AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-sept octobre deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller MAZARS, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE PIVERT, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 4 novembre 1999, qui, dans la procédure suivie contre la société ROLLER du chef de contrefaçon de marque, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 714-5 du Code de la propriété industrielle issu de la loi n° 91-7 du 4 janvier 1991 et tel que modifié par la loi n° 94-102 du 5 février 1994, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société Roller coupable de contrefaçon pour la période du 21 janvier 1995 au 18 décembre 1996, et a limité à la somme de 5 000 francs les dommages-intérêts alloués à la partie civile ;
"aux motifs que la société Pivert est déchue de ses droits sur la marque Apocalypse pour défaut d'exploitation depuis le 18 décembre 1996 ; que la preuve de l'exploitation incombe au titulaire de la marque ; que les enveloppes ne permettent pas de déterminer quelle activité était exploitée sous le nom d'Apocalypse au ... ; que l'avenant à un contrant d'assurance du 4 mars 1993 qui rapporte que la société Crescendo déclarait exploiter les marques déposées Olivia Valere X... ne constitue pas une déclaration prouvant l'activité déclarée ; que l'article du journal Vogue Hommes de mars 1992 parle de l'établissement Apocalypse au passé et ne prouve donc pas l'exploitation à sa date d'un établissement sous ce nom ; qu'aucun film d'animation n'est versé au dossier ; que le prospectus annonçant diverses animations de la production Elite Spectacle ne correspond pas à l'exploitation d'un établissement de bar, restaurant ou discothèque et qu'il n'est pas établi que cette exploitation soit intervenue par une personne liée à la partie civile puisqu'il ne figure pas parmi les concessionnaires de la marque ; que faute pour la partie civile d'établir l'usage sérieux de cette marque depuis décembre 1991, la Cour retiendra la déchéance mais que celle-ci n'est acquise qu'à compter du 28 décembre 1996 ; que le délit est prescrit après trois années et que l'assignation datant du 21 janvier 1998 l'infraction est constituée pour la période du 21 janvier 1995 au 28 décembre 1996 ;
"alors, d'une part, qu'il résulte de l'article 714-5 du Code de la propriété intellectuelle que le propriétaire de la marque est en droit d'administrer la preuve de l'usage sérieux de cette dernière par tous moyens et en tant que de besoin au moyen d'une déclaration d'assurances ; qu'en énonçant que l'avenant à un contrat d'assurances en date du 4 mars 1993 au terme duquel le propriétaire d'un fonds de commerce déclarait exploiter la marque Apocalypse appartenant à la société Pivert SAH n'était pas de nature à prouver l'activité déclarée dès lors qu'il ne s'agissait que d'une déclaration, la cour d'appel a violé par fausse application l'article susvisé ;
"alors, d'autre part, que la notion d'usage sérieux implique un usage non accidentel ou sporadique sans qu'il soit besoin de rapporter un usage constant pendant une période de cinq années ; que lorsqu'il entend prononcer la déchéance pour usage non sérieux d'une marque, le juge doit rechercher s'il n'existe pas sur une période de cinq ans d'actes d'exploitation significatifs de ladite marque ; qu'en prononçant ainsi, la déchéance de la marque Apocalypse du 28 décembre 1991 jusqu'au 28 décembre 1996 sans rechercher pour chacune des années concernées s'il n'existait pas d'actes d'exploitation significatifs de nature à écarter la demande en déchéance, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;
"alors, enfin, que l'article 714-5 du Code de la propriété intellectuelle assimile à l'usage exclusif de la marque dont la déchéance est invoquée celui fait par un tiers avec le consentement du propriétaire de la marque, que l'exploitation soit poursuivie par un licencié ou par un tiers simplement et gratuitement, pour peu qu'elle intervienne avec l'autorisation certaine du titulaire de la marque ; qu'en écartant l'offre de preuve de la société Pivert SAH qui faisait valoir que la marque Apocalypse était bien exploitée par l'intermédiaire d'une agence Productions Elite Spectacle non licenciée mais agissant avec son autorisation au motif que ladite agence ne figurait pas parmi les concessionnaires de la marque, la cour d'appel a violé l'article susvisé" ;
Attendu que la société Pivert est propriétaire de la marque nominative "l'apocalypse", déposée à l'Institut national de la propriété industrielle, le 6 février 1981, sous le numéro 11 61 986 pour les produits des classes 1 à 42 ; que, constatant que la société Roller exploitait, sans son autorisation, sous l'enseigne "l'apocalypse", un bar, restaurant et discothèque, elle l'a assignée en contrefaçon sur le fondement de l'article L. 716-9 du Code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que, devant les juges du fond, la société Roller a invoqué la déchéance des droits de la société Pivert sur sa marque en raison d'un défaut d'usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans à compter du 28 décembre 1991, date d'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991 ;
Attendu que, pour admettre ce moyen de défense et dire la société Pivert déchue de ses droits sur la marque depuis le 28 décembre 1996, les juges d'appel prononcent par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, qui caractérisent l'absence d'usage sérieux de la marque pendant un délai ininterrompu de cinq ans, et dès lors que la preuve de l'exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de la violation des articles L.716-1 du Code de la propriété intellectuelle, 1382 du Code civil, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné la SARL Roller à payer à la société Pivert SAH, partie civile, la somme de 5 000 francs à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs que la demande de dommages et intérêts court de 1992 et que la prévenue ne conteste pas avoir exploité sous ce nom depuis cette période-là mais que le délit est prescrit après trois années ; que l'assignation datant du 21 janvier 1998, l'infraction est constituée pour la période du 21 janvier 1995 au 28 décembre 1996 et qu'il convient de la sanctionner d'une amende de 5 000 francs ;
"alors que la réparation du préjudice subi par la victime des agissements du contrefacteur nécessite de prendre en compte aussi bien le préjudice commercial et l'atteinte à la valeur attractive de la marque résultant de l'infraction et que les juges du fond qui évaluent certes souverainement le montant de la réparation n'en sont pas moins tenus d'expliciter les critères à partir desquels ils ont fondé leur évaluation ; qu'en évaluant le montant des dommages et intérêts dus par la SARL Roller à la société Pivert SAH à la somme de 5 000 francs en se contentant d'énoncer que le délit était constitué pour la période du 21 janvier 1995 au 28 décembre 1996 sans préciser les éléments qui lui permettaient de retenir cette évaluation, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;
Attendu que, pour évaluer comme ils l'ont fait la réparation du préjudice résultant pour la société Pivert de la contrefaçon dont la société Roller a été déclarée coupable pour la période du 21 janvier 1995 au 28 décembre 1996, les juges d'appel retiennent que la partie civile, qui n'exploitait pas cette marque, l'a laissée déchoir et que son dommage, s'il est certain dans son principe, ne peut être que modéré ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui procèdent de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Mazars conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;