La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/04/2000 | FRANCE | N°99-13627

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 18 avril 2000, 99-13627


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mars 1999), qu'en qualité de concessionnaire de collectivités locales, la société Numéricâble diffuse des services audiovisuels sur un réseau câblé appartenant à la société France Télécom ; que le tarif de la redevance due à celle-ci par la société Numéricâble, antérieurement révisé à plusieurs reprises, a été contractuellement fixé jusqu'au 31 décembre 1998 ; que, se référant à l'application du protocole antérieurement applicable, souscrit le 29 mai 1992, la société France Télécom a notifié à la société Numéri

câble une importante augmentation du tarif ; qu'invoquant l'aggravation importante de ses...

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mars 1999), qu'en qualité de concessionnaire de collectivités locales, la société Numéricâble diffuse des services audiovisuels sur un réseau câblé appartenant à la société France Télécom ; que le tarif de la redevance due à celle-ci par la société Numéricâble, antérieurement révisé à plusieurs reprises, a été contractuellement fixé jusqu'au 31 décembre 1998 ; que, se référant à l'application du protocole antérieurement applicable, souscrit le 29 mai 1992, la société France Télécom a notifié à la société Numéricâble une importante augmentation du tarif ; qu'invoquant l'aggravation importante de ses difficultés financières qui résulterait d'une telle augmentation, injustifiée selon elle, et les risques de subir la suspension de " la mise à sa disposition des capacités de transport et de distribution des signaux " prévue par les conventions d'établissement, en leur article 29, pour le cas de défaut de paiement, ainsi que son remplacement par un autre opérateur, la société Numéricâble a saisi le Conseil de la concurrence en reprochant à la société France Télécom des pratiques illicites contraires au titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et a demandé des mesures conservatoires ; que le Conseil, dont la décision a été confirmée par l'arrêt, a enjoint à la société France Télécom de ne pas mettre en oeuvre les dispositions de l'article 29 des conventions d'établissement jusqu'à sa décision au fond ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société France Télécom fait grief à l'arrêt d'admettre la compétence du Conseil de la concurrence, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le Conseil de la concurrence n'a pas compétence pour se prononcer sur un litige d'ordre contractuel que la saisine que la société NC Numéricâble a transmis au Conseil de la concurrence avait pour seul objet la tarification des services fournis par France Télécom sur les réseaux du Plan Câble ; que cette tarification était déterminable en exécutant les accords contractuels qui prévoyaient en cas de désaccord l'intervention d'un collège d'experts ; que dès lors, en se déclarant valablement saisi, le Conseil de la concurrence s'est substitué à la volonté des parties pour fixer un prix déterminable par application des conventions successives liant les parties qui, par ailleurs, prévoyaient une clause de règlement amiable des litiges, et a violé les articles 7, 8, 11 et 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, que la saisine que la société NC Numéricâble a transmis au Conseil de la concurrence avait pour seul objet la tarification des services fournis par France Télécom sur les réseaux du Plan Câble, la société NC Numéricâble considérant que la redevance exigée était excessive ; que pour justifier la compétence du Conseil de la concurrence, la cour d'appel a énoncé qu'il avait été saisi pour examiner si les pratiques de France Télécom dénoncées par la société NC Numéricâble étaient de nature à constituer des infractions à l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et à l'article 86 du traité de Rome ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que le Conseil de la concurrence n'a compétence que pour examiner si les " pratiques " dont il est saisi entrent dans le champ des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en l'espèce le Conseil de la concurrence a été saisi d'un litige portant sur l'application des accords contractuels de 1992 et 1996 afin de tarifer les services fournis par France Télécom sur les réseaux du Plan Câble ; qu'ainsi l'examen de l'application des accords contractuels ne constituait aucunement l'examen d'une " pratique illicite " au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance susvisée, justifiant la compétence du Conseil de la concurrence ; que dès lors en déclarant qu'il était compétent pour examiner si les " pratiques " en cause de France Télécom étaient susceptibles de constituer des infractions audit article 8, la cour d'appel a violé les articles 7, 8, 11 et 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que, sans méconnaître l'objet du litige, la cour d'appel a pu retenir la compétence du Conseil de la concurrence pour ordonner des mesures conservatoires, en considérant que celles-ci avaient pour objet non pas la fixation des tarifs applicables entre les parties, par substitution à leur échange de consentements, ou à une décision arbitrale, mais la prévention d'un risque d'exploitation abusive d'un état de dépendance économique, eu égard à la prétention de la société France Télécom de fixer ces tarifs unilatéralement sous des menaces de sanctions mettant en péril la survie de la société Numéricâble ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société France Télécom fait grief à l'arrêt de la considérer en position d'exploiter abusivement sa position dominante ou l'état de dépendance de sa partenaire, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle exposait dans son recours que la société NC Numéricâble et elle étaient en situation de monopole bilatéral et de dépendance réciproque ; que cette situation résultait de la relation tripartite (commune, France Télécom, NC Numéricâble) imposée par les pouvoirs publics et qui impliquait que seule la commune avait le choix du câblo-opérateur et imposait à France Télécom des obligations tant à son égard qu'à l'égard de NC Numéricâble ; qu'ainsi France Télécom n'était pas en position dominante mais partageait avec la société NC Numéricâble un monopole qui s'était trouvé imposé par l'Etat ; qu'en ne répondant pas à ce moyen de nature à démontrer l'absence de position dominante de France Télécom, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en ce qui concerne l'application de l'article 29 de la Convention, la société France Télécom faisait précisément valoir que l'article 31 de ladite Convention relatif au rôle alors joué par la commune réduisait à néant le risque de coupure effective ; qu'en effet, la ville devant être tenue informée du défaut de paiement des redevances, elle s'engageait à intervenir auprès de la société d'exploitation commerciale du réseau pour lui faire respecter ses engagements pris au titre de la Convention et, à défaut de résultat, elle s'engageait à prendre toutes les dispositions avec l'accord de France Télécom pour éviter une interruption de l'exploitation commerciale du service ; qu'en se bornant à énoncer qu'il était loisible à la société France Télécom de mettre en oeuvre les dispositions de l'article 29 de la Convention, sans répondre au moyen tiré du rôle que la commune pouvait jouer en tant que partie au contrat la cour d'appel a encore violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la société France Télécom insistait encore sur le fait qu'en cas de reprise d'exploitation du réseau par un concurrent, les chaînes existantes seraient remplacées par de nouveaux programmes et que cette modification devait être acceptée par la commune ; qu'en outre le choix de l'opérateur était laissé à la commune ; qu'ainsi France Télécom ne pouvait de sa propre initiative substituer d'autres programmes à ceux de Numéricâble, et qu'en toute occurrence la reprise du réseau par un concurrent relevait de l'acceptation de la commune de sorte que sur ce point aucune position dominante ne pouvait lui être reprochée ; qu'en se bornant à énoncer que la reprise du réseau par un concurrent était possible, sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a, à nouveau, violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que pour écarter les prétentions citées au moyen, l'arrêt se réfère expressément à l'analyse, développée par le Conseil de la concurrence, dans sa décision, selon laquelle si " la licéité d'une coupure du signal par France Télécom " relève de l'appréciation du seul juge compétent, le risque de la compatibilité d'une telle mesure avec les dispositions légales et contractuelles relatives à la constitution du réseau est sérieux, ainsi que celui de sa mise en oeuvre par la société propriétaire des infrastructures ; que l'arrêt en retient qu'en cas de défaillance de la société Numéricâble, son remplacement par un concurrent est possible ; que l'arrêt relève, en outre, que la société Numéricâble est en situation de dépendance par rapport à la société France Télécom, les infrastructures de celles-ci étant essentielles et sans alternative pour elle ; qu'ainsi la cour d'appel a répondu aux conclusions invoquées, sans avoir à apprécier dans quelle mesure les collectivités locales concédantes s'opposeraient à un changement d'opérateur, en l'absence d'indication par la société France Télécom sur les justifications concrètes d'une attitude générale de leur part en ce sens ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société France Télécom fait grief à l'arrêt de l'insuffisance de ses constatations sur des pratiques illicites justifiant les mesures prises, alors, selon le pourvoi, que l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 subordonne les mesures protectrices qu'il organise à la constatation de faits manifestement illicites constitutifs de pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance précitée ; qu'en se bornant à énoncer qu'il ne " pouvait " être exclu, sous réserve d'une instruction au fond, que la société France Télécom ait mis en oeuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d'appel a caractérisé son impossibilité de constater l'existence effective de faits manifestement illicites constitutifs d'une pratique prohibée par l'article 8 de l'ordonnance précitée ; de sorte qu'en organisant cependant des mesures conservatoires elle a violé les articles 8 et 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que des mesures conservatoires peuvent être décidées, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, par le Conseil de la concurrence, dans les limites de ce qui est justifié par l'urgence, en cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, même sans constatation préalable de pratiques manifestement illicites au regard des articles 7, 8, ou 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction dans la procédure au fond, sont suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l'atteinte relevée ; que, soutenant une règle contraire, le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société France Télécom fait grief à l'arrêt de considérer les pratiques dénoncées comme portant une atteinte grave et immédiate à la société Numéricâble, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les mesures conservatoires que le Conseil de la concurrence peut prendre ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée " porte une atteinte grave et immédiate " à l'entreprise plaignante ; que les tarifs de la redevance proposés par la société France Télécom n'étaient pas fixés, et en appliquant le système de facturation résultant des accords de 1992, ils ne le seraient qu'aux termes d'une complète année d'activité soit en l'an 2000, de sorte qu'il ne pouvait y avoir une " atteinte grave et immédiate " à l'existence de la société Numéricâble ; qu'ainsi les conditions d'application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'étant pas réunies, la cour d'appel ne pouvait prendre aucune mesure conservatoire, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, elle a violé l'article 12 de l'ordonnance précitée ; alors, d'autre part, que la société France Télécom exposait à l'appui de son recours que pour que les conditions d'application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 soient réunies, il fallait qu'il y ait urgence et péril en la demeure ; que les tarifs de la redevance n'ayant pas été fixés, ainsi qu'il est indiqué dans la première branche, il ne pouvait y avoir ni urgence ni péril en la demeure ; qu'en ne répondant pas à ce moyen de nature à démontrer que les conditions d'application de l'article 12 de l'ordonnance précitée n'étaient pas réunies, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, encore, que l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 subordonne les mesures protectrices qu'il organise à la double constatation de faits manifestement illicites qui portent une atteinte grave et immédiate à l'entreprise plaignante ; que pour considérer que les conditions d'application de ce texte étaient réunies, la cour d'appel a seulement constaté que l'ampleur de la hausse de la redevance que la société France Télécom entendait imposer était " de nature à mettre immédiatement en péril l'existence de la société NC Numéricâble " ; qu'il ne résulte pas de ces constatations l'existence de faits manifestement illicites, à savoir une hausse avérée de la redevance, portant à la date de la décision attaquée une atteinte grave et immédiate à la société NC Numéricâble ; qu'en énonçant cependant que les conditions d'application de l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 étaient réunies, la cour d'appel a violé, par fausse application, ledit article ; et alors, enfin, que pour considérer que les conditions d'application de l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 étaient réunies, la cour d'appel a encore énoncé que " l'interruption du signal en cas de non-paiement de la redevance porterait une atteinte grave et immédiate aux intérêts commerciaux de l'entreprise plaignante " ; qu'il ne résulte pas de cette constatation l'existence de faits manifestement illicites, à savoir une interruption avérée du signal, portant à la date de la décision attaquée une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la société NC Numéricâble ;

que dès lors les conditions d'application de l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'étant pas réunies, la cour d'appel a faussement appliqué ledit article ;

Mais attendu que c'est par une appréciation souveraine de l'ensemble des éléments de preuve soumis à son examen que la cour d'appel a retenu comme pressante et d'application immédiate l'exigence de forte augmentation de redevance notifiée par la société France Télécom à la société Numéricâble ; que, répondant ainsi aux moyens invoqués, elle a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 99-13627
Date de la décision : 18/04/2000
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° CONCURRENCE (ordonnance du 1er décembre 1986) - Pratique anticoncurrentielle - Procédure - Conseil de la concurrence - Procédure d'urgence - Mesures conservatoires - Objet - Prévention d'un risque d'exploitation abusive.

1° Une cour d'appel a pu retenir la compétence du Conseil de la concurrence pour ordonner des mesures conservatoires, en considérant que celles-ci avaient pour objet, non pas la fixation des tarifs applicables entre les parties, par substitution à leur échange de consentements ou à une décision arbitrale, mais, la prévention d'un risque d'exploitation abusive d'un état de dépendance économique, eu égard à la prétention d'une des parties de fixer ces tarifs unilatéralement sous des menaces de sanctions mettant en péril la survie de l'autre.

2° CONCURRENCE (ordonnance du 1er décembre 1986) - Pratique anticoncurrentielle - Procédure - Conseil de la concurrence - Procédure d'urgence - Mesures conservatoires - Prononcé - Condition.

2° En cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, le Conseil de la concurrence peut, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, décider de mesures conservatoires dans la limite de ce qui est justifié par l'urgence, sans avoir à constater préalablement des pratiques manifestement illicites, dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction dans la procédure au fond, sont suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l'atteinte relevée.


Références :

2° :
ordonnance 86-1243 du 01 décembre 1986 art. 12

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 15 mars 1999


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 18 avr. 2000, pourvoi n°99-13627, Bull. civ. 2000 IV N° 75 p. 65
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2000 IV N° 75 p. 65

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Dumas .
Avocat général : Avocat général : M. Feuillard.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Leclercq.
Avocat(s) : Avocats : M. Copper-Royer, la SCP Piwnica et Molinié, M. Ricard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2000:99.13627
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award