REJET du pourvoi formé par :
- Y... Benoît,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 26 novembre 1997 qui, pour entrave à la liberté d'expression et de réunion, l'a condamné à 5 mois d'emprisonnement avec sursis et 2 000 francs d'amende.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 431-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Benoît Y... coupable d'entrave concertée à la liberté d'expression, avec menaces, coups, violences ou voies de fait et l'a condamné à la peine de 5 mois d'emprisonnement avec sursis et 2 000 francs d'amende, et à des réparations civiles ;
" aux motifs propres que c'est sans insuffisance ni contrariété de motifs et par une juste appréciation des faits et des circonstances de la cause tels qu'ils ont été relatés dans le jugement déféré en un exposé que la Cour adopte, que les premiers juges ont déclarée fondée la prévention à l'encontre de Benoît Y... et Ercan X... ; qu'en effet, il résulte clairement de la procédure et notamment de l'audition des témoins MM. C... et B... présents dès 19 heures 45 dans l'amphithéâtre de l'Institut des sciences politiques de Strasbourg où Philippe F... devait tenir une conférence à partir de 20 heures, qu'ils ont, immédiatement à leur arrivée, constaté dans le fond de la salle un groupe d'une vingtaine de personnes parmi lesquelles un individu tenant en main un drapeau noir (et qui sera identifié ensuite comme étant Benoît Y...), et que dès l'arrivée du conférencier, l'individu au drapeau noir est monté sur les tables en agitant son drapeau, ce petit groupe entonnant le slogan " G..., H..., I..., F... au panier ", tandis que d'autres personnes de ce groupe de perturbateurs, lançaient 3 oeufs frais en direction de la tribune, que Philippe F... esquivera et qui viendront s'écraser sur le tableau mural situé derrière lui ; qu'en outre, un sachet plastique comportant 5 oeufs frais non utilisés sera découvert par la police également au fond de l'amphithéâtre ; que l'article 431-1 du Code pénal réprimant l'entrave d'une manière concertée et cette concertation, contrairement à l'opinion des premiers juges ne nécessitant pas forcément un plan d'action préalablement établi, l'acquisition d'oeufs, la confection du drapeau noir, la venue simultanée d'une vingtaine d'étudiants étrangers à l'Institut d'études politiques, la montée concomitante de plusieurs d'entre eux sur les tables dès l'entrée du conférencier et leur attitude commune hostile, le choix du moment de l'agitation (immédiatement à l'arrivée de Philippe F...), le port de passe-montagne et enfin le regroupement des manifestants à proximité du commissariat de police suite à l'interpellation de Benoît Y... et Ercan X..., démontrent à suffisance que le groupe de perturbateurs dont faisaient partie les 2 prévenus, tout comme ceux-ci, poursuivant d'ailleurs tous 2 des études en sociologie (même s'ils ne sont pas dans la même année d'étude), menaient bien leur action de matière concertée ; que par ailleurs des slogans menaçants entonnés par les perturbateurs ont été entendus non seulement par Philippe F..., tels " à mort, on va te faire la peau.... tu ne sortiras pas vivant " mais aussi par d'autres témoins, tel M. B..., dans les mêmes termes ; qu'enfin, alors que les étudiants du Bureau de l'association ayant organisé cette conférence allaient à la rencontre des perturbateurs pour tenter de les raisonner et surtout de les faire quitter l'amphithéâtre, Benoît Y... et Ercan X... ont eu à leur égard un comportement violent, Benoît Y... frappant avec la hampe de son drapeau M. D... et dans sa chute blessant avec cette arme Soazig A... à la tête, lui occasionnant un traumatisme crânien sans perte de connaissance avec interruption temporaire totale de 5 jours, tandis que Ercan X... frappait des étudiants sous les yeux de Philippe F... et insultait l'étudiante organisatrice Malika E... ;
que les menaces ainsi proférées, les violences commises, la bousculade générale, les jets d'oeufs, ont ainsi conduit Philippe F... à se retirer et le directeur de l'IEP a annuler cette conférence ; que, dès lors, l'infraction d'entrave à la liberté d'expression et de réunion est constituée et c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu Benoît Y... et Ercan X... dans les liens de la prévention ;
" et aux motifs adoptés, que le 23 octobre 1996, à 20 heures, Philippe F..., député européen, devait intervenir à l'Institut d'Etudes Politiques à Strasbourg pour une conférence sur le thème de l'Europe à la demande des étudiants de Strasbourg ; que dès son arrivée à 20 heures 05, alors que l'amphithéâtre était plein et comptait environ 200 étudiants et que les élèves de l'institut applaudissaient le conférencier, un groupe d'une quinzaine de jeunes gens étrangers à l'institut se mettaient à pousser des cris hostiles et des menaces, telles " à mort, on va te faire la peau ", " tu ne sortiras pas vivant " ; que des oeufs étaient lancés en direction F... et atteignaient le tableau ; que des banderoles portant les inscriptions " non à l'Europe du fascisme " " contre le retour de l'ordre moral " étaient agitées par les membres du groupe ; que plusieurs d'entre eux, dont 2 jeunes gens identifiés par la suite comme étant Benoît Y... et Ercan X..., tous 2 étudiants en sociologie, montaient sur les tables ; que Benoît Y..., debout sur une table, agitait un drapeau noir d'un mètre sur 2 mètres ; qu'ils entonnaient le slogan " G..., H..., I..., Philippe F... au panier " ; que des étudiants de l'institut tentaient de faire sortir les perturbateurs qui réagissaient en les frappant ; qu'une bousculade générale avec échange de coups s'ensuivait ; que Benoît Y... pour ne pas être obligé de descendre de la table, se servait de son drapeau comme d'un bâton (Cf. P. V. 20 et dans les notes d'audience, témoignages d'Emmanuelle Z...) puis tombait sur une étudiante, Soazig A..., la blessant à la tête avec la hampe du drapeau, provoquant pour la jeune fille la perte de la vue pendant quelques secondes, des vertiges et un traumatisme crânien et lui occasionnant une interruption temporaire de travail de 5 jours ; que les étudiants de l'institut ceinturaient 4 ou 5 perturbateurs que le directeur de l'institut leur demandait de relâcher ; que les perturbateurs recommençaient alors les slogans " Philippe F... à mort ", " à bat la calotte, vive la capote " ; que Philippe F... entouré d'une cinquantaine d'étudiants qui assuraient sa protection n'était pas atteint par les perturbateurs et pouvait quitter la salle ; que la conférence était annulée ; que les policiers appelés sur les lieux étaient accueillis par les cris de " police nazie ", " police partout, justice nulle part " ; qu'ils interpellaient Benoît Y... dont le visage était masqué par son keffieh et les mains gantées, qu'ils interpellaient aussi Ercan X... alors qu'il prenait la fuite ; que, dans l'amphithéâtre, les policiers constataient que le tableau avait été souillé par les projection d'oeufs et y découvraient un sachet contenant 5 oeufs entiers abandonnés sur un banc à l'arrière ; qu'à l'extérieur de l'institut, les policiers constataient la présence, derrière l'église Saint-Maurice, d'une quinzaine d'individus dont certains étaient cagoulés et armés de bâtons ; qu'après l'interpellation de Benoît Y... et d'Ercan X..., des manifestants s'étant regroupés à proximité du commissariat de police, il fallut assurer la protection du commissariat ; que les 2 prévenus ont été formellement reconnus comme étant de ceux qui étaient montés sur les tables, Ercan X... comme l'auteur de violences et Benoît Y... comme celui qui agitait le drapeau et était tombé, blessant Soazig A... dans sa chute (Cf. PV 19, 320, 21, 23, 25) ;
que Benoît Y... reconnaît les faits ; que les 2 prévenus prétendent ne pas se connaître ; qu'il convient cependant de remarquer qu'ils sont tous 2 étudiants en sociologie et que dès l'arrivée de Philippe F... dans la salle, ils sont montés sur les tables en criant de concert des menaces et des slogans, puisqu'ils ont commis des violences ; que leur comportement, l'agitation et la bagarre qui s'en sont suivis ont empêché Philippe F... de prendre la parole et l'ont obligé à quitter les lieux sous la protection des étudiants de l'Institut d'Etudes Politiques ; que l'acquisition d'oeufs, la confection des banderoles et du drapeau, la venue simultanée d'une quinzaine d'étudiants étrangers à l'institut, la montée concomitante de plusieurs d'entre eux sur les tables dès l'entrée du conférencier, la concordance dans la déclamation de slogans et de menaces, le choix du moment de l'agitation, à savoir dès l'arrivée du conférencier et avant même qu'il ait pu prendre la parole, démontrent qu'il existait une concertation préalable des membres du groupe en vue d'empêcher le déroulement de la conférence ; que les menaces proférées, les violences commises, la bousculade générale, le jet d'oeufs, ont rendu impossible le déroulement de celle-ci ; que l'infraction d'entrave à la liberté d'expression et de réunion, à l'aide de violences, menaces, est donc constituée ; que les aveux des prévenus et les témoignages établissent qu'ils ont commis cette infraction ;
" alors que la répression des infractions visées à l'article 431-1 implique nécessairement que soient caractérisés, sans insuffisance ni contradiction, d'une part le caractère concerté de l'action, ainsi que la participation effective et volontaire de chacun des prévenus à cette action concertée, élément constitutif de l'infraction visée par le texte qui ne prévoit pas la répression d'une action individuelle, d'autre part, la nature des actes répréhensibles commis, lesquels font encourir à leurs auteurs des peines différentes ;
" que, d'une part, l'arrêt confirmatif attaqué, qui tout en reprenant les motifs des premiers juges prétend, contrairement au tribunal et sans s'en expliquer davantage, que la concertation visée par le texte ne devait pas être nécessairement préalable, et induit son existence de divers éléments de fait souverainement constatés mais disparates, tels par exemple la confection d'un drapeau noir, que le demandeur était seul à arborer, ou bien le port de passe-montagne dont il est avéré au contraire qu'il n'en avait pas puisqu'il avait été reconnu sans difficulté, de même que le jet d'oeufs qui ne lui avait été imputé par personne, ou encore de faits postérieurs, tel le regroupement autour du commissariat après son arrestation, auquel il ne pouvait bien entendu avoir participé, ou encore le sachet d'oeufs frais retrouvé par la police le lendemain dans l'amphithéâtre, puis prétend déduire la participation volontaire du demandeur aux faits poursuivis de l'affirmation de l'existence de cette concertation, s'abstenant toutefois de préciser en quoi les faits établis et reconnus par Benoît Y... (port du drapeau noir, passage de table en table) étaient susceptibles de se rattacher à une action concertée ou bien quels autres faits, reprochables au demandeur, lequel, du reste, ne figurait pas au nombre des 4 ou 5 " perturbateurs " ceinturés selon le jugement par les étudiants de l'Institut d'Etudes Politiques avant d'être relâchés à la demande du directeur, pouvaient laisser supposer sa participation volontaire à une concertation, n'a pas suffisamment caractérisé l'existence de cette concertation, élément constitutif de l'infraction poursuivie, pas plus qu'il n'a établi à partir des faits souverainement constatés, la participation volontaire du demandeur à une action concertée en vue d'entraver la liberté d'expression de Philippe F..., entachant d'insuffisance la déclaration de culpabilité ;
" que, d'autre part, l'arrêt confirmatif attaqué, qui a condamné le demandeur pour entrave à la liberté d'expression par menaces, coups, violences ou voies de fait sans préciser lesquels de ces faits, réprimés différemment par les 2 alinéas de l'article 431-1, étaient imputables directement au demandeur, étant souligné que les témoignages des victimes retenus par le tribunal et la Cour, établissaient uniquement que les coups de bâton reçus de l'homme porteur du drapeau noir étaient dus au fait que ce dernier, monté sur une table, avait été déséquilibré par une des victimes, M. D..., qui lui avait saisi les chevilles, ce dont il résultait que les blessures occasionnées dans sa chute tant à M. D... lui-même qu'à Soazig A... étaient exclusives de toute intention délictuelle, n'a pas davantage justifié sa décision, la privant derechef de toute base légale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à l'occasion d'une conférence publique organisée à l'université de Strasbourg, le 23 octobre 1996, par Philippe F..., député européen, un groupe d'étudiants s'est livré à des voies de fait et des violences qui ont dégénéré en une échauffourée ; qu'à la suite de ces incidents, Benoit Y... a été poursuivi pour entrave concertée à la liberté d'expression et de réunion à l'aide de menaces, violences et voies de fait, délit prévu et réprimé par l'article 431-1 du Code pénal ;
Attendu que pour déclarer le prévenu coupable, les juges du second degré se prononcent par des motifs exactement repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui procèdent de leur appréciation souveraine, les juges ont sans insuffisance ni contradiction, caractérisé les éléments matériels et intentionnel, l'infraction réprimée par le texte précité ;
D'ou il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.