CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- le Comité national contre le tabagisme, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 20 octobre 1998, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Jan X..., Robertus Y... et Johanes Z..., des chefs d'infractions au Code de la santé publique.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 355-27, II, et L. 355-31 du Code de la santé publique, de l'article 9 de l'arrêté du 26 avril 1991 pris en application de l'article L. 355-27, II, susvisé et des articles 2, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Johanes Z..., Robertus Y... et Jan X... du chef d'infraction aux dispositions relatives à la lisibilité et à la visibilité des messages sanitaires, en l'occurrence, l'exigence de caractères gras, et a en conséquence débouté le CNCT de ses demandes de réparation civile ;
" aux motifs adoptés que le CNCT prétend que pour les deux premiers messages : " Fumer provoque des maladies cardio-vasculaires ", " Femmes enceintes : fumer nuit à la santé de votre enfant ", qui sont les plus longs, les dirigeants du groupe Rothmans ont délibérément choisi des caractères standards (et non pas des caractères gras) pour ne pas dépasser la surface minimale de 4 % imposée par le législateur ; que, pour le premier message (" Fumer provoque des maladies cardio-vasculaires "), il cite l'exemple des paquets de Peter Stuyvesant ultra light luxury length, Peter Stuyvesant filter et Peter Stuyvesant menthol light, annexés au procès-verbal de constat dressé par Me A...le 29 juillet 1996 ; que, pour le second message (" Femmes enceintes : fumer nuit à la santé de votre enfant "), il cite celui des paquets de Peter Stuyvesant menthol, Rothmans King Size extra légère et Rothmans King Size légère, annexés au même constat ; que le CNCT reproche encore au groupe Rothmans d'utiliser des caractères fins pour les messages sanitaires spécifiques figurant sur les paquets de Peter Stuyvesant menthol luxury length et de Golden American ligth 25 (les paquets de Peter Stuyvesant menthol King Size ayant été omis dans le dispositif de la citation) ; mais que l'examen de ces paquets ne met nullement en évidence l'infraction reprochée ; qu'en effet, le législateur n'ayant pas défini la notion de caractère gras, une telle notion ne peut s'apprécier que par comparaison aux mentions voisines ; qu'en l'occurrence, les avertissements sanitaires spécifiques sont imprimés en caractères plus épais et plus gros que les mentions " selon la loi " ou " Mild choice tabaccos " par exemple, qui figurent sur la même face du conditionnement ;
" et aux motifs propres que la Cour observe pour sa part que les caractères typographiques " gras " sont des caractères " épais " non définis par le législateur et que les caractères " Univers " conçus par Adrien B... ne sauraient servir valablement d'étalon ; qu'à l'examen des paquets incriminés, la Cour constate que les avertissements sanitaires sont clairs, visibles et imprimés en caractères gras ;
" alors que, dans ses conclusions d'appel, le CNCT critiquait la méthode suivie par les premiers juges pour vérifier si l'exigence de caractères gras était ou non respectée, en ce qu'ils avaient comparé l'épaisseur des caractères utilisés dans la mention sanitaire et celle des caractères employés pour les autres mentions figurant sur les mêmes paquets, au lieu de rechercher si les caractères de l'avertissement sanitaire correspondaient, au sein de leur propre police, à des caractères gras ; qu'en faisant sienne l'appréciation des premiers juges, sans répondre aucunement à cette objection, pourtant propre à remettre en cause le bien-fondé de cette appréciation, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, violant ainsi les articles 485 et 593 du Code de procédure pénale " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 355-27, II, et L. 355-31 du Code de la santé publique, de l'article 9 de l'arrêté du 26 avril 1991 pris en application de l'article L. 355-27, II, susvisé et des articles 2, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt a relaxé Johanes Z..., Robertus Y... et Jan X... du chef d'infractions aux dispositions relatives à la lisibilité et à la visibilité du message sanitaire, en l'occurrence l'exigence d'un fond contrastant, et a en conséquence débouté le CNCT de ses demandes de réparation civile ;
" aux motifs adoptés que le CNCT reproche à ce titre au groupe Rothmans de ne pas utiliser un fond contrastant pour les messages sanitaires figurant sur les paquets de Peter Stuyvesant extra light luxury length, Peter Stuyvesant filter 100's luxury length, Peter Stuyvesant filter luxury length et Golden filter 25 ; que, pour le premier de ces paquets, les avertissements sanitaires sont imprimés en caractère bleu métallisé sur fond doré, pour le second et le troisième, en caractère vert foncé sur fond doré, pour le dernier, en caractères bruns sur fond beige clair ou blanc cassé ; que le verbe contraster, non défini par le législateur, signifie : s'opposer, ressortir, trancher ; qu'en l'espèce, les couleurs choisies par les fabricants de tabac sur les paquets litigieux sont bien des couleurs contrastantes, au sens commun du terme, puisqu'il s'agit de caractères foncés sur fonds clairs ; qu'en tout état de cause, l'ensemble est conforme à l'esprit de la loi, à savoir que les messages sanitaires sont parfaitement lisibles et apparents ;
" et aux motifs propres que la Cour relève qu'un contraste constitue une opposition marquée entre deux choses, entre le sombre et le clair et non obligatoirement entre le noir et le blanc ; qu'il est réalisé dès lors que l'inscription ressort pleinement par rapport au fond, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'en définitive, la Cour, à l'examen des paquets de cigarettes incriminés, constate, comme le tribunal, que les avertissements sanitaires sont clairs, visibles, imprimés en caractères gras et sur fond contrastant ;
