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14/06/2000 | FRANCE | N°98-12878

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 14 juin 2000, 98-12878


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 12 janvier 1998), que, par assignation du 18 juillet 1978 devant le tribunal d'instance de Lille, la société Roquette a demandé la restitution de montants compensatoires monétaires sur des produits dérivés du maïs, au motif que le règlement n° 652/76 de la Commission du 24 mars 1976, sur le fondement duquel ces montants compensatoires étaient perçus, était invalide ; que, saisie d'une question préjudicielle par cette juridiction, la Cour de justice des Communautés européennes, par arrêt du 15 octobre 1980, a jugé que ce règlement étai

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Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 12 janvier 1998), que, par assignation du 18 juillet 1978 devant le tribunal d'instance de Lille, la société Roquette a demandé la restitution de montants compensatoires monétaires sur des produits dérivés du maïs, au motif que le règlement n° 652/76 de la Commission du 24 mars 1976, sur le fondement duquel ces montants compensatoires étaient perçus, était invalide ; que, saisie d'une question préjudicielle par cette juridiction, la Cour de justice des Communautés européennes, par arrêt du 15 octobre 1980, a jugé que ce règlement était invalide mais que cette invalidité ne pouvait être invoquée pour la période antérieure à la date de son arrêt ; que le tribunal d'instance de Lille, dans son jugement du 15 juillet 1981, a considéré qu'il n'était pas lié par cette limitation des effets dans le temps de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes et a ordonné la restitution à la société Roquette des montants compensatoires monétaires indûment perçus ; que ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de Douai du 19 janvier 1983 ; que cette dernière décision a été cassée par arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation du 10 décembre 1985 ; que, sur renvoi, la cour d'appel d'Amiens, par arrêt du 1er juin 1987, a infirmé la décision du tribunal d'instance de Lille et a rejeté la demande en restitution de la société Roquette ; que celle-ci n'a pas formé de pourvoi contre cet arrêt devenu dès lors irrévocable ; que, par ailleurs, saisie d'une question préjudicielle posée par une juridiction allemande à la demande de la société Roquette, la Cour de justice des Communautés européennes a, par arrêt du 26 avril 1994, déclaré invalide le règlement n° 2719/75 de la Commission du 24 octobre 1975, instituant des montants compensatoires monétaires sur des produits dérivés du maïs " de même que les règlements le modifiant ou le remplaçant et entachés de la même erreur manifeste de calcul des montants compensatoires monétaires " et ce " pour des motifs identiques à ceux énoncés " dans l'arrêt Roquette du 15 octobre 1980, mais a précisé qu'un opérateur qui, avant la date de son arrêt, a introduit devant une juridiction nationale un recours dirigé contre un avis de perception de montants compensatoires monétaires, adopté sur le fondement d'un règlement communautaire déclaré invalide en vertu de son arrêt, est en droit de se prévaloir de cette invalidité dans le cadre du litige national ; qu'à la suite de cet arrêt la société Roquette a, par assignation du 9 mars 1995, saisi le tribunal d'instance de Lille d'une demande en restitution des montants compensatoires monétaires qu'elle avait vainement réclamés par son assignation du 18 juillet 1978 ; que, par jugement du 17 septembre 1996, cette juridiction a déclaré la demande de la société Roquette irrecevable ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Roquette fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement du tribunal d'instance alors, selon le pourvoi, 1° que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque la demande est fondée sur une cause différente de celle qui a donné lieu au jugement ; qu'en l'espèce, lors de la première procédure, pour solliciter le remboursement des montants compensatoires monétaires indûment perçus par l'Etat français, en raison de la non-validité du règlement de la Commission n° 652/76 du 24 mars 1976, pris en application du règlement du Conseil n° 974/71 du 12 mai 1971, la société Roquette frères a fait valoir que le juge français n'était pas lié par la partie de la décision de la Cour de justice des communautés européennes du 15 octobre 1980, qui avait décidé que la non-validité des règlements de la Commission, ne permettait pas de remettre en cause la perception ou le paiement de montants compensatoires monétaires, effectués par les autorités nationales pour la période antérieure à sa décision ; que lors de la seconde procédure, au soutien de sa demande, la société Roquette Frères a invoqué la décision de la Cour de justice des communautés européennes du 26 avril 1994 qui, après avoir déclaré non-valide le règlement de la Commission n° 2719/75 du 24 octobre 1975, également pris en application du règlement du Conseil n° 974/71 le 12 mai 1971, a dit pour droit qu'un opérateur qui, avant la date de son arrêt, introduit devant une juridiction nationale un recours dirigé contre un avis de perception de montants compensatoires monétaires, adopté sur le fondement d'un règlement communautaire déclaré invalide, en vertu de sa décision est en droit de se prévaloir de cette invalidité dans le cadre d'un litige national, et que le même droit est ouvert aux opérateurs qui avant la date précitée, ont présenté une réclamation administrative pour obtenir le remboursement des montants compensatoires monétaires qu'ils ont perçus sur le fondement d'un tel règlement ; que les demandes de la société Roquette Frères étaient ainsi fondées sur des causes différentes, en sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1351 du Code civil ; alors, 2° que lors de la première procédure, la cour d'appel d'Amiens, dans son arrêt du 1er juin 1987, ne s'était pas prononcée sur la question de la portée de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 26 avril 1994, sur les droits de la société Roquette Frères de réclamer restitution des montants compensatoires monétaires, indûment perçus par l'Etat français, qui ne lui avait pas été soumise ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc violé les dispositions de l'article 1351 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que les deux actions successives de la société Roquette étaient fondées sur la même cause puisque, dans les deux procédures, il est demandé au juge de tirer les conséquences de l'invalidité du même règlement communautaire, fixant le taux des montants compensatoires monétaires applicable aux productions de la société Roquette ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Sur les deuxième et troisième moyens, pris en leurs deux branches :

Attendu que la société Roquette fait encore grief à l'arrêt, d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, 1° que si l'article 177 du Traité de Rome n'impose pas à une cour d'appel de poser à la Cour de justice des Communautés européennes une question préjudicielle sur l'interprétation ou la validité d'un acte communautaire, il oblige toute juridiction nationale à tenir compte de la réponse donnée, dans la mesure où ce droit est applicable aux faits de la cause ; la Cour de justice des Communautés européennes, qui dans son arrêt du 26 avril 1994 a dit pour droit qu'un opérateur qui, avant la date de sa décision, a introduit devant une juridiction nationale un recours dirigé contre un avis de perception de montants compensatoires monétaires, adopté sur le fondement d'un règlement communautaire déclaré invalide, en vertu de cette décision est en droit de se prévaloir de cette invalidité, dans le cadre du litige national et que le même droit est ouvert aux opérateurs qui, avant la date précitée, ont présenté une réclamation administrative pour obtenir le remboursement des montants compensatoires monétaires, qu'ils ont payés sur le fondement d'un tel règlement ; qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel n'a pas tiré des énonciations de l'arrêt du 26 avril 1994, de la Cour de justice les conséquences qui devaient en résulter et partant, a violé l'article 177 du traité de Rome, et alors, 2° qu'en déclarant que l'arrêt du 26 avril 1994 de la Cour de justice des Communautés Européennes limitait les catégories d'opérateurs concernés, en excluant ceux dont les litiges ont déjà été définitivement tranchés en droit interne, la cour d'appel a dénaturé les termes de cet arrêt, en violation des articles 177 du traité de Rome et 1134 du Code civil ; alors, 3° que si les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes des 15 octobre 1980 et 26 avril 1994 ont prononcé l'invalidité des règlements communautaires n° 652/76 du 24 mai 1976 et n° 2719/75 du 24 octobre 1975, la question litigieuse soumise à la juridiction européenne était identique s'agissant des effets de cette invalidité à l'égard du justiciable qui a fait valoir ses droits devant un juge national ou une autorité administrative, la seconde décision créant des exceptions à l'effet ex nunc de la décision d'invalidité que n'avait pas reconnu la première, qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a derechef méconnu les dispositions de l'article 177 du traité de Rome ;

Mais attendu que, dans son arrêt du 1er juin 1999 (Eco Swiss China Time), la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que le droit communautaire n'impose pas à une juridiction nationale d'écarter les règles de procédure internes dès lors qu'une sentence arbitrale, même rendue de façon contraire au droit communautaire, a acquis l'autorité de la chose jugée et est devenue irrévocable ; que c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 26 avril 1994, qu'elle n'a pas dénaturé, ne pouvait avoir pour effet de remettre en cause l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt, devenu irrévocable, rendu le 1er juin 1987 par la cour d'appel d'Amiens ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que la société Roquette fait enfin grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, que toute personne a le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait la cour d'appel a par là même nié le droit de la société Roquette frères, né de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes du 26 avril 1994, d'exercer un recours effectif pour réclamer le remboursement des montants compensatoires monétaires indûment perçus par l'Etat Français et partant, violé les articles 4 du Code civil et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 26 avril 1994 ne faisait naître aucun droit pour la société Roquette à obtenir la restitution des montants compensatoires monétaires litigieux, le recours introduit par elle devant les juridictions nationales ayant déjà pris fin par l'arrêt passé en force de chose jugée et devenu irrévocable rendu le 1er juin 1987, par la cour d'appel d'Amiens ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 98-12878
Date de la décision : 14/06/2000
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° CHOSE JUGEE - Identité de cause - Communauté européenne - Règlement communautaire - Règlement invalide - Montants compensatoires monétaires - Actions successives en restitution.

1° Une cour d'appel retient à bon droit que les deux actions successives d'un opérateur économique en restitution de montants compensatoires monétaires étaient fondées sur la même cause puisque, dans les deux procédures, il est demandé au juge de tirer les conséquences de l'invalidité du même règlement communautaire fixant le taux des montants compensatoires monétaires applicables aux productions de cet opérateur.

2° COMMUNAUTE EUROPEENNE - Cour de justice des Communautés - Décisions - Obligation pour le juge national de s'y conformer - Limite - Chose jugée - Décision irrévocable.

2° CHOSE JUGEE - Décision dont l'autorité est invoquée - Jugement étranger - Cour de justice des Communautés - Limites - Décision nationale irrévocable.

2° Dans son arrêt du 1er juin 1999 (Eco Swiss China Time), la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que le droit communautaire n'impose pas à une juridiction nationale d'écarter les règles de procédure internes dès lors qu'une sentence arbitrale, même rendue de façon contraire au droit communautaire, a acquis l'autorité de la chose jugée et est devenue irrévocable. C'est dès lors à bon droit qu'une cour d'appel retient que l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 26 avril 1994 (Roquette), qu'elle n'a pas dénaturé, ne pouvait avoir pour effet de remettre en cause l'autorité de la chose jugée qui s'attache à un arrêt devenu irrévocable.

3° DOUANES - Droits - Communauté européenne - Montants compensatoires monétaires - Restitution - Refus - Chose jugée - Recours effectif - Privation (non).

3° Une cour d'appel retient à bon droit que l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 26 avril 1994 (Roquette) ne faisait naître aucun droit pour un opérateur économique à obtenir la restitution de montants compensatoires monétaires pour lesquels le recours introduit par lui devant les juridictions nationales avait déjà pris fin par un arrêt passé en force de chose jugée et devenu irrévocable et, dès lors, n'a pas privé cet opérateur d'un recours effectif au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.


Références :

3° :
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales art. 6

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 12 janvier 1998


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 14 jui. 2000, pourvoi n°98-12878, Bull. civ. 2000 IV N° 123 p. 111
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2000 IV N° 123 p. 111

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Dumas .
Avocat général : Avocat général : M. Feuillard.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Huglo.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Defrénois et Levis, la SCP Boré, Xavier et Boré.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2000:98.12878
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