AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Alain Y..., demeurant ..., Le Genetay, 76840 Saint-Martin-de-Boscheville,
en cassation d'un arrêt rendu le 4 février 1998 par la cour d'appel de Rouen (1re Chambre civile), au profit de M. Maxime Z..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 26 janvier 2000, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Philippot, conseiller rapporteur, MM. Boscheron, Toitot, Mme Di Marino, M. Bourrelly, Mme Stéphan, MM. Peyrat, Guerrini, Dupertuys, conseillers, M. Pronier, conseiller référendaire, M. Sodini, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Philippot, conseiller, les observations de SCP Ghestin, avocat de M. Y..., de Me Roger, avocat des consorts Z..., de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de Mme Judith X..., les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 4 février 1998), que, le 19 octobre 1979, M. Y... et Mme Annick Z..., son épouse, ont acquis un terrain et un pavillon ; qu'ils ont contracté un prêt auprès du Crédit mutuel pour financer cette acquisition et l'agrandissement du bâtiment existant ; que les échéances de ce prêt étant impayées, le Crédit mutuel leur a fait délivrer un commandement aux fins de saisie immobilière, que M. et Mme Z..., les parents de Mme Y..., se proposant d'acquérir ce pavillon, le Crédit mutuel a donné mainlevée de sa saisie immobilière et l'immeuble leur a été vendu le 12 avril 1989 pour 160 000 francs ; que M. et Mme Z... ont donné ce pavillon, le 21 mai 1991, à leur fille, Mme Y..., en avancement d'hoirie ; que, le 25 juin 1990, le divorce des époux Y... a été prononcé, M. Y... étant représenté par Mme Judith Dao-Synave, avocat ; que, le 16 décembre 1993, le tribunal de grande instance de Rouen a condamné M. Y... à payer 366 785,53 francs au Crédit mutuel et a dit que Mme Annick Z..., divorcée Y..., serait tenue de le garantir à concurrence de la moitié de cette condamnation ; que, le 1er février 1994, M. Y... a assigné M. Z... et Mme Annick Z..., son ex-épouse, en nullité de la vente intervenue le 12 avril 1989 et, à titre subsidiaire, Mme Dao-Synave en garantie des condamnations prononcées à son encontre par le tribunal de grande instance de Rouen ;
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en nullité de la vente, alors, selon le moyen, "1 / que l'erreur sur la substance est une cause de nullité de la convention lorsqu'elle a présenté un caractère déterminant pour la victime de l'erreur ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que M. Y... avait subordonné son accord pour la vente de l'immeuble litigieux à la condition qu'il soit totalement déchargé du coût des crédits consentis par le Crédit mutuel et le Crédit agricole, condition qui avait été expressément formulée par le mandataire de M. Y... au mandataire des consorts Z... avant la conclusion de la vente ; qu'en estimant, dès lors, que l'erreur de M. Y..., qui croyait être déchargé de toute obligation envers les banques, n'avait pas porté sur une qualité substantielle convenue entre les parties, au motif qu'il ne démontrait pas qu'il aurait exigé être libéré à l'égard du Crédit mutuel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant l'article 1110 du Code civil ; 2 / que la contradiction des motifs équivaut à un défaut de motif ; que la cour d'appel a énoncé, d'une part, qu'il résultait des correspondances échangées entre les parties aux mois de juin et octobre 1988 que M. Y... avait seulement exigé d'être libéré envers le Crédit agricole ; que la cour d'appel a énoncé, d'autre part, que, par différents courriers, le mandataire de M. Y... a indiqué au mandataire des consorts Z..., avant la vente de l'immeuble, que M. Y... subordonnait son accord pour la vente de cet immeuble à sa libération des deux prêts et notamment du solde restant dû sur le prêt consenti par le Crédit mutuel ; qu'en statuant par de tels motifs contradictoires, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3 / que si l'erreur invoquée doit porter sur la substance de la chose ou une qualité convenue entre les parties, il n'est pas nécessaire, pour justifier la nullité de la convention, qu'elle ait été commune entre les cocontractants ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1110 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant souverainement retenu, par motifs propres et adoptés, que les courriers versés aux débats, échangés entre M. Y... lui-même ou son conseil et les époux Z... n'établissaient pas que les transactions eussent, à aucun moment, porté soit sur une renonciation du Crédit mutuel à sa créance, soit sur une prise en charge du solde dû à la banque par M. Z..., que ni la promesse de vente ni l'acte de vente ne faisaient état d'un tel accord, et constaté que le prix payé par les époux Z..., auquel s'ajoutaient les dépenses faites pour le compte de la communauté Jeanne-Lesoive, représentait le prix réel de l'immeuble, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif surabondant, sans se contredire, en a déduit que M. Y... n'établissait pas l'existence d'une erreur susceptible d'entraîner l'annulation de la vente ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 30 000 francs la condamnation de Mme Dao-Synave, alors, selon le moyen, "que l'auteur d'une faute doit réparer intégralement le préjudice certain et direct provoqué par sa faute ; qu'il résulte des constatations de !'arrêt attaqué que M. Y... avait expressément indiqué à son avocat, Mme Dao-Synave, qu'il subordonnait son consentement à la vente litigieuse à sa décharge de toute obligation envers le Crédit mutuel et que cet avocat a engagé son client à signer l'acte sans même l'aviser qu'il resterait tenu de payer la créance du Crédit mutuel ; qu'en énonçant que, par la faute de cet avocat, M. Y... avait seulement perdu une chance de négocier la vente à des conditions plus favorables, alors qu'il avait subi un préjudice certain et direct constitué par le maintien de ses engagements envers le Crédit mutuel, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que Mme Dao-Synave, qui était informée de l'intention de son client d'être déchargé du paiement de la créance du Crédit mutuel, avait manqué à son devoir de conseil en engageant, par lettre du 10 novembre 1988, son client à signer l'acte de vente sans l'aviser qu'il resterait tenu de payer la créance du Crédit mutuel, et retenu qu'en passant l'acte de vente, M. Y... avait perdu une chance de négocier la vente à des conditions plus favorab!es, soit en obtenant du Crédit mutuel une remise partielle de créance, soit en obtenant de M. Z..., pour éviter à sa fille les aléas d'une vente judiciaire, la prise en charge d'une partie de la dette, comme il l'avait fait à l'égard du Crédit agricole, la cour d'appel a pu en déduire que la créance de la banque ne se confondait pas avec le montant du préjudice causé par la faute commise par l'avocat qu'elle a fixé souverainement ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. Y... à payer à Mme Dao-Synave la somme de 9 000 francs et aux consorts Z... la somme de 9 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille.