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14/12/2000 | FRANCE | N°98-22428

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 14 décembre 2000, 98-22428


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par l'association Club de l'horloge, dont le siège est 4, rue de Stockholm, 75008 Paris,

en cassation d'un arrêt rendu le 2 octobre 1998 par la cour d'appel de Paris (1re chambre, section B), au profit :

1 / de M. Serge July, directeur de la publication du journal "Libération", domicilié en cette qualité 11, rue Béranger, 75154 Paris Cedex 03,

2 / de la Société nouvelle de presse et de communication (SNPC), société à responsabil

ité limitée, éditrice du journal "Libération", dont le siège est 11, rue Béranger, 75154 P...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par l'association Club de l'horloge, dont le siège est 4, rue de Stockholm, 75008 Paris,

en cassation d'un arrêt rendu le 2 octobre 1998 par la cour d'appel de Paris (1re chambre, section B), au profit :

1 / de M. Serge July, directeur de la publication du journal "Libération", domicilié en cette qualité 11, rue Béranger, 75154 Paris Cedex 03,

2 / de la Société nouvelle de presse et de communication (SNPC), société à responsabilité limitée, éditrice du journal "Libération", dont le siège est 11, rue Béranger, 75154 Paris Cedex 03,

défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 15 novembre 2000, où étaient présents : M. Buffet, président, M. Guerder, conseiller rapporteur, M. Pierre, Mme Solange Gautier, M. de Givry, conseillers, M. Trassoudaine, conseiller référendaire, M. Chemithe, avocat général, Mme Claude Gautier, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Guerder, conseiller, les observations de la SCP Philippe et François-Régis Boulloche, avocat de l'association Club de l'horloge, de Me de Nervo, avocat de M. July et de la Société nouvelle de presse et de communication (SNPC), les conclusions de M. Chemithe, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 octobre 1998) et les productions, que, le 24 novembre 1995, le journal quotidien Libération a publié, en page "Economie", un article intitulé "X... de X..., chef des troupes céréalières - Le représentant de 95 000 producteurs dispose d'une machinerie de combat digne d'un lobby américain", présentant M. X... de X... comme "parent d'Alain, théoricien de l'extrême droite membre du Club de l'horloge" dont il ne partage pas du tout les idées ;

que l'association Club de l'horloge (l'association) a, par lettre recommandée du 13 décembre 1995, adressé au directeur de la publication du journal une demande de droit de réponse et une mise au point, qui n'a pas été publiée ; que, par acte d'huissier de justice du 13 mars 1996, l'association a fait assigner M. July, directeur de la publication du journal, et la Société nouvelle de presse et de communication (SNPC), entreprise éditrice, devant le tribunal de grande instance, en réparation du préjudice occasionné par le refus d'insertion et en insertion forcée ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'association fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré prescrite l'action en réparation du refus d'insertion, alors, selon le moyen :

1 / que l'action en réparation du préjudice résultant du refus d'insertion d'un droit de réponse est accessoire à l'action en insertion forcée de ce droit de réponse, de sorte que le délai de prescription doit être identique pour les deux demandes ; que l'action en insertion forcée est prescrite après un an à compter du jour où la publication a eu lieu ;

qu'en décidant néanmoins que l'action en réparation du préjudice résultant du refus d'insertion était soumise au délai de prescription de 3 mois, la cour d'appel a violé les articles 13 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2 / que toute personne a droit à la liberté d'expression, laquelle comprend notamment la possibilité de répondre à une mise en cause formulée par un journaliste, ainsi que la liberté du lecteur d'un journal de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées ;

que si ce droit peut faire l'objet de limitations, celles-ci doivent être proportionnées au but légitime poursuivi et ne pas porter atteinte à la substance même du droit protégé ; que toute personne a également un droit d'accès effectif à un tribunal ; que l'association Club de l'horloge a demandé au juge d'ordonner la publication d'une réponse à la suite d'un article la mettant en cause ; que pour déclarer prescrite l'action en réparation du dommage résultant du refus d'insertion de cette réponse, les juges du fond ont opposé la courte prescription de 3 mois prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en se fondant ainsi sur une disposition qui porte une atteinte excessive et injustifiée à la liberté d'information et au droit d'accès à un tribunal, la cour d'appel a violé les articles 6, 10 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

3 / que, subsidiairement, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats après l'ordonnance de clôture, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office ; que M. July et la SNPC n'ont invoqué le moyen pris de la prescription de l'action de l'association que par conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture ;

qu'en décidant que le tribunal avait pu accueillir le moyen ainsi soulevé postérieurement à l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a violé l'article 783 du nouveau Code de procédure civile ;

4 / qu'enfin, toujours à titre subsidiaire, la partie qui a conclu au fond en ayant le droit d'opposer une fin de non-recevoir, fût-elle d'ordre public, renonce par là-même à invoquer cette fin de non-recevoir et ne peut la proposer par la suite ; que, devant le tribunal, M. July et la SNPC ont déposé des conclusions au fond le 13 novembre 1996 et n'ont soulevé la prescription de l'action que par conclusions du 26 novembre, bien que cette prescription ait été acquise le 13 septembre 1996, les dernières conclusions interruptives ayant été signifiées le 13 juin 1996 ; que le moyen invoquant la prescription pouvait donc être invoqué dans les conclusions du 13 novembre 1996 ; qu'en décidant cependant que M. July et la SNPC n'avaient pas renoncé à invoquer ce moyen, bien qu'ils ne l'aient pas soulevé dans leurs écritures signifiées le 13 novembre 1996, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;

Mais attendu que la courte prescription, édictée par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, a pour objet de garantir la liberté d'expression ;

Et attendu que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que la prescription instituée par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, qui s'applique à l'action civile exercée séparément en matière d'infractions de presse, est d'ordre public et peut être invoquée par les parties à tout moment de la procédure ; qu'ayant invoqué la courte prescription, en première instance, les intimés ne peuvent être présumés avoir renoncé à le faire, sous prétexte qu'ils ont soulevé cette fin de non-recevoir tardivement ; que si l'association a bien fait signifier le 13 juin 1996, trois mois après l'assignation, des conclusions tendant à confirmer celle-ci et manifestant sa volonté de poursuivre l'action, elle a ultérieurement laissé s'écouler un délai supérieur pour faire à nouveau connaître aux défendeurs son intention d'obtenir la sanction des faits incriminés ;

Qu'en déduisant de ces constatations et énonciations que l'action en réparation du préjudice occasionné par le refus d'insertion de réponse était prescrite, la cour d'appel, abstraction faite du motif critiqué par la troisième branche, qui est inopérant dès lors que la fin de non-recevoir devait être relevée d'office, n'a violé aucun des textes légaux et conventionnels visés au moyen et a légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu que l'association fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande d'insertion forcée, alors, selon le moyen, que le droit de réponse est un droit fondamental, général et absolu, et peut être exercé par toute personne mise en cause dans un article de presse ; que ce droit peut porter non seulement sur des faits, mais également sur des jugements et opinions portés par l'auteur de l'article, a fortiori en cas d'accusations graves ; qu'en l'espèce, l'association Club de l'horloge a été mise en cause par un article selon lequel elle compterait parmi ses membres Alain de X..., "théoricien de l'extrême droite" ; qu'en réponse à cette affirmation, I'association a précisé que, contrairement à ce qui est indiqué dans cet article, elle n'a jamais appartenu à une quelconque extrême droite, et qu'Alain de X... n'a jamais été l'un de ses membres ; que, pour rejeter la demande d'insertion de cette réponse, le tribunal puis la cour d'appel, sans contester la corrélation avec l'article initial, ont décidé que l'article en cause ne comportait pas de véritable mise en cause et que le droit de réponse était destiné à rétablir le caractère contradictoire d'une information sur certains faits mais ne pouvait être invoqué pour combattre des analyses et jugements du journaliste ; qu'en rejetant ainsi la demande d'insertion d'une réponse de l'association mise en cause dans l'article, la cour d'appel a violé l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 que le délai d'un an imparti pour exercer l'action en insertion forcée s'applique uniquement à la demande d'insertion d'une réponse adressée au directeur de la publication, et que l'action en justice exercée à la suite d'un refus d'insertion, en réparation des conséquences dommageables de cette infraction, éventuellement par une publication judiciaire, est soumise au délai de prescription de trois mois prévu par l'article 65 de ladite loi ;

Que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux de l'arrêt attaqué, la décision se trouve légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'association Club de l'horloge aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de l'association Club de l'horloge, de M. July et la SNPC ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 98-22428
Date de la décision : 14/12/2000
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

(Sur le premier moyen) PRESSE - Journal - Responsabilité - Droit de réponse - Refus d'insertion - Action en réparation du préjudice occasionné par ce refus - Prescription de trois mois.

(Sur le deuxième moyen) PRESSE - Journal - Responsabilité - Droit de réponse - Action en insertion - Prescription - Délai d'un an - Domaine d'application.


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 65, art. 13

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (1re chambre, section B), 02 octobre 1998


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 14 déc. 2000, pourvoi n°98-22428


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BUFFET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2000:98.22428
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