AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Essonne, dont le siège est Immeuble Ile-de-France, ...,
en cassation de deux arrêts rendus les 6 juillet 1993 et 19 mai 1998 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre sociale, section A), au profit de la société Etablissements Régie nationale des Usines Renault, dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
En présence de : la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) de la Région Ile-de-France, dont le siège est ...,
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens uniques de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 16 mars 2000, où étaient présents : M. Gélineau-Larrivet, président, M. Leblanc, conseiller référendaire rapporteur, MM. Gougé, Ollier, Thavaud, Mme Ramoff, M. Dupuis, Mme Duvernier, M. Duffau, conseillers, M. Petit, Mme Guilguet-Pauthe, conseillers référendaires, Mme Barrairon, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la CPAM de l'Essonne, de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Etablissements Régie nationale des Usines Renault, les conclusions de Mme Barrairon, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que, le 8 juin 1989, sur le lieu de son travail, M. X... a ressenti une douleur au genou et a été hospitalisé ; que la société Renault a contesté la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle ; que la cour d'appel de Versailles, par arrêt du 6 juillet 1993, a déclaré irrecevable l'appel interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie contre la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale d'ordonner, avant-dire droit, une expertise judiciaire ; que l'arrêt du 19 mai 1998 a décidé que, dans les rapports employeur-Caisse, l'accident n'était pas d'origine professionnelle ;
Sur le moyen dirigé contre l'arrêt du 6 juillet 1993, commun à la première branche du moyen dirigé contre l'arrêt du 19 mai 1998:
Attendu que la Caisse fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable son appel alors, selon le moyen, que, d'une part, si le différend opposant une caisse à un assuré social ou à l'employeur de celui-ci fait apparaître une difficulté médicale relative à l'état de l'assuré, victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, le Tribunal ne peut statuer qu'après mise en oeuvre d'une expertise technique ; qu'en l'espèce, le litige faisait apparaître une difficulté d'ordre médical sur le lien de causalité entre le travail et la lésion dont le salarié se plaignait ; que cette difficulté relevait exclusivement de l'expertise technique ; qu'en ordonnant une expertise judiciaire ordinaire, les juges du fond ont violé les articles L. 141-1, R. 141-1 et R. 142-24 du Code de la sécurité sociale ; et alors que, d'autre part, eu égard à la portée qui s'attache à l'avis de l'expert désigné en application de l'article L. 141-1 du Code de la sécurité sociale, la décision qui refuse d'ordonner une expertise technique tranche par là même une question touchant au fond du droit et est donc susceptible d'un appel immédiat ; qu'en déclarant irrecevable l'appel interjeté contre une telle décision, la cour d'appel a violé les articles L. 141--1 et L. 141-2 du Code de la sécurité sociale, ensemble les articles 150, 272 et 544 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la contestation qui oppose l'employeur à l'organisme social sur le caractère professionnel d'une affection ne relève pas de la procédure d'expertise technique ; que dès lors, les juges du fond ont pu ordonner une expertise judiciaire par une décision avant-dire droit non susceptible d'appel immédiat ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur les trois dernières branches du moyen dirigé contre l'arrêt du 19 mai 1998 :
Attendu que la Caisse fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'accident n'était pas d'origine professionnelle alors, selon le moyen, premièrement, que l'expertise effectuée sur pièces, et non sur examen médical est dépourvue de force irréfragable et ne peut renverser à elle seule la présomption d'imputabilité au travail de l'accident survenu au lieu et au temps de travail ; qu'en l'espèce, l'expert a rendu son expertise sur pièces, en l'absence de tout examen de M. X... ; qu'en affirmant néanmoins que les conclusions d'une telle expertise s'imposaient et établissaient ainsi l'absence de tout lien de causalité entre le travail et l'accident de M. X..., la cour d'appel a violé l'article R. 142-24 du Code de la sécurité sociale ; alors deuxièmement qu'en outre, il appartient au juge qui entérine les conclusions d'une expertise réalisée sur pièces de justifier en quoi la mesure d'instruction a emporté sa conviction ; qu'en se bornant à reprendre purement et simplement les conclusions de l'expert en les qualifiant de claires et précises, sans préciser les raisons de sa conviction et sans s'interroger sur le point de savoir, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si l'examen médical de M. X... n'était pas susceptible d'établir un lien de causalité entre l'accident et le travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au
regard de l'article L. 141-1 du Code de la sécurité sociale ; alors, troisièmement, que, pour constater que la présomption d'imputabilité entre l'accident et le travail est détruite, les juges du fond ont l'obligation de relever que le travail n'a pu en aucun cas aggraver un état pathologique antérieur ; qu'en l'espèce, l'expert n'a pu affirmer que le travail effectué ce jour-là n'est pas susceptible d'avoir aggravé un état pathologique antérieur préexistant ; que si l'expert s'était ainsi prononcé sur les conséquences du travail effectué le jour de l'accident sur la lésion, il ne s'est pas en revanche prononcé sur les conséquences du travail effectué les autres jours sur ladite lésion ; qu'il appartenait en conséquence aux juges du fond de s'interroger sur le point de savoir si le travail effectué avant le jour de l'accident n'était pas de nature à aggraver l'état pathologique antérieur ; qu'en s'abstenant de procéder à une telle constatation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur le caractère prétendument obligatoire de l'avis de l'expert, a, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, estimé, compte tenu de l'ensemble des éléments de fait et de preuve soumis à son examen et notamment du rapport établi sur pièces, du fait que l'assuré ne s'était pas soumis à l'examen médical, que les lésions, constatées au temps et au lieu du travail ne sont pas d'origine professionnelle ; qu'elle en a exactement déduit que, dans les rapports entre la caisse et l'employeur, la présomption d'imputabilité de l'accident au travail se trouvait détruite ;
d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la CPAM de l'Essonne aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de la CPAM de l'Essonne et de la société Renault ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille.