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19/09/2000 | FRANCE | N°99-81067

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 septembre 2000, 99-81067


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf septembre deux mille, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MISTRAL, les observations de la société civile professionnelle RICHARD et MANDELKERN et de Me BROUCHOT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- C... Laurent,

contre l'arrêt de la cour d'appel de REIMS, chambre correctionnelle, en date du 21 janvier 1999, qui, p

our homicide involontaire, l'a condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et a p...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf septembre deux mille, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MISTRAL, les observations de la société civile professionnelle RICHARD et MANDELKERN et de Me BROUCHOT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- C... Laurent,

contre l'arrêt de la cour d'appel de REIMS, chambre correctionnelle, en date du 21 janvier 1999, qui, pour homicide involontaire, l'a condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 221-6, 319 ancien du Code pénal, 2 et 3 du décret n° 84-689 du 17 juillet 1984 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier, applicable en l'espèce, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le Dr Laurent C... coupable d'homicide involontaire et l'a condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis ;

" aux motifs que le Dr Laurent C... s'est, dans sa spécialité, occupé seul de Denise Y..., à partir du 24 août 1992, date du départ en vacances de Marie-Thérèse Z..., et ce, jusqu'au décès de la victime ; qu'initiateur du traitement au médicament de la marque Leponex, concepteur des modalités successives de prescription de ce médicament, et artisan de la mise en application des paliers d'augmentation auxquels a obéi l'administration de ce produit, il entrait dans le champ des responsabilités de ce psychiatre, eu égard au caractère exceptionnel de la posologie utilisée, de faire procéder à tous actes de surveillance appropriés par les membres de l'équipe médicale placés sous sa direction et, à l'occasion de ses propres entretiens verbaux avec Denise Y..., dont il n'est pas admissible de penser, nonobstant la spécificité de l'art de la psychiatrie hospitalière, qu'ils n'aient pas, entre autre, porté sur la question de savoir si Denise Y... allait ou non régulièrement à la selle, de s'efforcer de recueillir de celle-ci ces informations élémentaires qu'un malade ne manque jamais de fournir à son médecin traitant, qu'il soit spécialiste ou généraliste, pour peu que ce praticien s'attache à le questionner de manière banale et se soucie de l'écouter ; que le prévenu est d'autant plus malvenu de faire état de l'absence de " signes d'appel ", qu'il a expliqué avoir pu, à l'occasion d'un examen du 10 juin 1992, remarquer une méforme physique de la patiente, ce qui démontre que, lorsqu'il voulait bien en faire l'effort, il était apte à provoquer les plaintes de la malade sur son état physique ; qu'il a, de son propre chef, cru ne pas devoir s'attacher au contenu des notes, prises à la même époque par la psychologue, lesquelles faisaient notamment déjà état d'une constipation significative, bien qu'ainsi que l'instruction l'a établi, l'intervention de cette psychologue avait été décidée lors
d'une réunion de l'équipe soignante dirigée par le Dr Laurent C... lui-même, et qu'il ressort du dossier que Denise Y... n'était nullement taisante au sujet de sa constipation, puisqu'il a suffi aux internes ayant eu à l'examiner, lors de son transfert au Centre hospitalier général, de quelques instants d'entretien avec elle, pour avoir connaissance de cette constipation, de son caractère continu et de sa durée anormale ; qu'il ne s'agit, certes pas, de reprocher à Laurent C... de ne pas s'être livré lui-même à des palpations abdominales ou à des touchers rectaux ;

que, cependant, ayant programmé une utilisation à doses successivement augmentées du produit de marque Leponex, le Dr Laurent C... s'avère ne pas avoir personnellement examiné Denise Y... lors de la mise en oeuvre des différents paliers d'augmentation du produit ; que le dossier et les débats établissent ainsi une carence totale de Laurent C... dans l'accomplissement des diligences qui lui incombaient personnellement, comme dans celles qu'il lui incombait de faire accomplir, notamment par l'interne de garde et par le personnel infirmier, auxquels il n'a adressé aucune instruction en relation avec la surveillance particulière que l'état de la malade et la nature des médicaments qu'il avait prescrits à celle-ci imposaient ;

" 1) alors que la surveillance et l'éducation en matière d'élimination intestinale relèvent du rôle propre de l'infirmier, qui a l'initiative de ces soins et en organise la mise en oeuvre ; qu'il appartient à l'infirmier d'informer spontanément son chef de service des troubles qu'il est conduit à constater ; qu'en revanche, il n'appartient pas au médecin psychiatre d'exercer ou d'organiser lui-même cette surveillance ; qu'en décidant néanmoins qu'il appartenait au Dr Laurent C... de procéder à la surveillance de l'élimination intestinale de Denise Y..., la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

" 2) alors qu'en affirmant " qu'il n'est pas admissible de penser " que Denise Y... n'avait pas informé le Dr Laurent C... de ses troubles intestinaux, la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques ;

" 3) alors qu'en reprochant au Dr Laurent C... de n'avoir pas consulté la note d'un psychologue faisant état des problèmes intestinaux de Denise Y..., sans constater qu'il aurait eu connaissance de l'existence de cette note, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 4) alors qu'en affirmant que la posologie utilisée par le Dr Laurent C... présentait un caractère " exceptionnel ", sans répondre à ses conclusions faisant valoir que la dose maximale de Leponex est de 900 milligrammes par jour, de sorte que la posologie de 600 milligrammes qu'il avait prescrite était courante, la cour d'appel a privé sa décision de motifs " ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 221-6, 319 ancien du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le Dr Laurent C... coupable d'homicide involontaire et l'a condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis ;

" aux motifs que c'est en vain que le prévenu conteste l'existence d'un lien de causalité entre ses négligences et le décès de Denise Y..., dès lors que les manquements personnellement imputables à Laurent C... ont directement abouti à laisser apparaître le syndrome dont s'agit et à le laisser se développer jusqu'à un point tel que, malgré tous les soins qu'ont pu mettre en oeuvre les médecins du CHG de Châlons-en-Champagne (lire " Châlons-sur-Marne "), il ne pouvait scientifiquement plus être encore trouvé parade efficace à ses conséquences fatales ;

" alors que le délit d'homicide involontaire suppose l'existence d'un lien de causalité certain entre la faute et le décès, et non pas que la faute ait uniquement fait perdre une chance de survie à la victime ; qu'un tel lien de causalité fait par conséquent défaut lorsque, malgré la faute commise, la victime n'a pas été privée de toute chance de survie ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer que, lors de l'arrivée de Denise Y... au Centre hospitalier de Châlons-sur-Marne, il ne pouvait scientifiquement plus être trouvé parade efficace au mal dont elle était atteinte, sans répondre aux conclusions du Dr Laurent C... qui faisait valoir, en se fondant sur le rapport d'expertise, que Denise Y... avait été transférée dans cet hôpital dès 12 heures 45, que le Dr X..., appartenant au service de chirurgie générale, avait considéré que son état ne présentait pas une urgence particulière, que ce médecin avait posé le même diagnostic vers 18 heures, que Denise Y... avait présenté des troubles tensionnels à 20 heures 45, qu'elle était pâle, déshydratée, polypnéique et tachycarde à 21 heures 30, et enfin qu'elle n'avait été transférée dans le service de réanimation qu'à 0 heures 25, où elle était décédée peu après, alors qu'une intervention chirurgicale réalisée dès son arrivée aurait pu permettre d'éviter le décès, la cour d'appel a privé sa décision de motif " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Denise Y..., suivie par Laurent C..., médecin psychiatre hospitalier, est décédée d'un syndrome occlusif avec colite nécrosante ; que, sur la plainte de sa famille, le praticien est poursuivi pour homicide involontaire ;

Attendu que, pour le déclarer coupable du délit, par motifs propres et adoptés, les juges retiennent que le prévenu, qui a administré à la malade des neuroleptiques à des doses massives de nature à provoquer une constipation avec risque d'occlusion, n'a donné aucune instruction ni prescrit aucun acte de surveillance approprié aux membres de l'équipe médicale placée sous sa direction ; que les juges ajoutent que le prévenu, qui avait pratiqué un examen clinique de la patiente, avait connaissance de cette constipation significative ; qu'ils en déduisent que la carence du médecin, dans l'accomplissement des diligences qu'il devait faire effectuer par l'interne de garde et le personnel infirmier, a directement abouti à laisser se développer une constipation chronique ayant évolué en occlusion intestinale fatale ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que Laurent C... n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient compte tenu de la nature de sa mission et de sa fonction, de sa compétence ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait, la cour d'appel, qui a, en outre, caractérisé le lien de causalité existant entre les manquements de ce prévenu et le décès de la victime, a justifié sa décision au regard des articles 121-3 et 221-6 du Code pénal, tant dans leur rédaction antérieure à la loi du 10 juillet 2000 que dans leur rédaction issue de cette loi ;

D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Mistral conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 99-81067
Date de la décision : 19/09/2000
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

HOMICIDE ET BLESSURES INVOLONTAIRES - Faute - Négligence ou imprudence - Médecin - Non accomplissement des diligences normales qui lui incombaient compte tenu de la nature de sa fonction, de sa compétence, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.


Références :

Code pénal 121-3 et 221-6

Décision attaquée : Cour d'appel de REIMS, chambre correctionnelle, 21 janvier 1999


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 sep. 2000, pourvoi n°99-81067


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2000:99.81067
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