donné dans le procès-verbal lui-même, qu'aucune indication n'est donnée sur le respect lors des mesures effectuées des directives devant être suivies en application de l'article L. 232-5 du Code rural par le Guide pratique d'hydrométrie, en sorte qu'ont été méconnues les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"et alors que, de troisième part, le courantomètre constitue un appareil de mesure soumis à des vérifications périodiques puisqu'il est utilisé pour des opérations de mesurage pouvant servir de base à des poursuites pénales ; qu'en jugeant le contraire à partir de motifs inopérants, la Cour viole les règles et principes qui s'évincent de l'article 26 du décret n° 88-682 du 26 décembre 1988" ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 232-5, L. 232-8 et L. 238-7 du Code rural, ensemble méconnaissance des exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que le prévenu a été déclaré coupable d'exploitation d'ouvrage dans un cours d'eau douce sans maintien du débit minimal réglementaire et d'exploitation d'ouvrage dans un cours d'eau douce empêchant la circulation des poissons migrateurs, le prévenu ayant été condamné à une amende de 20 000 francs et à des dommages et intérêts sur l'action civile ;
"aux motifs que le prévenu soutient que les mesures réalisées n'ont aucun caractère fiable du seul fait que le garde Renard qui utilisait le courantomètre se trouvait dans l'eau, muni de cuissardes, ce qui a organisé un bouillonnement au moment de la prise des mesures ; que, par ailleurs, les gardes n'ont pas respecté les prescriptions du Guide pratique d'hydrométrie, établi par le CEMAGREF, qu'il y a cumul, en l'espèce, d'erreurs systématiques et d'erreurs aléatoires par mauvais étalonnage de l'appareil, que l'on arrive à des constatations aberrantes et alarmantes s'agissant d'un déficit de plus de 2 m3 d'eau par seconde, que, selon un rapport établi par l'APAVE le 23 février 2000 à la demande de Jean-Louis X..., que la société SHIS est en conformité avec l'arrêté ; que, cependant, il ressort des éléments du dossier que les gardes du Conseil supérieur de la pêche ont procédé le 10 avril 1997 à des constatations tant visuelles que matérielles par courantomètre établissant que les normes imposées pour le débit d'eau minimum n'étaient pas respectées ce jour-là ; que l'usine hydroélectrique était en production et que la plus grande partie du débit du cours d'eau était turbinée ; qu'il a été également constaté une absence d'alimentation suffisante au niveau du dispositif de dévalaison et une absence d'entretien, puisque la glissière de dévalaison était encombrée d'un madrier et de divers branchages, les gardes ayant dû faire procéder au désencombrement de la glissière de dévalaison ; qu'il importe peu que le prévenu ait fait procéder à des vérifications par l'APAVE le 23 février 2000, soit deux ans et demi après les constatations des gardes ; que le prévenu ne démontre pas
que le courantomètre ne fonctionnait pas alors que la preuve lui incombe pour combattre efficacement les mesures relevées le 10 avril 1997, les procès-verbaux faisant preuve, selon l'article L. 237-4 du Code rural, des faits matériels relatifs aux infractions constatées s'ils ont été dressés et signés par deux fonctionnaires ou agents jusqu'à inscription de faux ; que le jour des constatations, il est constant que les infractions étaient constituées et que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions pénales, le tribunal ayant fait une juste application de la loi pénale ;
"et aux motifs, à les supposer adoptés des premiers juges, qu'un arrêté préfectoral du 31 août 1993 modifiant le règlement d'eau prescrit antérieurement par arrêtés préfectoraux des 16 octobre 1990, 4 mars 1991 et 5 novembre 1992, a instauré, compte tenu de la présence autorisée d'un batardeau pour augmenter le volume naturel d'eau, des seuils minima concernant le débit réservé (par non usinage) à respecter par la centrale hydroélectrique de Pardies exploitée par la société hydroélectronique et immobilière du Sud dirigée par le prévenu ; que, parmi les composantes de ce débit réservé (de 6,5m3/s), se trouvent l'alimentation de la passe à poisson pour une valeur de 3m3/s, l'attrait de la passe et la glissière de dévalaison de la rive gauche pour une valeur de 1m3/s ; la glissière de dévalaison de la rive droite pour une valeur de 1m3/s et le dispositif de dégravement - désensablement de la prise d'eau de la rive droite - pour une valeur de 1,5m3/s ; que les gardes-pêche ont relevé des seuils inférieurs aux minima imposés ; que leurs investigations démontrent l'utilisation d'une plus grande quantité d'eau que celle autorisée à l'usinage (turbinée ou détournée) ;
qu'ainsi, a été établie une valeur de 1,254m3/s pour la passe à poisson au lieu de 3m3/s ; qu'en outre, a été constaté un entretien négligé de ladite passe ainsi que des glissières de dévalaison ; que, contrairement à ce que fait soutenir le prévenu, il n'y avait pas lieu de vérifier les valeurs à l'aval du point de chute d'un canal latéral de dérivation, dès lors qu'il est démontré que, dans la passe à poisson, le débit était insuffisant le jour des constatations ; que la prévention est ainsi établie ;