" alors que, dans ses conclusions d'appel, le CNCT reprochait aux premiers juges d'avoir apprécié le respect de l'exigence d'un fond contrastant par simple rapprochement entre les couleurs employées " en fond " de paquet et celles des caractères de la mention y apposée, mais sans tenir compte de ce que la couleur dorée, fréquemment employée, avait intrinsèquement un pouvoir réfléchissant de nature à réduire notablement voire, sous certains angles (de luminosité), anéantir totalement tout effet contrastant ; qu'en faisant sienne l'appréciation des premiers juges, sans répondre à cette objection, pourtant propre à remettre en cause le bien-fondé de cette appréciation, la cour d'appel a une nouvelle fois entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions concernant les défauts de fond contrastant et de caractères gras des avertissements sanitaires sur certains paquets de cigarettes n'était pas rapportée à la charge du prévenu, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 355-27, II, et L. 355-31 du Code de la santé publique, des dispositions de l'arrêté d'application du 26 avril 1991 et des articles 2, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, sur ce point infirmatif, a relaxé Johanes Z..., Robertus Y... et Jan X... du chef d'infractions à l'article L. 355-27 du Code de la santé publique, pour apposition, en exergue de la mention sanitaire exigée par ce texte, de la mention " selon la loi n° 91-32 ", et a en conséquence débouté la partie civile de ses demandes de réparation ;
" aux motifs que la mention " selon la loi n° 91-32 " consiste tout bonnement à indiquer l'origine du message sanitaire ; que l'indication de l'auteur de l'avertissement sanitaire ne porte pas atteinte à l'objectif d'une information claire et sans équivoque du consommateur en ce qui concerne les risques que la consommation des produits de tabac représente pour la santé publique ; qu'au demeurant l'article 4, paragraphe 3, de la directive du Conseil des Communautés européennes en date du 13 novembre 1989 dispose que les Etats membres peuvent prévoir que les avertissements visés aux paragraphes 1 et 2 sont accompagnés de la mention de l'autorité qui en est l'auteur, ce qui implique que, pour le législateur communautaire, l'apposition de la mention d'attribution ne ridiculise en rien le message qu'elle précède ; que la mention incriminée ne nuit nullement à la lisibilité du message sanitaire ; qu'elle n'entre pas dans le calcul du minimum de 4 % et figure en petits caractères, laissant une visibilité prépondérante au message sanitaire ; que, surtout, tout texte pénal est d'interprétation stricte ; que force est de constater que ni l'article 335-27 lire L. 355-27 du Code de la santé publique ni l'article 9 de l'arrêté du 26 avril 1991 n'interdisent de faire référence au texte en vertu duquel le message sanitaire est reproduit sur le paquet de cigarettes ;
" alors, d'une part, que l'article L. 355-27, II, du Code de la santé publique fait obligation d'apposer sur tous les paquets de cigarettes la seule mention " nuit gravement à la santé ", sans autoriser l'adjonction d'une quelconque mention complémentaire, serait-elle même simplement indicative de l'origine de l'avertissement sanitaire ; que, dès lors, en jugeant que l'adjonction de la mention " selon la loi n° 91-32 " n'est pas contraire aux dispositions précitées, motif pris de ce que le législateur n'a pas expressément interdit que le message sanitaire soit accompagné du visa du texte exigeant son apposition, la cour d'appel a méconnu le caractère impératif de l'article L. 355-27, II, du Code de la santé publique, qu'elle a ainsi violé ;
" alors, d'autre part, qu'en se bornant à affirmer que l'adjonction de la mention litigieuse, seulement indicative de l'origine de l'avertissement sanitaire, ne porte nullement atteinte à l'objectif d'information du consommateur et que le législateur communautaire, en autorisant les Etats-membres à prévoir l'apposition d'une mention désignant l'auteur du message sanitaire, a lui-même admis que celle-ci n'était pas ridiculisante, sans rechercher plus spécialement si, comme l'avaient estimé les premiers juges, le visa de la loi, fût-il intrinsèquement neutre, ne prenait pas une coloration dénigrante du seul fait qu'il était précédé de la préposition " selon ", susceptible d'induire l'idée que l'avertissement sanitaire pourrait ne rapporter qu'une opinion discutable, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 355-27, II, du Code de la santé publique " ;
Vu l'article L. 355-27, II, du Code de la santé publique ;
Attendu que chaque conditionnement du tabac ou des produits du tabac doit porter la mention : " Nuit gravement à la santé " ;
Attendu que Jan X..., Robertus Y... et Johanes Z..., dirigeants respectifs des sociétés du groupe Rothmans, sont poursuivis pour avoir, sur les paquets de cigarettes produits, importés et commercialisés par ces sociétés, fait précéder la mention de l'avertissement sanitaire : " Nuit gravement à la santé ", des termes : " Selon la loi n° 91-32 " ;
Attendu que, pour relaxer les prévenus de ce chef, la juridiction du second degré retient que cette adjonction, qui n'est pas de nature à affaiblir l'avertissement, n'est pas interdite ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'absence de transposition, dans la loi interne, des dispositions facultatives de l'article 4. 3°, de la directive n° 89-622- CEE du 13 novembre 1989, l'infraction punie par l'article L. 355-31 du Code de la santé publique est caractérisée par toute modification du texte de l'avertissement sanitaire imposé par les dispositions de l'article L. 355-27, II, du même Code, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 20 octobre 1998, mais en ses seules dispositions civiles relatives à l'application de l'article L. 355-27, II, du Code de la santé publique, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans.