AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
I - Sur le pourvoi n° Z 98-46.161 formé par :
- Mme Jocelyne X..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 16 octobre 1998 par la cour d'appel de Paris (18e chambre, section C), au profit de :
- l'Institut Gustave Roussy, établissement reconnu d'utilité publique, dont le siège est ...,
défendeur à la cassation ;
En présence de :
- l'ASSEDIC de Paris, unité Félix Faure, dont les bureaux sont ... ;
II - Sur le pourvoi n° B 98-46.209 formé par :
- l'Institut Gustave Roussy,
en cassation du même arrêt rendu au profit de :
- Mme Jocelyne X...,
défenderesse à la cassation ;
En présence de :
- l'ASSEDIC de Paris, unité Félix Faure ;
LA COUR, en l'audience publique du 7 novembre 2000, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Coeuret, conseiller rapporteur, M. Ransac, conseiller, MM. Richard de La Tour, Rouquayrol de Boisse, conseillers référendaires, M. Kehrig, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Coeuret, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de Mme X..., de la SCP Richard et Mandelkern, avocat de l'Institut Gustave Roussy, les conclusions de M. Kehrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° Z 98-46.161 et B 98-46.209 ;
Attendu que Mme X... a été engagée le 1er janvier 1984, pour une durée indéterminée, en qualité de pharmacien général adjoint par l'Institut Gustave Roussy qui gère un centre de lutte contre le cancer ; qu'en application des dispositions transitoires de l'arrêté interministériel du 5 juin 1989, elle a été assimilée au personnel médical et son ancienneté à ce titre a été fixée au 1er janvier 1988 par son employeur ; qu'elle a accepté ses nouvelles conditions de rémunération le 15 avril 1993, mais a refusé de signer le contrat de travail qui lui a été soumis le 25 avril 1994 ; qu'elle a été licenciée le 26 septembre 1996 pour divers griefs qualifiés d'irresponsabilité fautive ;
Sur le pourvoi n° Z 98-46.161 de la salariée, qui est préalable :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 16 octobre 1998) d'avoir débouté Mme X... de l'action qu'elle avait formée contre son employeur, l'Institut Gustave Roussy, en vue d'obtenir le paiement d'un rappel de salaire et de complément d'indemnités, alors, selon le moyen :
1 / qu'en cas de modification apportée au contrat de travail, l'ancienneté à prendre en considération pour l'appréciation des droits des salariés est l'ancienneté acquise dès l'embauche, sans que l'employeur puisse se prévaloir d'une renonciation du salarié à l'application de cette règle qui présente un caractère d'ordre public ; qu'en permettant à l'Institut Gustave Roussy de se prévaloir de la renonciation de Mme X... au bénéfice de l'ancienneté qu'elle avait acquise depuis son embauche, le 1er juillet 1984, en acceptant la modification apportée à son contrat de travail, le 15 avril 1993, à l'occasion de son intégration dans les fonctions de pharmacien des centres de lutte contre le cancer, la cour d'appel a violé l'article 6 du Code civil et l'article L. 121-1 du Code du travail ;
2 / que l'arrêté du 5 juin 1989 se borne à déterminer les conditions de recrutement du personnel des centres de lutte contre le cancer sans réglementer les modalités de leur rémunération qui sont fixées par voie contractuelle ; qu'il s'ensuit qu'il était au pouvoir des parties de faire remonter l'ancienneté de Mme X... à une date où elle ne remplissait pas encore les conditions de son intégration dans les fonctions de pharmacien de centre de lutte contre le cancer ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'arrêté précité ;
3 / qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions par lesquelles Mme X... faisait valoir que l'Institut Gustave Roussy lui avait reconnu une ancienneté remontant à la date de son embauche, en lui versant l'indemnité de licenciement prévue par l'article 9, paragraphe 2, alinéa 2, du contrat du 25 avril 1994, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que le principe de non-discrimination impose à l'employeur d'accorder aux salariés placés dans une situation identique les mêmes avantages de rémunération, peu important qu'ils soient stipulés dans un contrat qui n'avait pas été signé ; qu'il est constant que le contrat non signé du 25 avril 1994 faisait application à Mme X... des avantages consentis à l'ensemble des pharmaciens qui étaient employés dans des conditions identiques par l'ensemble des centres de lutte contre le cancer, réunis en fédération ; qu'en refusant de faire bénéficier Mme X... de ces avantages pour la seule raison qu'elle n'avait pas signé le contrat du 25 avril 1994, la cour d'appel a méconnu l'article L. 125-1 du Code du travail, ensemble le principe précité ;
5 / qu'un usage constant peut résulter de la répétition de plusieurs contrats de travail ; qu'en affirmant qu'aucun usage ne pouvait résulter de la stipulation, dans trois contrats différents, des avantages consentis à Mme X... dans le contrat non signé du 25 avril 1994, la cour d'appel, qui n'a pas justifié cette affirmation, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a relevé que la rémunération litigieuse avait été fixée par référence au salaire d'un médecin dont l'ancienneté remonterait au 1er juillet 1988 ; que la salariée a ainsi bénéficié d'une augmentation de salaire qu'elle a expressément acceptée le 15 avril 1993 ; que, faute de démontrer l'existence d'un usage contraire, elle n'était pas fondée à demander que soient prises en compte, pour obtenir une rémunération supérieure, ses premières années de fonction durant lesquelles elle ne remplissait pas les conditions d'intégration sans concours prévues par l'arrêté ministériel du 5 juin 1989 ;
Et attendu, ensuite, qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la salariée, celle-ci n'était pas placée dans une situation identique à celle de tous les pharmaciens employés par l'ensemble des centres de lutte contre le cancer et que la rémunération qui lui était versée n'avait pas en conséquence un caractère discriminatoire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi de l'employeur n° B 98-46.209 :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le licenciement de Mme X... par l'Institut Gustave Roussy dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'avoir condamné celui-ci à payer à la salariée la somme de 600 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 / que l'insuffisance professionnelle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, indépendamment de toute faute commise par le salarié ; que la règle selon laquelle aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance n'interdit donc pas à celui-ci de licencier le salarié au titre d'une insuffisance professionnelle qu'il a constatée depuis plus de deux mois ; qu'en décidant néanmoins que l'Institut Gustave Roussy ne pouvait justifier le licenciement par l'insuffisance professionnelle dont Mme X... avait fait preuve dans la mise en place du système de préparation centralisée des chimiothérapies, dans la gestion des médicaments dérivés du sang, dans le management des équipes et dans la gestion des stocks, dès lors que l'employeur avait constaté cette insuffisance plus de deux mois avant la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 122-44 du Code du travail ;
2 / qu'en toute hypothèse, en s'abstenant de rechercher si cette insuffisance professionnelle s'était poursuivie jusqu'à la date de son licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-3, L. 122-14-4 et L. 122-44 du Code du travail ;
3 / qu'en affirmant que ni la mise en oeuvre des moyens nécessaires au système de préparation centralisée des chimiothérapies, ni les erreurs dans la gestion des stocks, qui étaient dues selon un audit à des erreurs matérielles de saisie, ne pouvaient être imputées à Mme X..., sans rechercher si celle-ci en était responsable en vertu de son contrat de travail, selon lequel elle devait "assurer, sous sa responsabilité, l'exécution des prescriptions médicales, le contrôle des médicaments, la garde des produits toxiques et la comptabilité prévue par la réglementation des substances vénéneuses" (article 6) et qui lui permettait de prendre, "en accord avec le directeur de l'établissement, toutes dispositions utiles pour assurer (le) bon fonctionnement" de son service (article 2), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que le licenciement, en ce qu'il avait été prononcé pour "irresponsabilité fautive", invoquait l'existence d'une faute du salarié et revêtait nécessairement un caractère disciplinaire ;
que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a décidé que ceux des faits invoqués par l'employeur, rattachables à cette qualification et connus de lui depuis plus de deux mois au jour de l'ouverture de la procédure disciplinaire, et non réitérés ensuite, étaient couverts par la prescription ;
Et attendu, ensuite, que la cour d'appel a estimé que les autres faits invoqués par l'employeur n'étaient pas imputables à la salariée ; qu'elle a dès lors, à bon droit, écarté ces faits comme ne pouvant justifier un licenciement disciplinaire ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille.