REJET des pourvois formés par :
- la société X..., Y..., Z..., A...,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 27 juillet 2000, qui, dans l'information suivie contre eux du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée, a rejeté leurs requêtes en annulation de pièces de la procédure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 22 septembre 2000, joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure, que B... a déposé plainte avec constitution de partie civile pour atteinte à l'intimité de la vie privée, conservation et publication de documents obtenus par une telle atteinte, en exposant que la revue " C... " avait publié, courant janvier 1996, un article accompagné de photographies d'elle et de son fils, dans une propriété privée, et fait paraître en juillet 1997, un autre article contenant des clichés pris à son insu dans un jardin privatif ; qu'une commission rogatoire délivrée par le juge saisi a révélé que la société D..., dont le directeur était A..., avait assuré l'édition du journal en cause, et que les journalistes signataires de l'article avaient usé de pseudonymes, inconnus de la commission de la carte d'identité des journalistes professionnels ; qu'aucun autre élément n'ayant été recueilli en vue de la manifestation de la vérité, un officier de police judiciaire, sur commission rogatoire, ayant demandé à plusieurs reprises aux responsables de la société D... de révéler l'origine des photographies litigieuses et l'identité des deux journalistes en cause, s'est vu opposer un refus sur le fondement de l'article 109 du Code de procédure pénale ;
Attendu que le juge d'instruction a alors procédé à une perquisition dans les locaux de la société D..., au service de photographies et au service comptable, en la présence constante du responsable juridique et fiscal, du rédacteur en chef, et des responsables des deux services ; qu'une saisie du dossier relatif à la partie civile a révélé que la société X... avait fourni les photographies litigieuses ; qu'une seconde perquisition, opérée le même jour dans les locaux de l'agence X..., a conduit à la découverte des clichés et d'un bon de commande sur lequel figuraient le nom des photographes en cause, Z... et Y... ; que ces derniers, ainsi que A... et la société X..., ont été mis en examen du chef précité ; que A... a soulevé la nullité des pièces de la procédure, en particulier de la perquisition opérée au siège de la société D..., en faisant valoir que, violant le principe fondamental du secret des sources, cet acte était contraire aux dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la société X..., Y... et Z..., reprenant le même grief, ont soulevé la nullité des perquisitions effectuées au siège des deux entreprises ;
En cet état :
Sur le moyen unique de cassation, en ce qu'il est présenté pour la société agence X..., Y... et Z..., pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 171 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a, par un arrêt du 27 juillet 2000 refusé d'annuler la perquisition opérée au siège de la société D... et celle opérée au siège de la société X..., ainsi que les actes de procédure subséquents ;
" aux motifs que les dispositions de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'objet consiste dans la limitation directe apportée, de manière préventive ou répressive, à la liberté d'information considérée comme relative, ne régissent l'administration de la preuve qu'autant que celle-ci consiste dans l'injonction faite à un témoin journaliste de révéler la source de ses renseignements, fondement de la liberté d'information d'ailleurs protégée par l'article 109, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;
" que la protection d'un secret, qu'il soit professionnel ou journalistique, ne saurait interdire à l'autorité judiciaire d'exécuter, en application des pouvoirs conférés par la loi et la Convention précitée, les mesures coercitives nécessaires à la manifestation de la vérité dès lors que celles-ci ne tendent pas à faire à la personne astreinte une injonction de révélation ; qu'ainsi, peuvent être pratiquées, dans le cadre d'une instruction, des perquisitions obéissant aux prescriptions des articles 8, alinéa 2, de ladite Convention, 92, 94, 56-2 du Code de procédure pénale ;
" que les perquisitions opérées dans les locaux de la société D... et dans ceux de la société Agence X... "répondent à la finalité conventionnelle de préservation de l'ordre public conciliateur de tous les droits et libertés impliquant la protection de toute personne contre une intrusion dans sa vie privée (...)" ; que "ces perquisitions apparaissent nécessaires selon les dispositions des articles 8 de la Convention précitée et 81, alinéa 1, du Code de procédure pénale, commandées par les motifs pertinents et suffisants que constituent la recherche et le recueil des preuves des infractions pénales reprochées, l'identification et l'interpellation des personnes impliquées dans leur commission" ; que les perquisitions n'ont pas causé une atteinte disproportionnée aux droits garantis par l'article 8 susvisé, leur exécution ayant été limitée dans le temps et dans l'espace, le juge d'instruction n'ayant eu à sa disposition aucun autre moyen moins contraignant et ayant respecté les obligations prévues par l'article 56-2 du Code de procédure pénale ;
" alors, d'une part, que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui garantit la liberté d'information ne rend pas seulement illicite une injonction faite à un journaliste de révéler les sources de ses informations ; que les conditions de limitation de la liberté d'information prévues par le paragraphe 2 de cet article interdisent également toute mesure destinée à contourner le droit de ne pas divulguer l'identité d'une source d'information, telle notamment des perquisitions dans les locaux d'une société de presse en vue de découvrir l'origine d'une information ; que la chambre d'accusation qui considère que la protection du secret des sources journalistiques se limite, en matière d'administration de la preuve, à l'interdiction d'imposer à un journaliste témoin de révéler l'origine de ses informations viole donc l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" alors, d'autre part, qu'une perquisition dans les locaux d'une entreprise de presse en vue de découvrir l'identité de sources d'information, à la supposer permise par la loi, ne peut être considérée comme nécessaire dans une société démocratique au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme que lorsqu'il existe un impératif prépondérant d'intérêt public et si les circonstances de l'affaire présentent un intérêt vital et grave la rendant nécessaire ; que, faute d'avoir recherché si tel était le cas de la découverte des auteurs des photographies publiées dans un organe de presse dont la diffusion était susceptible d'être constitutive d'une infraction réprimée par l'article 226-1 du Code pénal, dans la mesure où elles auraient été prises dans un lieu privé, l'arrêt attaqué n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme " ;
Sur le moyen unique de cassation, présenté pour A..., pris de la violation des articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 226-1, 226-2 et 226-31 du Code pénal, ensemble les articles 56-2, 92, 94, 109, 170 à 174, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir pas lieu à annulation de la perquisition ;
" aux motifs que les dispositions de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'objet consiste dans la limitation directement apportée, de manière préventive ou répressive, à la liberté d'information considérée comme relative, ne régissent l'administration de la preuve qu'autant que celle-ci consiste dans l'injonction faite à un témoin journaliste de révéler la source de ses renseignements, fondement de la liberté d'information d'ailleurs protégée par l'article 109, alinéa 2, du Code de procédure pénale ; qu'en l'espèce, l'enquêteur rogatoirement commis s'étant heurté à un refus, fondé sur l'article 109, alinéa 2, précité, de la part de journalistes encore témoins dans la présente information, le juge d'instruction a procédé, le 1er octobre 1998, dans les locaux de la société D... de 9 h 55 à 13 h 40 et, consécutivement, dans ceux de la société Agence X..., de 15 h 40 à 16 h 35, à des perquisitions constitutives d'ingérence étatique au sens de l'article 8, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme ; que, prévues par la loi, ces perquisitions obéissent aux dispositions des articles 92, 94 et 56-2 du Code de procédure pénale dont les qualités requises ne sont pas discutées ; qu'elles répondent à la finalité conventionnelle de la préservation de l'ordre public conciliateur de tous les droits et libertés impliquant la protection de toute personne contre une intrusion dans sa vie privée indépendamment de toute indemnisation, que caractérise suffisamment la prévision à cette fin d'infractions pénales en dépit de l'exigence d'une plainte préalable de la victime, d'autant que cette dernière condition étant remplie, le procureur de la République ou le juge d'instruction dispose de tous les pouvoirs coercitifs d'administration de la preuve légalement prévus ; qu'au regard de ce but dans une société démocratique, ces perquisitions apparaissent nécessaires, selon les dispositions des articles 8 de la Convention précitée et 81, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, commandées par les motifs pertinents et suffisants que constituent la recherche et le recueil des preuves des infractions pénales reprochées, l'identification et l'interpellation des personnes impliquées dans leur commission, alors qu'elles ont effectivement permis de découvrir les noms des personnes, physiques ou morales, impliquées, au-delà du directeur de publication pénalement responsable de certains des délits poursuivis ; qu'enfin, ces perquisitions n'ont pas causé une atteinte disproportionnée aux droits garantis par l'article 8 susvisé dès lors que leur exécution a été limitée, dans le temps et dans l'espace, à la contrainte strictement indispensable au but poursuivi, que le juge d'instruction saisi n'avait à sa disposition aucun autre moyen moins contraignant et qu'en application de l'article 56, alinéa 2, du Code de procédure pénale, il a veillé à ce que les investigations ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste, ni n'entraînent d'obstacle ou de retard dans la diffusion de l'information ; qu'en conséquence, les perquisitions contestées étant formellement régulières et la question de la recevabilité de la partie civile étrangère au présent contentieux, il n'y a pas lieu à l'annulation sollicitée ;
" alors, de première part, que la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, les garanties accordées à la presse revêtant une importance particulière et primordiale ; que la protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse ; qu'une mesure de perquisition ayant pour objet ou effet d'obliger le journaliste à révéler ses sources d'information ne peut se concilier avec l'exercice de la liberté de la presse que si elle se justifie par un impératif prépondérant d'intérêt public et si les circonstances présentent un caractère suffisamment grave ou vital ; que la Cour ne pouvait donc décider, pour statuer comme elle l'a fait, que la protection des sources journalistiques, consacrée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, interdisait seulement de faire injonction à un journaliste de révéler ses sources de renseignements ; alors, de deuxième part, subsidiairement, qu'une mesure de perquisition ayant pour objet ou effet de porter atteinte à la protection des sources journalistiques, pierre angulaire de la liberté de la presse, doit être justifiée par un impératif prépondérant d'intérêt public et par des circonstances présentant un caractère suffisamment vital et grave ; que l'identification et l'interpellation des auteurs de photographies prises et publiées en contravention aux articles 226-1 et 226-2 du Code pénal ne constituent pas un tel impératif, ce d'autant que le directeur de la publication répond de ces infractions ; que la Cour ne pouvait donc refuser d'annuler la mesure de perquisition, après avoir constaté que, réalisée en raison du refus de la société D... de révéler le nom des auteurs des clichés litigieux, elle avait permis de découvrir lesdits auteurs " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu d'une part, que Y... et Z... sont sans qualité pour se prévaloir de la prétendue irrégularité d'une perquisition qui n'a pas été effectuée à leurs domiciles ; que, de même, la société X... est sans qualité pour soulever l'irrégularité alléguée de la perquisition au siège de la société D... ;
Attendu, d'autre part, que, pour rejeter les requêtes en nullité, la chambre d'accusation relève que, pour répondre aux impératifs du droit au respect de la vie privée et de la protection de l'ordre public, le juge d'instruction pouvait, dans le cadre de la recherche des preuves, procéder à des perquisitions qui ont été opérées au siège de D... et de l'Agence X..., dans le respect des règles prévues à l'article 56-2 du Code de procédure pénale propres aux entreprises de presse ; qu'elle ajoute que, limités dans le temps et dans l'espace, ces actes d'investigation, en l'absence de tout autre élément permettant la manifestation de la vérité, étaient seuls susceptibles d'aider à la recherche des auteurs et des complices des faits poursuivis ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la chambre d'accusation, qui s'est expliquée sans insuffisance ni contradiction sur le caractère nécessaire et proportionné aux buts poursuivis des perquisitions ainsi effectuées, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 10 de la Convention invoquée par les demandeurs ;
Que les moyens ne peuvent qu'être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.