"alors que, d'une part, dans ses conclusions d'appel, le prévenu insistait sur le fait que non seulement aucune mesure n'a été prise vers l'aval de la dévalaison, mais qui plus est, aucune mesure n'a été prise en amont ; or, le règlement d'eau prévoit que les 6,5m/s doivent être restitués sauf si le cours d'eau en amont est d'un débit plus faible, auquel cas c'est la totalité qui doit être restituée ;
qu'aucune mesure du volume d'eau en amont du barrage n'ayant été prise, on ne pouvait connaître le volume d'eau au 10 avril 1997 en amont (cf. p. 13 des conclusions) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen pertinent et central, de nature à avoir une incidence directe sur la solution du litige par rapport aux infractions reprochées, la Cour méconnaît ce qu'implique l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"et alors que, d'autre part, toujours dans ses conclusions d'appel, le prévenu insistait sur le fait que l'APAVE avait strictement suivi la réglementation et les directives qui étaient données par le ministère et que, si tel avait été le cas, les constatations du procès-verbal du 10 avril 1997, transmis le 17 octobre 1997, auraient été bien différentes ; qu'en n'examinant pas la question sous cet angle, la Cour méconnaît de plus fort les exigences d'une motivation pertinente par rapport aux écritures la saisissant" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 232-5, L. 232-6, L. 232-8, L. 238-7 du Code rural, violation de l'article 2 du Code de procédure pénale, de l'article 1382 du Code civil, ensemble du principe de la réparation intégrale, violation du principe de légalité, de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile, violation de l'article L. 238-9 du Code rural ;
"en ce que l'arrêt attaqué a reçu la Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la pêche et la Protection du Milieu Aquatique en sa constitution de partie civile et a condamné le prévenu à lui payer 10 000 francs à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs propres que la Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique demande, outre la confirmation du jugement, la condamnation de Jean-Louis X... au paiement d'une somme de 3 000 francs au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; que Jean-Louis X... soulève l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la Fédération ou à tout le moins le débouté au motif que celle-ci ne démontre aucun préjudice même symbolique, faute d'apporter la preuve de la mortalité d'un seul poisson et d'un seul vairon ; qu'à cet égard, le prévenu fait état d'un débit de prise d'eau qui se situe en amont du barrage et qui est reversé environ 150 mètres en aval du barrage, ce qui favorise le confort des poissons migrateurs qui bénéficient d'un surplus d'eau dans le bassin au pied du barrage ; qu'il est constant que la Fédération des Pyrénées-Atlantiques poursuit une mission d'intérêt général rappelée par l'article L. 230-1 du Code rural qui dispose que "la préservation des milieux aquatiques et la protection piscicole sont d'intérêt général" ; que l'article L. 238-9 du Code rural autorise la constitution de partie civile des Fédérations des associations agréées de pêche et de pisciculture qui sont ainsi fondées à réclamer réparation du préjudice subi par suite de l 'atteinte portée à leur mission d'intérêt général ainsi qu'aux intérêts collectifs qu'elles représentent ; que la Fédération des Pyrénées-Atlantiques ne prétend pas réclamer réparation d'un préjudice matériel lié à la mortalité des poissons mais qu'elle agit dans le cadre de son objet de défense du milieu aquatique et de la protection du patrimoine piscicole, en sorte que le jugement doit être confirmé ;
"et aux motifs des premiers juges que la Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique se porte partie civile et réclame 20 000 francs de dommages et intérêts, outre 3 000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; que cette constitution est recevable et justifiée à hauteur symbolique de 10 000 francs ;
"alors que, d'une part, la somme de 10 000 francs n'a rien de symbolique ; qu'en la qualifiant de telle, la Cour ne justifie pas légalement son arrêt au regard des textes et principes cités au moyen ;
"et alors que, d'autre part et en toute hypothèse, après avoir constaté l'absence de tout préjudice matériel, la Cour ne pouvait confirmer une condamnation au paiement d'une somme de 10 000 francs à titre de dommages et intérêts, sans préciser la nature du préjudice ainsi indemnisé" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, après avoir écarté à bon droit les exceptions de nullité invoquées, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les délits d'exploitation d'ouvrage dans le lit des cours d'eau sans respecter le débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces et sans assurer le fonctionnement et l'entretien des dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs dont elle a déclaré le prévenu coupable et ainsi justifié les dommages et intérêts alloués à la Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la pêche et la protection du milieu aquatique, laquelle tient de l'article L. 238-9 du Code rural le pouvoir d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constitutifs d'infraction à la préservation des milieux aquatiques et portant un préjudice, direct ou indirect, aux intérêts collectifs qu'elle a pour objet de défendre ;
D'où il suit que les moyens, qui remettent en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Mistral conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;