AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Pierre X..., demeurant ..., 77320 Dagny,
en cassation de l'arrêt rendu le 25 novembre 1997 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), au profit de la société anonyme compagnie Corse-Méditerranée, dont le siège est Campo del Oro, 20000 Ajaccio,
défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 février 2000, où étaient présents : M. Merlin, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Soury, conseiller référendaire rapporteur, M. Brissier, Mme Lemoine Jeanjean, conseillers, M. Kehrig, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Soury, conseiller référendaire, les observations de Me Luc-Thaler, avocat de M. X..., de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la société compagnie Corse-Méditerranée, les conclusions de M. Kehrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. X... a été engagé à compter du 22 octobre 1991 par la compagnie Corse-Méditerranée en qualité de commandant de bord sur ATR 72 ; qu'un avenant à son contrat de travail prévoyait qu'il devrait suivre une formation pratique au brevet de pilote de ligne sur ATR pour être ensuite qualifié sur Fokker 100 ; qu'au terme d'une convention d'amortissement signée le 28 septembre 1992, M. X... s'est notamment engagé à rembourser à la compagnie aérienne les frais engagés pour sa formation dans le cas où il viendrait à quitter cette compagnie avant l'issue de cette formation ; qu'ayant échoué à 2 reprises à l'examen pratique, sa candidature à l'un des postes de commandant de bord sur Fokker 100 a été rejetée par l'employeur ; qu'il a démissionné de son emploi le 30 août 1993 ; que soutenant que la compagnie n'avait pas respecté son engagement contractuel de lui permettre d'obtenir la qualification Fokker 100, il a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de diverses sommes à titre de perte de salaire, congés payés, 13ème mois et dommages-intérêts pour préjudice professionnel et moral ;
que l'employeur a sollicité reconventionnellement le remboursement des frais de formation en application de la convention d'amortissement ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de ses demandes en paiement de sommes au titre de perte de salaire et de dommages-intérêts alors, selon le moyen, que, d'une part, l'article 6-3-3-1 de l'arrêté du 5 novembre 1987, modifié par l'arrêté du 14 août 1991, dispose qu'un pilote doit, avant toute prise de fonction comme commandant de bord d'un avion multiréacteur d'une masse supérieure à 20 00 kg, avoir satisfait à un contrôle spécifique dont les modalités sont fixées par l'annexe XIX, dont ne sont dispensés que les pilotes ayant passé avec succès les épreuves pratiques définies par l'arrêté du 28 octobre 1988 ; que l'arrêt relève que le ministre des transports a précisé à la compagnie Corse-Méditerranée que ce contrôle spécifique concernait les anciens PP1 ayant obtenu leur licence de pilote de ligne par équivalence et qu'il appartenait par conséquent à la compagnie de prendre les dispositions nécessaires pour que les pilotes concernés subissent ce contrôle ; qu'en retenant que les anciens PP1 qui avaient obtenu leur licence de pilote de ligne par équivalence pouvaient devenir commandant de bord d'avions supérieurs à 20 000 kg en subissant avec succès les épreuves pratiques imposées pour la licence de pilote de ligne, la cour d'appel a violé l'article 6-3-3-1 de l'arrêté du 5 novembre 1987 modifié par l'arrêté du 14 août 1991 ; que, d'autre part, l'avenant au contrat de travail de M. X... conclu le 15 octobre 1991 prévoyait d'une part qu'il "suivra la formation pratique au brevet de pilote de ligne sur ATR dans les 6 mois suivant l'obtention de l'oral d'anglais du brevet de pilote de ligne" et d'autre part qu'il "sera qualifié Fokker 100 pour la mise en service du 2ème Fokker 100 de la compagnie", sans faire dépendre cette qualification Fokker 100 de la formation au brevet de pilote de ligne ; que dès lors, en retenant que l'avenant prévoyait que M. X... suivrait la formation pratique au brevet de pilote de ligne pour être qualifié Fokker 100 et qu'il ne pourrait exercer les fonctions de commandant de bord d'un Fokker 100 qu'en cas de succès aux épreuves pratiques du brevet de pilote de ligne, la cour d'appel a dénaturé le sens clair et précis de l'avenant du 15 octobre 1991 et a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ; que, enfin, en application de l'article 6-3-3-1 de l'arrêté du 5 novembre 1987 modifié par l'arrêté du 14 août 1991, M. X..., qui avait obtenu sa licence de pilote par équivalence devait, pour devenir commandant de bord d'un Fokker 100, subir le contrôle spécifique prévu par l'arrêté du 5 novembre 1987 ; qu'en application de l'avenant du 15 octobre 1991, ce contrôle devait être effectué de façon à ce que M. X... puisse occuper le poste de commandant de bord du 2ème Fokker 100 mis en service par la compagnie; que dès lors, en décidant que la compagnie avait exécuté les engagements souscrits envers M. X... tout en constatant qu'elle n'avait pas fait subir à celui-ci le contrôle spécifique lui permettant d'être qualifié comme commandant de bord d'un Fokker 100, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article 6-3-3-1 de l'arrêté du 5 novembre 1987 relatif aux conditions d'utilisation des avions exploités par une entreprise de transport aérien, que nul ne peut être commandant de bord d'un avion multiréacteur de masse maximale au décollage certifiée supérieure à 20 000 kg s'il n'est titulaire de la licence de pilote de ligne et s'il n'a satisfait à un contrôle par un pilote instructeur; que le dernier alinéa de ce texte précise que les pilotes ayant satisfait à un contrôle portant sur certaines épreuves pratiques pour l'obtention du brevet et de la licence de pilote de ligne sont dispensés de ce contrôle supplémentaire ;
Et attendu que c'est aux termes d'une interprétation souveraine, rendue nécessaire par l'ambiguïté des dispositions de l'avenant au contrat de travail, que la cour d'appel a estimé que les parties avaient eu la volonté de soumettre M. X..., titulaire de la licence de pilote de ligne par équivalence, au contrôle portant sur les épreuves pratiques ouvrant droit, en application du dernier alinéa de l'article 6-3-3-1 précité, à la dispense du contrôle supplémentaire pour l'accès aux fonctions de commandant de bord sur Fokker 100 ; qu'elle en a exactement déduit que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation contractuelle de permettre à M. X... d'accéder aux dites fonctions ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner M. X... à rembourser à son employeur les frais de sa formation, l'arrêt attaqué énonce que la convention d'amortissement signée entre les parties précise clairement le coût de la formation ; que l'article 4 de cette convention stipule "si M. X... venait à quitter la compagnie Corse-Méditerranée en cours de formation, il serait tenu au règlement immédiat des frais engagés par la compagnie depuis le début de la formation jusqu'au moment de son départ" ; qu'il résulte de cette clause qu'en cas de rupture du contrat de travail imputable à M. X..., avant l'obtention du brevet de pilote de ligne, celui-ci est tenu au remboursement des frais de formation ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié avait démissionné, non pas en cours de formation, mais après ses échecs à l'examen de contrôle portant sur les épreuves pratiques visées à l'article 6-3-3-1 de l'arrêté du 5 novembre 1987 qui sanctionnait cette formation, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition condamnant M. X... à rembourser à la compagnie Corse-Méditerranée les frais de sa formation, l'arrêt rendu le 25 novembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société compagnie Corse-Méditerranée ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille.