AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le six février deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA ET MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général FROMONT ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- H... Sandrine,
- B... Dominique,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de DIJON, en date du 14 novembre 2000, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'abus de confiance aggravés, escroqueries aggravées, faux et usage, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle en date du 15 décembre 2000, joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour chacun des deux demandeurs, pris de la violation des articles 103, 151, 152, 174, 591, 593 et 802 du Code de procédure pénale, 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, des principes fondamentaux de la procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler les procès-verbaux d'audition de M. et Mme M... (cote D 241), Mme Louise Z... (cote D 242), Ramon X... (cote D 244), Raymonde A... (cote D 245), Emile E... (cote D 246), Madeleine F... (cote D 251), Michel K... (cote D 259), Roland G... (cote D 261), André Y... (cote D 267), Madeleine D... (cote D 269), Odile Q... (cote D 302), Yvon I... (cote D 303), Patrick L... (cote D 304), Jean P... (cote D 305), Lido O... (cote D 306) Nelly J... (cote D 307 à D 309), Camille C... (cote D 310 à D 314), ainsi que la procédure subséquente ;
"aux motifs qu'il apparaît à l'examen de chacun des procès-verbaux d'audition établis à ces occasions que Patrick N... n'assistait pas techniquement les enquêteurs et qu'il était entendu, non pas en qualité de représentant de la compagnie AGF, alors constituée partie civile devant le magistrat instructeur, mais en qualité de témoin, serment préalablement prêté ; qu'il apparaît également à ce même examen que Patrick N... n'a fourni, lors de ces auditions, que des renseignements matériels sur la nature et l'évolution des contrats souscrits par chacun des témoins auprès de la compagnie AGF ; que les mis en examen ont pu fournir sur ces éléments matériels, lors de leurs interrogatoires ultérieurs, toutes les explications qu'ils ont estimé utiles à la défense de leurs intérêts ; qu'il résulte de ces éléments d'une part, que les demandeurs sont mal fondés à invoquer une quelconque violation des dispositions de l'article 152 du Code de procédure pénale, en l'un ou l'autre de ses alinéas, d'autre part, que le non-respect des formalités prévues par l'article 102 du Code de procédure pénale pour l'audition des témoins au cours de l'instruction n'a pas porté atteinte aux intérêts de l'un ou l'autre des mis en examen ;
"alors que les officiers de police judiciaire délégués à l'exécution d'une commission rogatoire reçoivent tous les pouvoirs dévolus au magistrat déléguant mais dans les limites tracées par les termes de la mission reçue ; que le recours par les enquêteurs agissant sur commission rogatoire à un assistant technique, alors qu'ils n'ont pas reçu mission du juge d'instruction de se faire assister par cette personne et que cette dernière s'est comportée, au cours des opérations objet de la commission rogatoire, comme un véritable enquêteur, constitue une violation des dispositions combinées des articles 151 et 152 du Code de procédure pénale et des principes fondamentaux de la procédure pénale et porte par elle-même nécessairement atteinte aux droits de la défense ; que la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que, lors des auditions des personnes susvisées, qui ont eu lieu courant février et mars 1999, les inspecteurs agissant sur commission rogatoire de Martine Adnet, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Dijon, se sont, sans y avoir été autorisés par ce magistrat, systématiquement fait assister par Patrick N..., inspecteur commercial des AGF à Dijon ; que celui-ci a toujours, en méconnaissance des dispositions de l'article 103 du Code de procédure pénale, caché aux personnes interrogées, dans la formule du serment qu'il a prêté à la fin de chaque audition qu'il était le préposé de la compagnie d'assurances précitée déjà constituée partie civile par courrier du 4 janvier 1999 ; qu'il résulte des énonciations des procès-verbaux que les auditions des personnes convoquées ont été menées de concert entre les enquêteurs et Patrick N..., les rôles étant distribués à l'avance entre eux comme cela résulte à l'évidence de la code D 314 ; que les personnes entendues n'ont pu percevoir son intervention que comme celle d'un assistant technique des enquêteurs et non comme celle d'un témoin ordinaire, se trouvant à chaque fois dans le cas de devoir répondre à ses observations tandis que lui-même n'était pas soumis à leurs questions et intervenait quand bon lui semblait et que, dès lors, en omettant d'annuler les procès-verbaux susvisés, la chambre d'accusation a méconnu le principe liminairement énoncé ;
"alors que la nullité de la procédure, au cas où les enquêteurs ont eu recours, en-dehors de toute autorisation du magistrat mandant, à un assistant technique, est d'autant plus certainement encourue que celui-ci, non content de participer aux opérations d'enquête, a manifestement agi dans l'intérêt d'une partie au procès ; que, tel est bien le cas du rôle joué par Patrick N... ;
qu'en effet celui-ci ne s'est pas contenté, comme le prétend l'arrêt de "fournir lors des auditions, des renseignements matériels sur la nature et l'évolution des contrats souscrits par chacun des témoins auprès de la compagnie AGF" mais, en sa qualité, toujours tue par lui auprès des personnes interrogées, de préposé de la compagnie AGF, a clairement pris parti lors de ses interventions sur la culpabilité des personnes mises en examen ainsi que cela ressort notamment des cotes D 241 et D 306 et qu'en cet état, la chambre d'accusation ne pouvait, sans méconnaître ses obligations, omettre de prononcer la nullité de la procédure, la méconnaissance des dispositions des articles 151 et 152 du Code de procédure pénale ayant de toute évidence porté atteinte aux droits de la défense" ;
Sur le second moyen de cassation, proposé pour chacun des deux demandeurs, pris de la violation des articles 226- 13 du Code pénal, 11, 174, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler les procès verbaux d'audition de M. et Mme M... (cote D 241), Louise Z... (cote D 242), Ramon X... (cote D 244), Raymonde A... (cote D 245), Emile E... (cote D 246), Madeleine F... (cote D 251), Michel K... (cote D 259), Roland G... (cote D 261), André Y... (cote D 267), Madeleine D... (cote D 269), Olide Q... (cote D 302), Yvon I... (cote D 303), Patrick L... (cote D 304), Jean P... (cote D 305), Lido O... (cote D 306), Nelly J... (cote D 307 à D 309), Camille C... (cote D 310 à D 314), ainsi que la procédure subséquente ;
"alors que toute personne qui concourt à une procédure d'enquête ou d'instruction est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal ; que la violation du secret de l'instruction concomittante à l'accomplissement d'un acte de la procédure doit conduire à l'annulation de celle-ci s'il en est résulté une atteinte aux intérêts d'une partie et que la chambre d'accusation, qui constatait expressément que Patrick N..., inspecteur commercial des AGF à Dijon, ladite compagnie d'assurances étant constituée partie civile, avait assisté à l'ensemble des auditions des personnes précitées par les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, ne pouvait, tandis que dans leurs requêtes Sandrine H... et Dominique B... faisaient valoir que cette présence constituait une violation du secret de l'instruction par des personnes concourant à la procédure, s'abstenir de constater cette violation et de rechercher, dans la mesure où elle était nécessairement concomitante à ces auditions, si elle avait porté atteinte aux intérêts des mis en examen, une telle circonstance étant de nature à entraîner la nullité des auditions en cause et de la procédure subséquente" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, saisi d'une information contre Sandrine H... et Dominique B..., respectivement conseiller et inspecteur commercial aux Assurances générales de France Vie (AGF Vie), des chefs d'abus de confiance et d'escroqueries aggravés, de faux et d'usages de faux en écritures privées, le juge d'instruction a donné commission rogatoire au directeur du service régional de police judiciaire à l'effet de procéder à toutes auditions, perquisitions et saisies utiles à la manifestation de la vérité ; qu'en exécution de cette commission rogatoire, deux fonctionnaires de ce service ont procédé à l'audition de plusieurs clients de la compagnie d'assurance, victimes présumées des délits reprochés, en présence de Patrick N..., inspecteur commercial des AGF Vie, dont ils ont sur le champ recueilli les explications, dressant chaque fois un seul procès-verbal des déclarations du client et de l'employé de la société d'assurance, ainsi que, le cas échéant, de la saisie de documents présentés par le second ;
Attendu qu'après avoir reçu notification de l'avis de fin d'information, Sandrine H... et Dominique B... ont présenté chacun, sur le fondement de l'article 173 du Code de procédure pénale, et en invoquant une violation des articles 102, 152 du Code de procédure pénale, et 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, une requête tendant à l'annulation de dix-sept procès-verbaux juxtaposant les déclarations respectives des clients et de l'employé des AGF Vie ;
Attendu que, pour rejeter ces requêtes, la chambre d'accusation relève que Patrick N..., qui ne représente pas les AGF Vie dans leur constitution de partie civile, a été entendu par les officiers de police judiciaire en qualité de témoin, serment préalablement prêté ;
Qu'ils ajoutent que l'inobservation des formalités de l'article 102 du Code de procédure pénale, selon lequel les témoins sont entendus séparément, n'a pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts des personnes mises en examen, dès lors que celles-ci ont été en mesure de fournir, lors de leurs interrogatoires ultérieurs, toutes explications utiles à leur défense en réponse, notamment, aux renseignements, d'ordre matériel, fournis par Patrick N... sur la nature et l'évolution des contrats passés par chacun des témoins entendus avec lui ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, répondant aux articulations essentielles des requêtes et des mémoires déposés dans l'intérêt des demandeurs devant la chambre d'accusation, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure ;
D'où il suit que les moyens, le second nouveau, mélangé de fait et, comme tel irrecevable en ce qu'il allègue pour la première fois devant la Cour de Cassation le grief d'une violation du secret de l'instruction, doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Blondet conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;
Avocat général : Mme Fromont ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;